Il arrive qu’un CGP soit interrogé sur le point suivant : j’ai désigné pour bénéficiaires d’un contrat d’assurance : mes enfants Paul et Henri, par moitié chacun, en ayant pris soin de rajouter, selon la formule habituelle, « vivant ou représenté ». Le jour où le contrat se dénouera, (on suppose les enfants vivants), sera-t-il possible, par exemple, à mon fils Paul, de ne pas accepter le capital-décès lui revenant et que ce capital profite alors à ses propres enfants ?
La clause bénéficiaire, ci-dessus, est-elle suffisante pour permettre au capital ce « saut de génération » ? Saut de génération intéressant pour les petits-enfants qui percevront la part du capital sans attendre la survenance du décès de leur auteur, et qui pourront, sous réserve que le contrat dénoué satisfasse aux dispositions de l’article 990 I du CGI profiter chacun d’un abattement de 152.500 euros.
Un bénéficiaire vivant, peut-il être représenté ?
L’attribution au bénéficiaire désigné d’un capital issu d’un contrat d’assurance dénoué est faite sous condition de son acceptation. Cette condition résulte de l’article L 132-9 du code des assurances[1]. Pour l’accepter il va de soi que le bénéficiaire doit être vivant.
Ignorant évidemment, lors de la désignation du bénéficiaire, si celui-ci sera vivant au jour du dénouement, les conseillers patrimoniaux ont suggéré à l’assuré, soit de désigner des bénéficiaires de substitution, dits de second rang, soit d’utiliser une formule plus concise : « vivant ou représenté », attribuant alors la qualité de bénéficiaires de substitution aux représentants, s’il est possible qu’il y en ait, c’est-à-dire aux descendants pouvant venir en représentation du bénéficiaire décédé.
Pendant longtemps, la représentation a été vue exclusivement par survenance du prédécès du bénéficiaire.
Les petits-enfants de l’assuré pouvaient venir au bénéfice du contrat par le jeu de la représentation, précisée par l’article 751 du Code civil : « La représentation est une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté ».
La représentation successorale, qui s’applique de plein droit, appelle à la succession les descendants en ligne directe qui sont alors éligibles aux droits du représenté (C. civ., art. 752)[2]. La représentation implique une pluralité de souches. Deux petits-enfants issus du fils unique du défunt, viennent à la succession de leur propre chef et non par représentation[3].
Le régime de la représentation a été renouvelé par les réformes de 2001 et 2006, qui ont respectivement admis la représentation de l’indigne (2001)[4] et, plus importante en pratique, celle du renonçant (2006)[5].
Pendant longtemps, la représentation a été un mécanisme exclusivement « subi », subordonné à survenance du décès de l’héritier, ses descendants venant alors par représentation à la succession, comme nous l’avons indiqué ci-dessus. L’ancien article 754 du code civil dans sa version applicable jusqu’au 1er janvier 2007 disposait : « on représente les prédécédés ».
Le législateur, par la loi du 23 juin 2006, a introduit un nouveau mode de représentation par « renonciation ». Depuis le vote de cette loi applicable à compter du 1er janvier 2007, il est prévu que l’on représente les prédécédés, les renonçants et les indignes en ligne directe et en ligne collatérale privilégiée (descendants des frères et sœurs).
Cette modification de la loi a donc ajouté à la représentation « subie » par survenance du décès de l’héritier, la représentation « choisie » par l’exercice de la renonciation, tout en limitant strictement les situations susceptibles d’y donner lieu (parents/enfants).
Que la représentation soit choisie ou subie les représentants sont exclusivement les descendants en ligne directe, par application de la loi.
La question consiste donc à savoir si la représentation par renonciation peut s’appliquer aux capitaux-décès du contrat d’assurance.
La formule type des clauses bénéficiaires affirme la possibilité de la représentation sans en préciser et limiter l’exercice au seul décès du bénéficiaire.
En ayant indiqué : « vivant ou représenté » cela peut-il signifier aujourd’hui « représenter, soit en raison de son prédécès, soit en raison de sa renonciation » ?
A priori, il n’y a aucune raison de restreindre la notion de représentation au seul décès alors même que le législateur en a disposé autrement d’une part et que le stipulant ne l’a pas écartée d’autre part.
La représentation par renonciation fait des descendants du renonçant les héritiers des biens successoraux ou les bénéficiaires de deuxième rang pour les biens non successoraux (assurance vie). Le bénéficiaire renonçant ne choisit pas les représentants, le législateur n’accorde cette qualité qu’aux descendants du renonçant.
Si la clause bénéficiaire précise « vivant ou représenté » et si le renonçant a des enfants, la fraction de la garantie qui aurait dû lui être acquise, doit de notre point de vue bénéficier par parts égales à ses descendants. Cette clause bénéficiaire signifie aujourd’hui « représenté, soit en raison de son prédécès, soit en raison de sa renonciation ». On peut être bien vivant et représenté.
Sauf que cette rédaction « vivant ou représenté » est souvent jugée par certaines compagnies comme insuffisamment précise. Pour l’étendre aux dispositions bénéficiaires il serait certes préférable que la représentation par renonciation ait été énoncée sans ambigüité, sauf que cette exigence n’a pas de fondement. Que la clause « habituelle » ne le précise pas clairement ne permet pour autant d’exclure par principe son application.
Certaines compagnies d’assurance savent se contenter de la formule type pour régler les capitaux décès en cas de renonciation lorsque le bénéficiaire renonçant est un enfant de l’assuré.
D’autres y sont opposés utilisant l’argumentation suivante : « Si la représentation des enfants est bien prévue dans la clause « vivants ou représentés » cette représentation ne vaut qu’en cas de prédécès d’un enfant bénéficiaire de premier rang. La représentation pour cause de renonciation doit être expressément prévue pour être applicable, à défaut l’enfant renonçant ne fait pas bénéficiaire ses propres enfants de sa part du capital décès ».
Il est désagréable de constater la divergence des positions des compagnies.
Que faire cependant face aux divergences ou réticences de l’assureur ?
Confrontée à une imprécision de la clause bénéficiaire, la jurisprudence invite à rechercher l’intention du stipulant. C’est au cas par cas qu’il faut déterminer qui et comment le stipulant a entendu désigner pour bénéficiaire. Dans le cas de sollicitation du juge il lui appartiendra d’interpréter souverainement la volonté du souscripteur (Cass.,2ème civ., 14 décembre 2017, n° 16-27.206). Sera-t-on en mesure de lui fournir des éléments de nature à en décider ? L’aléa judiciaire existe également.
Il serait évidemment souhaitable que les conseillers en gestion de patrimoine anticipent le problème et informent, lorsque les capitaux en jeu sont significatifs, de la nécessité de préciser dans une nouvelle rédaction de la clause bénéficiaire s’ils veulent ou non ouvrir cette possibilité de renonciation. Il sera alors inutile de « batailler » avec des assureurs hésitants qui n’ont pas nécessairement pris acte des dispositions de la loi du 23 juin 2006
Nous recommandons de ne plus utiliser la clause type « mon conjoint vivant ou représenté », mais la clause suivante : « Mon conjoint. Dans le cas de son prédécès, ou dans le cas de son décès avant d’avoir pu accepter, ou dans le cas de sa renonciation, le capital décès reviendra à Mrs Y et Z par parts égales ».
Marc Iwanesko et Michel Leroy proposent, dans leur ouvrage de référence concernant la clause bénéficiaire en assurance vie[6], que ce soit précisé sous le titre acquisition de la garantie par les représentants du renonçant : « En cas de renonciation de l’un d’entre eux, la quote-part qui aurait dû revenir au renonçant sera acquise par son ou ses descendants en suivant les règles de la représentation légale ». Il est toujours préférable d’expliciter clairement les droits des parties pour qu’ils soient mieux à même de les comprendre pour les exercer.
Pour Michel Leroy, « …l’emploi de la stipulation classique est à éviter car elle peut s’analyser comme limitant le domaine de la représentation à la seule hypothèse du prédécès, (en raison de l’emploi de la conjonction de coordination). Pour éviter cette difficulté, il est préférable de prévoir dans la clause que les bénéficiaires seront les enfants de l’assuré par parts égales, à défaut de l’un d’entre eux, pour quelque cause que ce soit, la fraction de la garantie sera acquise par ses héritiers par parts égales »[7].
Cette nouvelle rédaction de la clause bénéficiaire peut malgré tout être inadéquate dans certaines circonstances.
La représentation ne joue qu’au profit des descendants en ligne directe et en ligne collatérale privilégiée.
Si Paul et Henri ne sont pas les descendants de l’assuré la seule possibilité pour le souscripteur de leur ouvrir la possibilité de laisser à leurs propres enfants les capitaux décès repose sur une désignation bénéficiaire prévoyant expressément des bénéficiaires de second rang en cas de refus d’accepter selon la formule suivante :
« Je désigne pour bénéficiaires des capitaux décès de mon contrat d’assurance Messieurs Paul et Henri, par moitié chacun. Dans le cas de sa renonciation par l’un ou l’autre à la partie du capital lui revenant en seront bénéficiaires ses enfants »
Une autre situation, conséquence de la recomposition des familles, justifie de la même précaution. L’assuré souhaite ouvrir le droit à son conjoint, désigné bénéficiaire de ne pas accepter le capital décès mais d’en laisser la jouissance à ses propres enfants, non issus de son union avec l’assuré. La clause type ne convient pas, il faut recourir à une désignation bénéficiaire de second rang dans les termes suivants :
« Je désigne pour bénéficiaire des capitaux décès de mon contrat d’assurance Mon épouse Madame… Dans le cas de sa renonciation au bénéfice du capital décès, ses enfants en seront bénéficiaires par parts égales ».
Une fois encore on constate l’utilité d’un conseil patrimonial approprié dans la désignation bénéficiaire.
[1] Article L 132-9 Code des assurances : « … L’attribution à titre gratuit du bénéfice d’une assurance sur la vie à une personne déterminée est présumée faite sous la condition de l’existence du bénéficiaire à l’époque de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis, à moins que le contraire ne résulte des termes de la stipulation »
[2] Article 752 Code civil : « La représentation a lieu à l’infini dans la ligne directe descendante. »
[3] Cass. 1ère civ., 25 sept. 2013, n° 12-17.556.
[4] Article 755 du Code civil : « La représentation est admise en faveur des enfants et descendants de l’indigne, encore que celui-ci soit vivant à l’ouverture de la succession… »
[5] Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006
[6] M. Iwanesko et M. Leroy, Clause bénéficiaire en assurance-vie, Ed. Francis Lefebvre, 2012, p. 104 et s.
[7] M. Leroy, Assurance vie et gestion du patrimoine, Lextenso éditions, p. 92, mai 2011.