RÉÉVALUATION ET LEASE-BACK : UN DUO GAGNANT
À manipuler avec précaution[1]
La période de crise sanitaire et économique que nous connaissons semblait peu propice à une loi de finances révolutionnaire. C’est pourquoi il nous paraît particulièrement important de regarder attentivement, parmi toutes les mesures proposées par le législateur, celle qui est destinée d’une part à renforcer les fonds propres des entreprises et celle qui vise à donner un peu de trésorerie.
Signalons toutefois que si la première mesure s’adresse à toutes les entreprises sans aucune distinction, la seconde ne pourra bénéficier évidemment qu’à des entreprises qui ont inscrit à l’actif de leur bilan un bien immobilier.
Ces deux mesures consistent à mettre en place une neutralité fiscale pour deux types d’opérations largement connues des praticiens, mais dont les impacts fiscaux limitaient les effets.
Il s’agit pour la première de l’opération de réévaluation des immobilisations corporelles et financières des entreprises, et pour la seconde de la technique dite du lease-back pour refinancer un bien immobilier inscrit au bilan des entreprises.
Toutefois, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, ces deux mesures contiennent de nombreux pièges, sans doute involontaires, mais qu’il convient de les connaître à défaut de pouvoir les maîtriser ou les contourner.
Lorsque cela est possible, le présent article vise à démontrer que la solution idéale consiste à combiner les deux méthodes pour parvenir conjointement à renforcer les fonds propres et obtenir une trésorerie disponible significative, sans que ces deux opérations soient immédiatement obérées par l’impôt.
LA RÉÉVALUATION LIBRE DES BILANS
Il convient de rappeler très rapidement que le principe du coût historique oblige les entreprises à tenir compte de la valeur comptable c’est-à-dire de la valeur historique des biens acquis, notamment lors de leur inscription à l’actif du bilan.
La réévaluation libre des bilans est donc une exception à ce principe.
Sur le plan des avantages, cette mesure permet essentiellement d’augmenter les fonds propres de l’entreprise, et ce en quasi franchise fiscale.
On peut facilement argumenter que cette opération permet d’améliorer la présentation des comptes de l’entreprise, dans la mesure où cette réévaluation donnera une image plus fidèle de la valeur des actifs que celle présentée traditionnellement par la valeur historique.
On notera aussi au passage que pour toutes les entreprises susceptibles d’être assujetties aux charges sociales sur dividendes qu’elles versent lorsque le bénéficiaire détient plus de 10 % du capital social, la réévaluation des fonds propres, une fois incorporée au capital, permettra d’échapper à cet assujettissement.[2]
Enfin, l’amélioration des fonds propres qui en résulte pourra le cas échéant mettre un terme à une situation de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social, qui constitue généralement un signal dans le risque de défaillance des entreprises.
Toutefois, il nous semble que les très petites entreprises vont être, dans les faits, écartées de cette mesure puisqu’elles ne détiennent que très rarement des participations ou des actifs financiers, encore plus rarement des biens immobiliers, et que ce texte n’autorise toujours pas, et pour des raisons parfaitement compréhensibles, la réévaluation des actifs incorporels.[3]
Revenons en quelques lignes sur le principe de neutralité fiscale édictée par le législateur.
L’écart de réévaluation des biens amortissable, doit être comptabilisé dans un compte de capitaux propres.
Cet écart doit faire l’objet d’une reprise au même rythme que l’accroissement des amortissements que la réévaluation a induit mais sur une durée maximum de 15 ans.
Ce qui indique clairement que pour toutes les immobilisations dont la durée d’amortissement sera supérieure à 15 ans, ce qui sera systématiquement le cas pour les immeubles, la neutralité fiscale ne sera pas assurée puisque les amortissements seront calculés sur une durée significativement plus longue que la durée de reprise de l’écart de réévaluation limitée à 15 ans.
Enfin, même si ce point ne pourra pas être développé dans le cadre de cet article volontairement restreint, les conséquences semblent être encore plus préoccupantes pour les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu, susceptible de bénéficier de mesures d’exonération des plus-values sur les biens immobiliers.[4]
ÉTALEMENT DES PLUS-VALUES RÉALISÉES LORS DES OPÉRATIONS DE LEASE-BACK
Une opération de cession-bail d’immeuble, plus communément dénommée lease-back, consiste à céder le bien immobilier de l’entreprise à un établissement de crédit-bail qui à son tour louera ce même immeuble à l’entreprise, généralement sur une durée de 15 ans.
C’est une technique qui existe depuis de nombreuses années, le plus souvent utilisée pour satisfaire un besoin important de trésorerie ce qui constitue son avantage principal, mais comme toute cession d’actifs la plus-value résultant de cette cession était taxable à l’impôt, ce qui a toujours constitué le frein le plus considérable au développement de ces opérations.
C’est tout le mérite de l’article 33 de la loi de finances pour 2021 d’avoir remis au goût du jour un dispositif d’étalement de l’imposition de cette plus-value.
Ce n’est pas la première fois que le législateur utilise cette disposition, les fiscalistes se souviendront sans doute que cette mesure s’est déjà appliquée aux cessions réalisées du 23 avril 2009 jusqu’au 31 décembre 2012.
Comme son ancêtre, ce dispositif est limité dans le temps et doit s’appliquer pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2020 jusqu’au 31 décembre 2022. Plus précisément encore, cette mesure s’applique aux immeubles dont la cession à une société de crédit-bail serait réalisée entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2023, et est précédée d’un accord de financement accepté par le crédit preneur à compter du 28 septembre 2020 et au plus tard le 31 décembre 2022.
Pardonnez-moi cette lapalissade constatant que cette mesure ne peut bénéficier évidemment qu’aux entreprises qui ont inscrit les immeubles à l’acquis de leur bilan (I). Par ailleurs, seules les entreprises sont concernées, les contribuables ne sont pas impactés par cette mesure (II).
Ce mécanisme est évidemment optionnel et susceptible de variation significative (III). Enfin, et contrairement à certaines interprétations trop rapides, cette mesure n’a aucun impact sur les fonds propres de l’entreprise (IV). Un exemple illustrera de façon plus pratique cette situation(V).
I. Les immeubles concernés
Première différence notable avec l’ancien régime, l’opération ne peut porter que sur un immeuble, bâti ou non, affecté par le crédit preneur à son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole[5].
Par conséquent, les immeubles de placement sont exclus de la mesure d’étalement et sont donc également visés les immeubles affectés par l’entreprise à des activités de gestion de son propre patrimoine.
Dans le cas cependant où l’immeuble est loué par le crédit preneur à une entreprise avec laquelle il entretient des liens de dépendance, tel que prévu à l’article 39, 12 du code général des impôts[6], et qui affectent l’immeuble à une des activités citées précédemment, le mécanisme de neutralisation fiscale trouverait à s’appliquer.
Dans le cadre de ses précédents commentaires[7], l’administration avait précisé que la cession portant sur les droits afférents à des immeubles ou sur des titres de sociétés à prépondérance immobilière se trouvait exclue du régime d’étalement. Il est à craindre que cette interprétation soit conservée.
II. Les entreprises concernées
Le dispositif d’étalement prévu s’applique quel que soit le régime d’imposition du cédant, car le texte vise les contribuables qui relèvent de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux.
Par conséquent, ce dispositif pourrait également s’appliquer à la quote-part de plus-value réalisée par une société de personnes dont ses contribuables seraient associés tout en étant imposables en leur nom dans ces mêmes conditions.
En d’autres termes, ce dispositif ne pourra pas s’appliquer à une personne physique détenant des parts de sociétés civiles immobilières ayant une activité de location d’immeubles nus.
III. Le mécanisme : comment ça marche ?
Comme son nom l’indique, la neutralisation fiscale ne bénéficie qu’aux opérations de lease-back, c’est-à-dire les opérations dans lesquelles la cession de l’immeuble est effectuée exclusivement au profit d’une société de crédit-bail et à condition que le cédant en retrouve immédiatement la jouissance en vertu d’un contrat de crédit-bail immobilier.
En l’absence de commentaires récents, il est nécessaire là encore de se référer à l’ancienne publication précitée.
Si le régime de l’étalement est optionnel, et qu’il constitue à ce titre une décision de gestion, l’option semble devoir porter sur l’ensemble de la plus-value afférente à l’immeuble cédé c’est-à-dire aussi bien sur la partie à court terme que sur la partie à long terme.
Il semble donc impossible aujourd’hui de choisir d’étaler la seule plus-value à court terme ou la seule plus-value à long terme.
Concrètement, pour la majorité des entreprises cette option se matérialisera par l’inscription appropriée dans le cadre de formulaires 2058 A ou 2033 B.
Pour les entreprises ne relevant pas d’un régime réel d’imposition, une option sous forme d’une déclaration sur papier libre serait acceptée par l’administration fiscale.
Pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, toute la plus-value subit le même régime du court terme et bénéficiera pour sa totalité du régime de l’étalement.
S’agissant des entreprises soumises à l’impôt sur le revenu, les plus-values réalisées sont assujetties au régime du court terme à hauteur des amortissements et à long terme pour le surplus.
S’agissant obligatoirement d’un immeuble d’exploitation, la plus-value pourra bénéficier de l’abattement pour la durée de détention prévue spécifiquement à l’article 151 septies B du Code général des impôts.
La mesure d’étalement ne concerne évidemment que la plus-value résiduelle après application de cet abattement.
Il est facile d’en conclure que cette mesure n’aura de portée réelle que pour les immeubles détenus depuis moins de 15 ans lorsqu’il s’agira de sociétés soumises à l’impôt sur le revenu.
Très logiquement, l’entreprise susceptible de bénéficier de l’exonération prévue à l’article 151 septies du Code général des impôts, devra également en tenir compte dans ses simulations.
Enfin, il faut signaler que la durée d’étalement peut être aussi variable, calquée sur la durée du crédit-bail obtenu pour en assurer la neutralité fiscale, sans pouvoir excéder 15 ans.
Il est évidemment mis fin à l’étalement lorsque l’immeuble est acquis par l’entreprise, mais aussi en cas de résiliation du contrat de crédit-bail, le solde de la plus-value devenant alors immédiatement imposable.
IV. Pas d’impact sur les fonds propres
Selon un avis N° 29 de l’Ordre des experts-comptables relatif au contrat de location, le traitement comptable des plus-values de cession consécutives aux opérations de lease-back varie selon la nature du contrat de location consécutif à la cession.
En cas de location simple, la plus-value est reconnue en totalité au cours de l’exercice de cession pour autant que cette cession soit conclue aux conditions de marché.
À l’inverse, en cas de location financement, ce qui est le cas incontestable du lease-back, la plus-value est inscrite en produits constatés d’avance pour être rattachés aux résultats futurs, pendant la durée du contrat, au prorata des loyers. Cela doit conduire à comptabiliser le montant de cette plus-value non pas dans un compte de résultat, mais dans un compte de « produits constatés d’avance », destiné à contrebalancer le versement des redevances de crédit-bail, sur la durée consentie par le contrat, mais nécessairement limitée à une période de 15 ans, ces opérations contribuant à en assurer la neutralité fiscale et comptable.
Ces précisions et recommandations démontrent, si besoin était, que cette opération de lease-back ne produit aucun effet sur les fonds propres mais seulement une opération mettant à la disposition des entreprises une trésorerie significative sans être impacté immédiatement par l’impôt.
Il est possible de faire mieux pour permettre à l’entreprise d’engranger non seulement une trésorerie supplémentaire mais un accroissement significatif de ses fonds propres, ce sera l’objet du dernier chapitre.
V. Exemple
Examinons rapidement à travers un exemple la situation de l’entreprise X, remplissant par hypothèse toutes les conditions pour bénéficier de cette mesure et dont le bilan simplifié se présente comme suit :
Un expert immobilier consulté a déterminé que la valeur vénale du bâtiment représentait une somme de 1 500, c’est sur cette base que la société de crédit-bail EXPERT LEASE a été approchée. Les négociations ont abouti à une cession de cet immeuble pour une valeur de 1 500, moyennant la mise en place d’un crédit-bail immobilier sur 15 ans, moyennant des redevances annuelles de 108 K€.
Immédiatement après cette cession, voici la situation du bilan.
En vérité, les impacts sur les résultats sur toute la période du contrat de crédit-bail se présentent synthétiquement comme suit :
Cet exemple, au demeurant simpliste, illustre parfaitement les avantages de ce mécanisme mais aussi ses inconvénients. L’avantage en trésorerie est évident, l’entreprise a encaissé sa plus-value sans assumer le moindre paiement d’impôts.
De plus, le décalage entre le paiement des redevances de crédit-bail et la reprise par 15ème de la plus-value de cession, génère un déficit d’exploitation et par conséquent une légère économie d’impôt sur toute la durée du crédit-bail.
Cependant, il est tout aussi facile de constater que cette opération :
- – n’a aucune conséquence sur le montant des capitaux propres qui ne sont pas impactés par la cession ;
- – que le compte de résultat de l’entreprise, et bien sûr sa marge brute d’autofinancement, sont amoindris par le paiement des redevances de crédit-bail immobilier ;
- – les économies d’impôts générées les 15 premières années vont se traduire par un supplément d’impôt, lors de la levée d’option, lorsqu’il faudra calculer la réintégration de l’écart constaté entre la durée courte du contrat de crédit-bail (15 ans) et la durée « normale » d’amortissement d’un bien de cette nature qui se trouve être rarement en dessous d’une fourchette comprise entre 30 et 50 ans.
LA COMBINAISON DES DEUX TECHNIQUES – UN DUO GAGNANT ?
À la lecture des deux chapitres précédents, il est relativement simple d’en conclure que pour optimiser les deux nouveautés de la loi de finances pour 2021, pour les entreprises possédant à l’actif de leur bilan un immeuble affecté à l’exploitation, l’idéal serait de pouvoir procéder d’abord à sa réévaluation libre en franchise d’impôt, afin d’augmenter à due concurrence les capitaux propres de l’entreprise, puis de céder l’immeuble par une opération de lease-back immobilier, tout en bénéficiant de l’étalement de la plus-value de cession.
C’est bien évidemment l’idéal qui consiste dans cette période complexe que vivent les entreprises à combiner une augmentation substantielle des capitaux propres, une trésorerie significative, le tout sans être diminué de l’impôt correspondant.
Mais l’idéal est-il possible ?
Dans la première opération, qui consiste à réévaluer le bien immobilier par inscription de la plus-value en capitaux propres, la neutralité fiscale est assurée par la reprise des amortissements, là aussi sur une durée limitée à 15 ans.
Si cette même opération de réévaluation libre est immédiatement suivie d’une opération de lease-back immobilier, la lecture des textes dans leur rédaction actuelle ne permet pas d’affirmer que la règle générale de taxation s’applique… Ou pas ?
La différence est bien sûre fondamentale et il semblerait d’ailleurs paradoxal que la mesure permettant aux entreprises d’améliorer significativement leur trésorerie les empêche, dans le même temps, d’améliorer leurs fonds propres !
Il paraît déterminant que le législateur puisse intervenir sur ce point. Gageons que l’administration fiscale le fera lors de ses commentaires sur l’ensemble de ces dispositifs. Le précédent commentaire datant du 12 septembre 2012, une actualisation et certaines précisions s’imposent, aussi bien pour l’application de la neutralité fiscale de la réévaluation des actifs lorsque le bien réévalué est susceptible de bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu, que sur le maintien de la neutralité fiscale lorsque l’entreprise aura combiné adroitement la réévaluation de son actif immobilier avec une opération de lease-back.
Il nous reste à souhaiter que ces précisions interviennent rapidement.
[1] Cet article est très largement inspiré de celui paru dans la Revue Française de Comptabilité de Mars 2021-N° 551-Pages 50 et suivantes.
[2] Encore faudra-t-il vérifier au préalable que la taxation des dividendes aux charges sociales a un impact forcément négatif, ce qui est loin d’être toujours le cas.
[3] La réalisation d’une réévaluation libre ne peut porter que sur les immobilisations corporelles et financières (C. com. art. L 123-18 et PCG art. 214-27). Les immobilisations incorporelles (fonds de commerce, brevets, marques…) en sont exclues, tout comme les stocks et valeurs mobilières de placement.
[4] Par exemple par l’application des articles 151 septies où 151 septies B du CGI.
[5] Article 39 novodecies, II, du CGI : « … s’applique aux immeubles dont la cession à une société de crédit-bail est réalisée entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2023 et est précédée d’un accord de financement accepté par le crédit-preneur à compter du 28 septembre 2020, et au plus tard le 31 décembre 2022, et qui sont affectés par le crédit-preneur à son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole
Le premier alinéa du présent II ne s’applique pas aux immeubles affectés par l’entreprise mentionnée au I à des activités de gestion de son propre patrimoine. Par exception, le premier alinéa du présent II s’applique lorsque l’immeuble est loué par l’entreprise mentionnée au I à une entreprise avec laquelle elle entretient des liens de dépendance au sens du 12 de l’article 39 et qui affecte l’immeuble à une activité mentionnée au premier alinéa du présent II ».
[6] Cet article précise que des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises :
- – Lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre où il exerce en fait le pouvoir de décision ;
- – Lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans des conditions définies à l’alinéa précédent, sous le contrôle d’une même tierce entreprise.
[7] Publié le 12 septembre 2012, il s’agit du BOI-BIC-PVMV-40-20-20.