SCI « à l’IR » et associé à l’IS : imbroglio autour de la semi-transparence fiscale !

Eclairage du 20 septembre 2024 - N°518

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On distingue en France les sociétés opaques passibles de l’impôt sur les sociétés, des sociétés semi-transparentes définies à l’article 8 du Code Général des Impôts parfois qualifiées improprement de « sociétés à l’impôt sur le revenu ». La logique de cette semi-transparence fiscale, que certains dénommeront translucidité fiscale, apparait relativement simple. Pour autant, elle n’est pas sans soulever des difficultés pratiques si bien qu’elle implique un raisonnement à deux échelles.

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Commençons par préciser que la société semi-transparente aura la personnalité fiscale si bien que le résultat sera déterminé à chaque exercice à son niveau. En revanche, la société n’endossera pas la qualité de redevable de l’impôt qui, en tout état de cause appartiendra aux associés.

C’est ainsi que le résultat d’une société semi-transparente est déterminé par la société suivant les règles de l’impôt sur le revenu applicables à son activité. En cas de location nue effectuée dans une société civile immobilière, ce sont donc tout naturellement les règles relatives aux revenus fonciers qui s’appliqueront. Ensuite, l’on sait que la distribution ultérieure du résultat est sans incidence d’un point de vue fiscal ; les associés personnes physiques seront directement imposés sur leur quote-part bénéfices à reporter dans leur déclaration de revenus. Cette règle, bien connue de tous, connait pourtant un tempérament de taille sur lequel nos propos s’attarderont aujourd’hui.

Il convient en effet de préciser à ce stade qu’en matière de semi-transparence fiscale, la qualité de l’associé importe parfois finalement plus que l’activité exercée par la société. Nous faisons référence ici à l’article 238 bis K du Code général des impôts (CGI) qui prévoit un raisonnement différent pour les associés personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés (IS) et les entreprises industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposables à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel. Pour ces dernières, il convient en effet de déterminer la part de bénéfice correspondant à leurs droits selon les règles applicables à leur propre régime fiscal. C’est ainsi que la considération du régime fiscal de l’associé emporte parfois des conséquences et dichotomies pratiques qu’il convient à présent de préciser.

Dans l’espèce qui nous intéresse, une société civile immobilière était détenue à hauteur de 95% par une société passible de l’IS et, pour le solde par une personne physique.

La SCI exerçait une activité de sous-location de locaux d’activité nus qu’elle avait pris en crédit-bail pour une durée de quinze ans en 1999. Première subtilité qu’il convient de spécifier, il est de jurisprudence ancienne que cette activité relève sur le plan fiscal du régime des bénéfices non commerciaux (BNC).

Au cours de l’année 2014, soit l’année d’expiration du crédit-bail, la SCI leva l’option d’achat stipulée contractuellement à son profit si bien qu’elle devint en cours d’année propriétaire des locaux. Ce changement de qualité emporta des conséquences sur le plan fiscal dès lors qu’il convenait de distinguer :

Si ces précisions ne faisaient aucun doute, il en va différemment du traitement des conséquences fiscales de la levée d’option d’achat pour chacun des associés de la SCI. Plus précisément, l’Administration a pu considérer que la cessation de l’activité initiale et le changement de régime fiscal opéré avait « pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value correspondant à la différence entre la valeur réelle de l’immeuble et son coût d’acquisition ». C’est ainsi que le résultat imposable de la SCI a pu être majoré du montant d’une plus-value professionnelle à court terme.

Signalons dans l’immédiat que ce mécanisme d’imposition à la charge de l’acquéreur en cas de transfert de propriété, s’il n’a rien d’intuitif, résulte d’une fiction juridique consacrée par les textes. D’une part, l’article 93 du CGI relatif à la détermination des plus-values professionnelles dans le cadre de la détermination des BNC, prévoient expressément que « les contrats de crédit-bail conclus dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l’article L. 313-7 du code monétaire et financier sont considérés comme des immobilisations lorsque les loyers versés ont été déduits pour la détermination du bénéfice non commercial. » Par ailleurs, l’article 93 du même code, relatif aux modalités de détermination des bénéfices non commerciaux, prévoit pour sa part que « les biens acquis à l’échéance des contrats mentionnés au III de l’article 93 quater constituent des éléments d’actif affectés à l’exercice de l’activité non commerciale ». 

La transposition des éléments de faits de notre litige à ce cadre juridique nous permet ainsi de comprendre que l’acquisition du bien immobilier objet du crédit-bail, constitutive fictivement sur le plan fiscal d’une cession d’élément d’actif, a entrainé l’exigibilité, pour le crédit-preneur, d’une plus-value professionnelle imposable dans le cadre de ses bénéfices non commerciaux. Comme le signale le rapporteur public dans ses conclusions, cela apparait parfaitement logique au regard de la faible différence qui distingue le crédit preneur pour lequel l’immeuble pris à bail constituera en pratique un élément de son actif professionnel et, l’acquéreur à crédit d’un immeuble qu’il inscrirait à l’actif de son entreprise.

Revenons-en à présent à notre affaire. Dans sa proposition de rectification adressée à l’associé passible de l’impôt sur les sociétés, l’Administration avait réhaussé le résultat BNC calculé au sein de la SCI et, déterminé la part de l’associé précité (95%) dans ce bénéfice non commercial imposable. Dès lors, cette majoration entrainait pour cet associé un supplément d’impôt sur les sociétés à payer, le tout réhaussé d’intérêts de retard et d’une majoration.

La société associée assigna l’Administration devant le tribunal administratif d’Orléans en vue de la décharge de ces impositions complémentaires. L’intéressée revendiquait la prévalence de son régime fiscal d’imposition qui, calculé selon les règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux (BIC), méconnaissait ce principe de taxation en cas de changement de propriété d’un bien acquis en vertu d’une option d’achat formulé dans un crédit-bail ; principe circonscrit aux bénéfices non commerciaux. Le litige fût porté jusque devant le Conseil d’Etat (CE, 26 avr. 2024, n°472855).

Précisons en parallèle, qu’en seconde instance, la Cour administrative d’appel avait pu suivre la casuistique de l’Administration, mettant à la charge de la personne morale requérante, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés. Les juges du fond faisaient ainsi abstraction du principe défini à l’article 238 bis K du CGI précité et, prévaloir le régime de la semi-transparence de la SCI pour calculer le résultat de cette dernière suivant les règles de l’impôt sur le revenu (BNC en l’occurrence) applicables à son activité. En conséquence, et compte tenu du changement d’activité opéré par la levée d’option d’achat, le résultat, calculé selon les règles applicables aux bénéfices non commerciaux, était composé d’une plus-value professionnelle. Les juges ventilaient ensuite ce résultat entre les mains des deux associés au prorata de leur détention capitalistique.

Raisonnement surprenant donc, à rebours même des principes décrits en préambule.  Saisis sur pourvoi, les juges de la Cour suprême relevèrent l’erreur de droit et, rappelèrent de manière pédagogique la marche à suivre dans le schéma qui nous intéresse.

Se fondant sur le principe même de l’article 238 bis K du CGI, le Conseil d’Etat considéra qu’il convenait d’apprécier les conséquences fiscales du transfert de propriété de l’immeuble au regard du régime fiscal régissant la société requérante associée et assujettie à l’IS. Autrement dit, il convenait de rechercher si ce changement de propriété objet du litige emportait des conséquences fiscales en matière de bénéfices industriels et commerciaux. Prévalence donc du régime fiscal de l’associé à l’IS sur le régime fiscal des BNC utilisé pour la détermination du résultat de la société de personnes. Implicitement, les juges validaient donc l’abandon de la plus-value professionnelle pour cet associé dans sa quote-part de résultat imposable en raison de l’absence de règles spécifiant ce fait générateur d’imposition dans son régime d’imposition.

Rien de plus logique donc, la détermination du résultat au sein de la société semi-transparente ne saurait être cantonnée à un traitement fiscal uniforme au regard de l’ambivalence des catégories d’imposition propres à chacun de ses associés. Un raisonnement inverse aurait pour effet d’appliquer de manière erronée, les conséquences fiscales d’une opération strictement cantonnée à l’impôt sur le revenu, le passage d’une activité BNC à une activité relevant des revenus fonciers, à une entreprise assujettie à l’IS. Dès lors, la présence au capital de la société semi-transparente d’une société passible de l’IS implique un raisonnement distinct et, la détermination d’un résultat adapté aux dispositions entourant le régime fiscal de cette dernière.

En pratique, et dans le cas qui nous intéresse, il y avait donc lieu de déterminer deux résultats sur la période précédant la levée d’option d’achat :

En synthèse, il convient d’avoir à l’esprit que le résultat déterminé par la société semi-transparente selon les règles de l’impôt sur le revenu applicable à son activité est finalement tributaire du régime fiscal de ses associés, seuls redevables de l’imposition.

Droit fiscal
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche