« Un dividende est-il systématiquement un flux de trésorerie ? » (à propos de CE, 9ème et 10ème ch., 20 mai 2022, n° 449385)

Eclairage du 22 juillet 2022 - N°439

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NDA : une version plus détaillée de cet article figure au sein de la Revue de droit fiscal (Revue de droit fiscal 2022, n° 25, comm. 257). L’AUREP remercie LexisNexis d’avoir accepté la publication de cette synthèse sur son site 

La décision du Conseil d’Etat du 20 mai 2022 (CE, 9e et 10e ch., 20 mai 2022, n° 449385, SC Ambroise D et M. et Mme D, concl. C. Guibé, note L. Benoudiz, Dr. Fisc. 2022, n°25) remet-elle en cause le principe dégagé par le Conseil d’État le 30 septembre 2019 (CE, 9e et 10e ch., 30 sept. 2019, n° 419855, Sté Hôtel-Restaurant Luccotel : Dr. fisc. 2019, n° 48, comm. 465, concl. É. Bokdam-Tognetti, note P. Fernoux ; Dr. fisc. 2019, n° 42, act. 443, M. Buchet ; RJF 12/2019, n° 1123) ?

Rappel des faits. Le 20 juillet 2009, Mme D, associée de la société civile d’exploitation viticole (SCEV) Champagne René Bouché, a cédé l’usufruit temporaire de 2 000 parts sociales pour une durée de 10 ans au prix de 196 000 € et l’usufruit temporaire de 1 920 parts sociales pour une durée de 17 ans au prix de 233 856 €. L’acquéreur, la société civile Ambroise D soumise à l’impôt sur les sociétés avait été créée quelques années auparavant, en mai 2006, par Mme D et son époux, chacun détenant la moitié du capital de celle-ci. Le capital social de la SCEV d’un montant de 370 000 € est constitué de 8 000 parts sociales, la société civile Ambroise D détenant donc l’usufruit de 3 920 parts, soit 49 %.

Un verre de vin rouge presque vide avec un fond ou l'on peu voir des vignes et une grande étendue d'eau

On ne connaît pas la méthode initiale de valorisation retenue par les contribuables ni le montant des résultats de la SCEV Champagne René Bouché mais on peut déduire des éléments relevés par les différentes décisions rendues dans cette affaire certains éléments pertinents.

La combinaison de méthodes retenue par l’administration donne une valeur des usufruits sur 10 ans et 17 ans de 331 240 € et de 500 450 €, soit respectivement 69 % et 114 % de plus que l’évaluation des contribuables comme le relève le Conseil d’État en son point 5. On sait également que l’administration a actualisé ces flux en tenant compte d’une progression de 2 % par an au taux de 5,82 %, ce qui nous donne un flux attaché à ces cessions d’environ 41 000 € au titre de la première année. Compte tenu de la prise en compte d’un impôt fictif, le résultat attaché à ces cessions ressort avant impôt fictif à environ 60 000 € ce qui corrobore l’affirmation relevée par la cour d’une valorisation retenue par le contribuable inférieur à trois années pour l’usufruit temporaire de 10 ans (donc inférieur à 65 333 €) et de quatre années pour l’usufruit temporaire sur 17 ans (et donc inférieur à 58 464 €) [1].

Ce petit exercice de reconstitution est utile pour noter que la valeur finale déterminée par l’administration et combinant deux méthodes, l’une basée sur l’actualisation des flux futurs et l’autre sur la valeur en pleine propriété des titres à partir de laquelle l’usufruit est déterminé sur une valeur de rendement, donnent une valeur assez proche de la seule méthode basée sur l’actualisation des flux futurs que nous venons d’appliquer. Il est en effet de pratique habituelle pour l’administration d’approcher une valeur par une combinaison de méthode, pratique censée relever la pertinence de la valeur obtenue dans l’hypothèse, évidement, où les deux approches permettent d’obtenir des montants présentant un écart de faible ampleur.

Sans rester bloqué sur la seule méthode DCF pour évaluer un usufruit temporaire, on partage les commentaires de Mme Céline Guibé, rapporteur public : « il n’existe pas une seule et unique « bonne » méthode d’évaluation de l’usufruit des titres de sociétés non cotées. Nous l’avons dit, tout est affaire d’espèce ».

En l’occurrence, dans cette affaire, il s’agissait d’évaluer la valeur de l’usufruit temporaire des titres d’une société civile d’exploitation agricole, non soumise à l’impôt sur les sociétés, exerçant une activité économique et disposant d’un historique de résultat. Les différences avec la situation relative à Luccotel sont nombreuses. Lorsqu’il s’agit d’évaluer la valeur d’un usufruit temporaire portant sur les titres d’une SCI de constitution récente et venant d’acquérir un bien immobilier, il n’existe pas d’historique de résultat, d’historique de pratique d’affectation du résultat, de problématique relative à la rémunération du dirigeant, d’aléas relatif à l’exploitation comparable à celle d’une activité économique et non civile tandis qu’on dispose d’une information déterminante, le taux de rendement réel, de marché, du sous-jacent : l’immeuble inscrit à l’actif et le rendement locatif de celui-ci.

Ainsi, dans cette situation ou dans une situation proche de celle de Luccotel, la « bonne » méthode, où en tout cas celle qui semble la plus applicable avec pertinence, est celle basée sur l’actualisation des flux futurs en retenant les principes dégagés par le Conseil d’État le 30 septembre 2019 et d’ailleurs rappelé en considérant au point 4 de la présente décision. Nul besoin de recourir à une combinaison de méthodes. En effet, dans cette situation, le recours à d’autres méthodes n’améliorerait pas la pertinence des résultats mais rajouterait de l’incertitude et de la complexité. La valeur patrimoniale de la SCI venant d’acquérir un bien immobilier financé par emprunt bancaire et par apport en compte-courant s’avère en effet négative, à hauteur des droits d’enregistrement supportés sur l’acquisition de l’immobilier, tandis que la valeur de rendement ne peut être valablement calculée, faute d’historique et sauf à la déterminer sur la base d’un prévisionnel, ce que fait de manière hasardeuse la cour d’appel d’Orléans (CA Orléans, ch. com., 21 mars 2019, n° 18/00536) chargée d’estimer la valeur en pleine propriété de la SCI LBA dans l’affaire Luccotel (V. L. Benoudiz, L’évaluation d’une SCI par la méthode DCF : tous les flux, rien que les flux ! : Dr. fisc. 2020, n° 2, étude 52 – pour une critique de la méthode utilisée par la cour).

[…]

Il apparaît en effet comme essentiel de s’appuyer sur des méthodes qui restent homogènes dans leur approche et si la méthode de détermination de la valeur d’un usufruit temporaire jugée la plus pertinente est celle de l’actualisation des flux futurs, il convient de conserver cette logique pour déterminer la valeur de la pleine propriété.

Une combinaison de méthodes est donc possible dès lors que le recours à cette combinaison permet d’obtenir, par deux ou plusieurs approches différentes, une convergence de valeur, ce qui nécessite, si l’on souhaite recourir à des valorisations de la pleine propriété d’une société, l’existence d’un historique permettant de déterminer des valeurs patrimoniales, des valeurs de rendement et/ou de productivité.

[…]

Venons-en à la mise en œuvre de la méthode des DCF au cas d’espèce de la SCEV. Céline Guibé, rapporteur public, expose ainsi la problématique : « Il est d’abord reproché à la cour d’avoir validé la méthode fondée sur l’actualisation des flux de fruits futurs, alors qu’elle était fondée sur un dividende de référence correspondant à la moyenne des dividendes distribués au cours des années précédentes ne tenant pas compte de la trésorerie effectivement disponible. Les requérants indiquent que ces dividendes n’avaient pas été versés en numéraires mais qu’ils avaient été inscrits au crédit du compte-courant des associées de la SCEV, en l’absence de trésorerie suffisante à la clôture des exercices concernés. Mais une méthode tenant compte des distributions inscrites en compte courant d’associé n’est pas, en soi, injustifiée ». Le Conseil d’État suit l’avis de Mme Guibé en validant la position de la cour et en constatant dans son point 6 « qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fonds que, depuis sa création, la totalité des bénéfices de la SCEV était distribuée et appréhendée par les associés, par perception de numéraire ou inscription au crédit des comptes courants d’associés » et qu’ils pouvaient dès lors faire l’objet d’une actualisation.

La décision, au premier abord, peut surprendre un évaluateur, même si un fiscaliste peut y trouver son compte. On sait en effet, comme le rappelle une jurisprudence constante et l’administration dans son BOFiP (BOI-IR-BASE-10-10-10-40, 12 sept. 2012, § 100) que « l’inscription d’un revenu au crédit d’un compte non bloqué d’un contribuable vaut en principe paiement et entraîne présomption de disponibilité. Toutefois, cette présomption peut être détruite s’il résulte des circonstances de fait que l’intéressé n’a pas été en mesure de disposer des sommes portées en compte ».

Loïc de Maintenant sur Linkedin [2] considère même que le flux a en réalité été appréhendé et reversé : « En second lieu, selon la politique de distribution de la société, il est tout à fait possible pour un vérificateur d’actualiser les dividendes prévisionnels pour leur montant total à partir du moment où ils sont régulièrement inscrits en compte courant, sans que la société acquéreur puisse se plaindre de ce que leur montant aurait dû être plafonné à la trésorerie disponible. Les spécialistes de l’actualisation des flux pourront à première vue être étonnés que la réalité des flux soit ignorée mais le fiscaliste leur fera alors observer qu’un dividende mis en compte courant est un flux mis un instant de raison à disposition de l’associé qui le remet immédiatement à disposition de ladite société […]. Un double flux qui s’ignore, en quelque sorte mais qui peut coûter cher si on l’ignore […] ».

Cette position est parfaitement défendable sur le plan juridique car ce ne sont pas les résultats comptables qui sont actualisés mais bien les dividendes votés par l’assemblée. Dans sa décision du 30 septembre 2019, le Conseil d’État ne parle pas de trésorerie disponible mais bien de dividendes en rappelant que « l’usufruitier, conformément à l’article 582 du Code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, n’a droit qu’aux dividendes distribués » et que dès lors, « l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles […] ». Ainsi, tenir compte des dividendes votés par l’assemblée est parfaitement en phase avec cette décision car le « revenu futur » est bien acquis à l’usufruitier, s’agissant d’un dividende distribué et non d’un résultat non encore affecté.

Ce qui pose difficulté, en revanche, c’est l’application de la méthode DCF sur des droits acquis et non sur des flux réels. La méthode DCF consiste en effet à actualiser, c’est-à-dire à appliquer, selon le Larousse, « une méthode de calcul économique permettant de comparer un flux monétaire à venir à un flux monétaire présent ».

Dès lors, on a en effet les plus grandes difficultés à accepter qu’il soit possible d’actualiser des flux qui n’en sont pas réellement et qui ne sont qu’une inscription comptable. Dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, il ne viendrait à l’idée d’aucun associé de voter un dividende imposable sans qu’il soit possible de l’appréhender effectivement. Peu de personnes choisissent de payer un impôt sans percevoir le revenu afférent. À l’inverse, dans une société de personnes, le contribuable considère que l’affectation étant sans conséquence fiscale, celle-ci est souvent décidée sans qu’il y soit prêté l’attention qu’une telle décision mérite.

Ainsi, on ne partage pas l’avis du rapporteur public lorsqu’il considère comme « [n’étant] pas, en soi, injustifié » l’application de la méthode DCF en retenant non pas des flux mais des écritures comptables et il nous semble, contrairement à son appréciation considérant comme « non décisive » les circonstances de l’espèce, que celles-ci sont au contraire déterminantes.

Ainsi, Céline Guibé précise « qu’on peut en outre relever, même si la circonstance ne nous apparaît pas décisive, que si une partie importante des distributions avait, effectivement, été inscrite au compte-courant des associés, les sommes correspondantes avaient fait l’objet de retraits réguliers et tout aussi conséquents au cours des exercices en cause. Il n’y avait donc pas lieu de penser que la situation de la trésorerie aurait pu faire obstacle de manière prolongée, à la perception des distributions ».

C’est exactement ce que le relève le Conseil d’État dans son point numéro 6 justifiant la méthode consistant à actualiser les distributions indépendamment de leur perception effective : « En l’absence d’argumentation des contribuables tirée de ce que le montant des distributions prévisionnelles tel que déterminé par le vérificateur serait surévalué en tant qu’il ne prendrait pas en compte certains éléments susceptibles de l’affecter qu’ils étaient seuls en mesure de justifier, notamment le solde de la trésorerie disponible […] » En l’occurrence, le contribuable a été incapable de démontrer que les dividendes votés chaque année et affectés en compte-courant ne pouvaient pas faire de manière prolongée obstacle à leur appréhension effective. La méthode alternative d’évaluation de l’usufruit qu’il a également proposée n’a pas résisté à une analyse critique conduite par la cour et entérinée par le Conseil d’État. Le contribuable faisait en effet état de variations de son besoin en fonds de roulement, de besoins d’autofinancement « sans justifier des motifs pour lesquels [il] entendait modifier pour l’avenir sa pratique antérieure constante de distribution de la totalité de ses bénéfices ». En outre, au regard de cette argumentation estimée peu crédible, le Conseil d’État reprend l’argumentation de l’administration qui relève que « la méthode proposée par le contribuable aboutissait sur les quatre années antérieures à retenir un montant de trésorerie disponible nettement inférieur au montant effectivement distribué au titre de ces mêmes années » [3].

L’administration, la cour et le Conseil d’État auraient-ils dû se livrer à une analyse détaillée des flux de trésorerie pour déterminer au titre de chaque année le montant réel des dividendes effectivement versés alors même que le contribuable en est incapable ? Évidemment que non ! Si le contribuable n’a pas été en mesure de le faire, gageons qu’en réalité les dividendes affectés en compte-courant sont effectivement prélevés par les contribuables l’année même ou rapidement, et en cas de perception décalée, pas « de manière prolongée ».

Le rappel par le Conseil d’État, en considérant de principe, que l’évaluation par la méthode DCF doit « tenir compte des distributions prévisionnelles qui [peuvent] être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunt ou d’éventuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, lorsqu’elles sont justifiées par la société » est confirmé. Il convient en revanche, lorsque la société met en œuvre une politique de distribution systématique de ses résultats par affectation en compte-courant, qu’elle puisse effectivement démontrer que ces distributions ne sont pas appréhendables immédiatement ou à court terme. Au cas d’espèce, cette démonstration était impossible à faire par le contribuable pour la simple et bonne raison que l’historique des dernières années démontrait au contraire, comme l’a relevé le rapporteur public, que « les sommes correspondantes [faisaient] l’objet de retraits réguliers et tout aussi conséquents ». D’ailleurs, le contribuable n’a pas reconstitué au titre des années précédentes les flux de trésorerie réels pour proposer une évaluation basée sur cet historique mais a tenté d’expliquer, sans réussir à convaincre la cour, que dans le futur, les distributions effectives seront inférieures aux distributions passées.

Au demeurant, faute d’emprunt impactant les cash-flows ou d’affectation en réserve en vue d’investissements futurs, le montant des distributions ne peut être différent des flux de trésorerie que marginalement de telle sorte qu’un décalage d’une ou deux années dans la perception du flux en raison de variations du besoin en fonds de roulement n’aura qu’un impact limité sur la valorisation de l’usufruit temporaire.

La même décision aurait-elle pu être prise si, contrairement aux circonstances de l’espèce relevant une appréhension effective des dividendes à l’occasion de « retraits réguliers » et « conséquents au cours des exercices en cause », les sommes étaient restées en compte-courant sur une longue période, faute de trésorerie disponible pour les appréhender ?

Il ne fait pas de doute que la distribution de dividendes étant votée, ces sommes sont à disposition des associés même si elles sont indisponibles en pratique faute de trésorerie. Il convient donc d’en tenir compte dans l’évaluation du revenu futur contrairement à des résultats qui n’appartiennent pas à l’usufruitier tant qu’une décision d’affectation en dividendes n’a été prise. Pour autant, la cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 1re ch., 26 nov. 2020, n° 19NT03876, SARL Hôtel-Restaurant Luccotel : JurisData n° 2020-021544 ; Dr. fisc. 2021, n° 13, comm. 196, concl. L. Chollet, note L. Benoudiz) écarte la méthode que nous avions proposée pour appliquer correctement la méthode DCF et désignée comme étant la « méthode Benoudiz » consistant à tenir compte des flux futurs selon la date de perception effective de ceux-ci, y compris au-delà de la durée de démembrement.

La motivation de la cour d’appel, suivant les conclusions du rapporteur public Laure Chollet reprenant l’argumentation d’Émilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public lors de la décision du Conseil d’État, consistait à considérer, au-delà d’une certaine durée (et notamment au-delà de la durée du démembrement) qu’il existait trop d’incertitudes sur la perception de ces fruits futurs.

On ne peut qu’être d’accord avec ces remarques et avec la conclusion retenue par la cour administrative d’appel de Nantes. Comme le dit Vivien Streiff, trop d’incertitudes au-delà d’une certaine durée doit conduire à écarter un revenu potentiel « dont on ne sait, eu égard aux multiples aléas qui peuvent affecter la vie de la SCI, quand il apparaîtra, ni même s’il apparaîtra un jour » (V. Streiff, Nouvelles précisions sur la méthode d’évaluation de l’usufruit à durée fixe de parts sociales : Solution Notaire Hebdo, 18 févr. 2021, n° 6, inf. 13).

Il apparaît finalement que la méthode DCF consistant à actualiser les flux sur une longue période apparaît comme trop aléatoire au-delà d’une certaine durée tandis qu’il semble intellectuellement difficile de considérer cet avantage potentiel futur comme nul et non avenu. Une autre piste est-elle envisageable pour tenir compte de ces distributions non appréhendées et non appréhendables à court terme ? C’est possible mais on ne sait pas comment ! Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il ne pourra pas être question d’appliquer à des écritures comptables d’affectation en dividendes une actualisation devant s’appliquer, par principe, à des flux sous peine d’appliquer la méthode DCF de manière viciée. Quand bien même l’affectation en dividendes serait juridiquement une mise à disposition, elle n’est pas et ne peut être un flux de trésorerie pouvant faire l’objet d’une actualisation.

Émilie Bokdam-Tognetti ne dit pas autre chose dans ses conclusions devant le Conseil d’État.

[…]

Dès lors, c’est bien au regard des circonstances de l’espèce, en raison d’un décalage temporaire d’une durée de faible ampleur, qu’il est possible d’assimiler la distribution de dividendes à la perception effective des revenus et d’y appliquer, sans vicier la méthode, une actualisation temporelle. Il n’en est pas de même, comme le relevait le rapporteur public Laure Cholet (concl. L. Chollet ss CAA Nantes, 1re ch., 26 nov. 2020, n° 19NT03876, SARL Hôtel-Restaurant Luccotel : Dr. fisc. 2021, n° 13, comm. 196, note L. Benoudiz), suivie par la cour, lorsqu’il existe « un décalage d’ampleur entre la trésorerie et le bénéfice comptable dans le temps et, d’autre part, un report du versement du solde des distributions en fonction de la trésorerie à une date indéterminée ». Or, au cas d’espèce, nul décalage d’ampleur et nulle incertitude sur la perception effective des distributions votées par l’assemblée de la SCEV.

Enfin, il nous semble utile de rappeler que, lorsque le Conseil d’État prend la peine de préciser que les flux à retenir dans la méthode DCF doivent tenir compte des annuités de remboursement d’emprunt et des mises en réserves « lorsqu’elles sont justifiées par la société », il est nécessaire de pouvoir en effet en justifier ! Or, procéder chaque année à une distribution intégrale des résultats par inscription en compte-courant « entraîne présomption de disponibilité » (BOI-IR-BASE-10-10-10-40, 12 sept. 2012, § 100). On peut également rajouter que cela entraîne présomption de perception effective et qu’il n’est pas du ressort de la cour d’aller chercher chaque année quels sont les flux effectivement perçus par les associés. À charge aux contribuables de n’affecter les résultats en dividendes qu’avec parcimonie et à bon escient.


[1] En retenant ce montant « plafond » de 58 464 € au lieu des 60 000 € résultant de la seule méthode DCF, l’actualisation du flux avec 2 % de croissance et après IS au taux de 33,33 % donne une valeur de l’usufruit temporaire sur 10 ans de 315 418 € et sur 17 ans de 451 710 € soit une variation par rapport aux valeurs retenues par l’administration de 5 % et 10 %.

[2] V. post L. de Maintenant sur https://www.linkedin.com/posts/lo%C3%AFc-de-maintenant-4b882047_conseil-d%C3%A9tat-9%C3%A8me-10%C3%A8me-chambres-r%C3%A9unies-activity-6935931594822041600-jqZ1?utm_source=linkedin_share&utm_medium=member_desktop_web.

[3] Selon le rapporteur public, « l’application de la méthode proposée par les contribuables aux quatre années antérieures à la cession aboutit à un montant significativement inférieur au montant des distributions réellement effectuées, de l’ordre d’un rapport de 1 à 3, voire de 1 à 4,5 selon les années ».

Droit fiscal

François Legate