Société à prépondérance immobilière : du nouveau

Eclairage du 05 juillet 2024 - N°514

Accueil + Publications & Agenda + Société à prépondérance immobilière : du nouveau

La jurisprudence récente apporte de très précieux éclairages sur une notion fort peu évidente : la prépondérance immobilière d’une société. Avant toutefois de s’intéresser à cette jurisprudence, rappelons que la définition de la société à prépondérance immobilière reste protéiforme. Et c’est là le lieu des errements les plus divers. Un petit détour vers la lecture de deux articles du CGI qui y sont notamment consacrés s’impose, en l’occurrence les articles 150 UB et 219-I-a sexies-0 bis.

Unsplash+ En collaboration avec Allison Saeng

Voyons-en les termes de plus près. Pour l’article 150 UB précité propres à l’impôt sur le revenu, les sociétés soumises au régime des sociétés de personnes de l’article 8 du CGI sont considérées comme à prépondérance immobilière lorsque leur actif est composé pour plus de 50 % de sa valeur réelle d’immeubles non affectés par ces sociétés à leur propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale ou de droits portant sur des immeubles.

Or, en matière d’impôt sur les sociétés, la définition proposée par l’article 219-I-a sexies-0 bis du même code diffère très sensiblement de la précédente. Ainsi, aux termes de ces dispositions, la société à prépondérance immobilière est celle dont l’actif est, à la date de la cession de ces titres ou a été à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l’article L 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière.

Le constat est simple : les dispositions de l’article 219-I-a sexies-0 bis proposent une définition plus large de la notion de prépondérance immobilière en intégrant notamment, dans le pourcentage de 50 %, les droits afférents à un contrat de crédit-bail et les titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière. Deux éléments de définition restent cependant communs aux deux définitions : toutes deux intègrent dans ce fameux pourcentage les immeubles non affectés à l’exploitation et les droits portant sur ces immeubles.

Deux décisions, l’une du Conseil d’Etat du 29 septembre 2023 (n° 469788), l’autre de la Cour administrative de Nantes du 9 février 2024 (n° 23NT01228) permettent de cerner encore davantage la notion de prépondérance immobilière et de mesurer la portée des différences signalées plus haut et reprises dans la doctrine administrative.

La décision du Conseil d’Etat rappelle déjà que grave est l’erreur de confondre ″objet social″ et″affectation à l’exploitation″. Dans la mesure où, dans une SCI bailleresse, cet objet consiste précisément à donner en location les immeubles dont elle est propriétaire, la tentation est grande d’en conclure que ceux-ci sont nécessairement affectés à l’exploitation. C’est à cet endroit que l’erreur trouve son siège. Le Conseil d’Etat rappelle en effet que, par immeuble affecté à l’exploitation, il faut entendre ceux qui constituent des moyens permanents d’exploitation. En d’autres termes, sont affectés à l’exploitation les locaux dans lesquels la SCI est elle-même installée : bureaux, ateliers, halls d’exposition…. Du même coup, des immeubles, pourtant donnés en location conformément à l’objet social, ne peuvent en aucun cas être considérés comme tels. C’est simple : qui est installé dans les locaux ? Le locataire bien entendu.

Au demeurant, une question dans la même veine vient à l’esprit. La solution est-elle la même si le bien, propriété d’une EURL ou d’une SARL de famille, fait l’objet d’une location prévue par les statuts, mais cette fois consentie meublée ? Dès lors que la société est dans l’obligation de tenir une comptabilité commerciale, certains en concluent trop rapidement que l’immeuble loué est affecté à l’exploitation précisément parce qu’il est inscrit à l’actif du bilan de la société. L’erreur est là aussi patente. La détermination de l’affectation à l’exploitation ne dépend évidemment pas de la nature de la location. Le bien doit à coup sûr être inclus dans le calcul du pourcentage de 50 % pour conclure à la prépondérance immobilière de la société de personnes. Pas plus que s’il était donné en location nue, l’immeuble n’est davantage affecté à l’exploitation de la société. L’administration l’avait d’ailleurs précisé dans une réponse ministérielle Turck (n° 6897, 7097, et 7098 : JO. Déb. Sénat, 8 décembre 1994, p.  2898). Certes, cette réponse n’a pas été reprise dans le BOFIP actuel. Cela dit, on ne voit quelle autre analyse pourrait prévaloir.

L’arrêt de la Cour administrative de Nantes précité présente, elle, une question beaucoup plus délicate, celle de savoir si les droits portant sur un crédit-bail immobilier doivent être intégrés dans le calcul de 50 % même s’ils ne sont pas inscrits àl’actif immobilisé du bilan de la société. En l’occurrence, une société holding soumise à l’impôt sur les sociétés détenait les parts d’une société immobilière soumise à l’impôt sur les sociétés. Cette dernière détenait elle-même à son actif des droits portant sur un crédit-bail immobilier. La question était alors de savoir de quel régime relevait la plus-value réalisée par la société holding lors de la cession des titres de la société immobilière. La société holding entendait, elle, bénéficier du régime favorable aux plus-values de cession de titres de participation. Après avoir rejeté cette prétention, et appliquant à la lettre les dispositions de l’article 219-I-a sexies-0 bis précité, la cour considère que la cession porte effectivement sur les titres d’une société à prépondérance immobilière. En intégrant les droits portant sur le crédit-bail immobilier, le juge applique à la lettre la définition de la notion d’actif proposée par l’article 219-I-a sexies-0 bis du CGI.

En vérité, la cour estime que la notion d’actif n’implique pas une inscription des droits portant sur le crédit-bail immobilier dans un poste d’immobilisation au bilan de la société. Il suffit que ces mêmes droits figurent à l’actif de la société. Se fondant sur cette approche, elle intègre dans le pourcentage de 50 %les droits portant sur le crédit-bail immobilier pourtant non-inscrits à l’actif immobilisé pour conclure à la prépondérance immobilière de la société dont les titres sont cédés. Une distinction nette est donc clairement établie entre actif immobilisé et actif de la société immobilière. Au demeurant, le juge de l’impôt rejoint ici l’interprétation administrative propre à l’impôt sur les sociétés (BOFiP-IS-BASE-20-20-10-30-§ 40-31/12/2013).

Maintenant, en serait-il de même si la cession des titres d’une SCI relevant du régime des sociétés de personnes de l’article 8 du CGI était le fait d’un particulier soumis à l’impôt sur le revenu. Au regard de cet impôt, la plus-value relèverait des dispositions de l’article 150 UB du CGI précité si la société présentait les caractéristiques d’une société à prépondérance immobilière. Toutefois, pour les besoins du calcul du fameux pourcentage de 50 %, devrait-on inclure les droits portant sur un crédit-bail immobilier ?

Comme on l’a vu, la définition de la prépondérance immobilière proposée par cet article 150 UB du CGI comporte des différences notoires par rapport à celle de l’article 219-I-a sexies-0 bis du CGI précité au nombre desquels on relève l’absence de référence aux droits portant sur un crédit-bail immobilier. Dans ces conditions, une transposition de la solution retenue dans le cadre de l’impôt sur les sociétés dans le cadre des plus-values immobilières des particuliers paraît pour le moins sujette à caution. C’est au demeurant ce qu’estime l’administration dans sa documentation (BOFIP-RFPI-SPI-10-20-§ 60.-06/07/2016) traitant de ce sujet. Voici ce qu’elle énonce :  » Les droits détenus dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier par la société constituent, tant qu’elle n’acquiert pas la propriété de l’immeuble, des droits de nature mobilière. Ils ne sont donc pas à prendre en compte au numérateur pour l’appréciation de la prépondérance immobilière ».

La jurisprudence antérieure allait également dans ce sens. Ainsi, dès une décision du 8 février 2011 (n° 09DA725), la Cour administrative de Douai considérait que les droits détenus par une société dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier ne devaient pas être retenus pour l’appréciation de la prépondérance immobilière de la société. Précisons tout de même que, dans cette affaire, la société avait opté pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés et, qu’à cette époque, toutes les sociétés, qu’elles soient soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, pouvaient être considérées comme à prépondérance immobilière sur le fondement de l’article 150 0A du CGI, ancêtre de l’article 150 UB actuel. Pour fonder sa décision, la cour s’appuya sur les énonciations du Plan comptable général aux termes duquel à l’époque des faits les biens pris en crédit-bail n’étaient pas inscrits à l’actif. Dans sa version actuelle, l’article 212-5 dispose toujours que l’inscription de l’immobilisation à l’actif de la société n’intervient que lors de la levée d’option.

Du même coup, en allant plus loin dans l’analyse, on peut se demander si la notion d’actif retenue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité du 29 septembre 2023 pourrait modifier cette interprétation au regard des dispositions de l’article 150 UB précité. Pourrait-on soutenir que, par droits portant sur des immeubles au sens de ce texte, on doit également entendre les droits portant sur un crédit-bail immobilier parce que, même non immobilisé, il figure simplement à l’actif du bilan de la société. Certes, une SCI n‘est pas tenue de présenter une comptabilité commerciale, il n’en reste pas moins qu’elle possède un actif. En vérité, la solution se trouve sans doute dans la lecture de l’article 150 U du même code traitant du champ d’application des plus-values immobilières des particuliers en y incluant ″les droits relatifs à ces biens″. On doit alors entendre par là les droits inclus dans la propriété de l’immeuble susceptibles ensuite de faire l’objet d’un démembrement de propriété, autrement dit l’usufruit et la nue-propriété du même bien. Dans cette acception, les droits portant sur un crédit-bail immobilier de nature mobilière ne peuvent évidemment pas être assimilés aux droits portant sur des immeubles au sens de l’article 150 UB du CGI.

La doctrine administrative (BOFIP-BIC-BASE-60-10.-12/09/2012) en sort renforcée. Pour elle en effet, les droits attachés à un contrat de crédit-bail ne sont pas des éléments de l’actif immobilisé. Ils n’en figurent pas moins à l’actif, mais sont de nature mobilière d’où leur exclusion du pourcentage fatidique de 50 %.

Un conseil : se poser avant tout la question de savoir de quel impôt relève la SCI. En présence d’un crédit-bail immobilier, toute transposition de la définition propre à l’impôt sur les sociétés à une SCI soumise au régime des sociétés de personnes de l’article 8 du CGI pour bénéficier du régime des plus-values immobilière des particuliers est définitivement exclue et particulièrement dangereuse. Avis aux amateurs de sensations fortes.

BOI-RFPI-SPI-10-20 n°60, 06-07-2016

Les droits détenus dans le cadre d’un contrat de crédit-bail immobilier par la société constituent, tant qu’elle n’acquiert pas la propriété de l’immeuble, des droits de nature mobilière. Ils ne sont donc pas à prendre en compte au numérateur pour l’appréciation de la prépondérance immobilière.

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal