Réduction de capital non motivée par des pertes : étude d’une opération épineuse sur le plan fiscal

Eclairage du 28 juin 2024 - N°513

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Rien ne s’oppose juridiquement à ce que les associés d’une société procèdent à une réduction de capital non motivée par des pertes. La validité de l’opération est d’ailleurs expressément reconnue à travers plusieurs textes propres à la structure juridique concernée.

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Nous limiterons ici nos développements à une seule catégorie de réduction de capital non motivée par des pertes opérée par les sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés : celle consistant en un rachat des titres suivi de leur annulation. Plus spécifiquement, la société rachètera à l’associé ou actionnaire intéressé tout ou partie de ses titres avant de les annuler. Ce rachat s’effectue à la valeur réelle des titres, si bien que, cette valeur dépassera la majeure partie du temps leur valeur nominale.

A cet effet, nous ferons ici l’hypothèse que cette différence entrainera la remise d’une somme d’argent via une diminution des réserves distribuables.  

Si sur le plan juridique, la validité du mécanisme ne fait aucun doute, il en va différemment sur le plan fiscal où la prudence et un certain nombre de précautions s’imposent pour pallier une éventuelle remise en cause de cette opération qui, rappelons-le dès maintenant, doit en toute circonstance être exceptionnelle.

Nous le verrons, la définition d’un régime fiscal spécifique à ces opérations de réduction de capital a amené les praticiens à reconsidérer leur usage sous un angle plus favorable. Dans certaines situations, leur recours pourra venir nettement concurrencer sur le plan fiscal celui consistant en une distribution de dividendes. Pourtant, il est clair que les opérations répondent à des objectifs radicalement différents si bien que l’Administration a, au cours des dernières années, tenter à de nombreuses reprises de remettre en cause le recours au dispositif arguant du fait qu’il visait essentiellement à contourner l’imposition frappant les distributions de dividendes. Cela explique par ailleurs qu’on assiste ces dernières années à une multiplication des avis rendus par le Comité d’abus de droit fiscal et récemment, à des positions des juges du fond sur la question.   

Après avoir rappelé le principe d’imposition des réductions de capital non motivées par des pertes effectuées par voie de rachat des titres suivie de leur annulation (I), nous dresserons un panorama des différents avis rendus par le Comité d’abus de droit fiscal ces dernières années (II), avant d’étudier les positions récentes rendues par les juges du fond (III) en la matière.

Le régime fiscal applicable aux réductions de capital non motivées par des pertes effectuées par voie de rachat de titres suivi de leur annulation

A – Quid des droits d’enregistrement ?

L’opération est particulièrement avantageuse au regard des droits d’enregistrement car, la loi de finances pour 2019 est venue exonérer de droits, les réductions de capital (CGI, art. 814 C)1. Ainsi, le législateur a supprimé, sauf cas particuliers, la formalité d’enregistrement du procès-verbal de l’assemblée générale statuant à cet effet. Toutefois, il y a lieu à ce stade, de distinguer selon que l’opération soit effectuée en un unique ou deux actes en raison d’une subtilité de rédaction de l’article 841 C du Code général des impôts.

En effet, si l’opération est effectuée en deux actes distincts (rachat de titres et réduction de capital), l’acte constatant le rachat par la société de ses propres titres est imposé au droit proportionnel de cession des titres prévu à l’article 726 du CGI.

B –  Une imposition selon le régime des plus-values

On rappellera ici que le régime présenté n’a vocation à s’appliquer qu’à une seule catégorie de réduction de capital : celle consistant en un rachat de titres en vue de leur annulation.

La loi de finances rectificatives pour 20142 a mis fin à l’ancien régime hybride régissant la fiscalité des rachats de titre suivis de leur annulation. On rappellera que cette évolution législative est issue d’une décision du Conseil constitutionnel3 statuant sur la constitutionnalité des dispositions du 6° de l’article 112 ancien du Code général des impôts. Le régime de droit commun prévoyait une imposition du rachat comme un revenu distribué d’une part et, pour le surplus une taxation sur la plus-value d’autre part.

Le 6° de l’article 112 du CGI prévoyait, avant le 1er janvier 2015, un régime dérogatoire pour « les sommes ou valeurs attribuées aux actionnaires au titre du rachat de leurs actions, lorsque ce rachat est effectué dans les conditions prévues aux articles L. 225-208 ou L. 225-209 à L. 225-212 du code de commerce. Le régime des plus-values prévu, selon les cas, aux articles 39 duodecies, 150-0 A ou 150 UB est alors applicable. » Ainsi, existait un régime d’imposition hybride et dérogatoire selon la voie de rachat opérée.

Le Conseil constitutionnel a pu estimer que les dispositions du 6 ° de l’article 112 du Code général des impôts devaient être déclarées contraires à la Constitution. Par suite, l’article 88 de la loi de finances rectificative pour 20144, est venue harmoniser le régime d’imposition dévolu aux réductions de capital par voie de rachat de titres suivie de leur annulation en prévoyant une taxation aux régimes des plus-values à l’ensemble de ces opérations : « Les sommes ou valeurs attribuées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions. Le régime des plus-values prévu, selon les cas, aux articles 39 duodecies, 150-0 A ou 150 UB est alors applicable. »

Cette uniformisation du régime a amené le praticien à reconsidérer la question sous un angle plus favorable. L’instauration du prélèvement forfaitaire unique (12,8%) en 2018 a quelque peu accentué ce constat, l’appréhension de réserves accumulées de manière ponctuelle pouvant dès lors faire l’objet d’un arbitrage. Si les conditions sont réunies, la réduction de capital pourra en effet se révéler avantageuse pour le contribuable en raison d’une assiette taxable moindre que dans le cadre d’une distribution de dividendes. De même, l’option certes globale, pour l’impôt sur le revenu permettra de bénéficier d’aménagements fiscaux : pour les titres acquis avant 2018 par exemple, le bénéfice éventuel de l’abattement renforcé de 85%.

Toutefois, on rappellera que, dans le cadre du régime mère fille (holding et filiale à l’IS), la quote-part réintégrée dans le cadre de l’imposition des dividendes (5%) sera plus faible que celle réintégrée dans le cadre de la cession des titres de participations (12%).

Réduction de capital non-motivé par des pertes et abus de droit : synthèse des avis rendus par le Comité d’abus de droit fiscal en la matière

La question de l’existence éventuelle d’un abus de droit fiscal dans le cadre d’une réduction de capital non motivée pas des pertes est loin d’être anecdotique. A titre illustratif, la problématique représentait 25% des avis émis en 2021. On constate qu’une majorité des avis rendus par le Comité sont défavorables à la mise œuvre de la procédure de l’abus de droit, sans doute en considération de la difficulté à réunir ses conditions d’application. Cette redondance des contrôles opérés par l’Administration s’explique certainement en raison de la disparation du régime d’imposition hybride antérieur à 2015 pour laisser place à un régime d’imposition sur les plus-values qui a amené les praticiens à se ressaisir de la question.

A titre liminaire, on rappellera que l’abus de droit fiscal est composé de deux branches :

La démonstration d’un abus de droit pour fictivité apparait complexe en ce que l’opération envisagée reposera la plupart du temps sur une réalité économique sous-jacente.

C’est la raison pour laquelle l’Administration s’adonne à démontrer l’existence d’un abus de droit pour fraude à la loi au motif que l’opération de réduction de capital non motivée par des pertes serait contraire à l’intention du législateur et procéderait d’une volonté unique d’éluder l’impôt frappant les distributions de dividendes.

A – Panorama des arguments retenus favorablement par le Comité

Il apparait de prime abord intéressant de s’intéresser aux montages sociétaires dans lesquels le Comité a été amené à statuer.  

Les situations examinées traitent de réductions de capital opérées au sein d’une structure aussi bien sociétaire qu’individuelle. Le point de la dilution semble être important en ce que les opérations soumises à examen ne comportaient pas de réel effet dilutif pour l’associé voyant ses titres annulés7. En effet, ce dernier voyait soit sa participation largement majoritaire réduite au profit d’un second ne détenant qu’une participation souvent réduite à une part. Ensuite, la réduction pouvait s’appliquer de manière globale à l’ensemble des associés conduisant là encore, à une inertie capitalistique. Cette précision nous apparait importante en ce qu’elle souligne que l’Administration sera plus encline à aller sur le terrain de l’abus de droit en l’absence d’effet dilutif. Dans le cas contraire, l’associé verrait potentiellement ses prérogatives politiques et financières diminuer, battant ainsi à revers l’exclusivité fiscale de l’opération.

Pour la suite, le schéma apparait relativement classique. Les associés décident par assemblée générale extraordinaire de procéder à une réduction de capital par voie de rachat des titres suivi de leur annulation. Passé le délai d’absence d’opposition formée par les créanciers, les associés procèdent à la réduction définitive du capital. En raison d’un niveau capitaux propres bien souvent élevé, l’excédent du prix de rachat des parts sur leur valeur nominale se matérialisera en comptabilité par un débit des sommes sur les comptes affectés aux autres réserves ou report à nouveau. Les sommes seront dans la plupart des situations portées au crédit du compte courant d’associé du contribuable.

Si la chronologie des opérations constitue un élément factuel d’importance, les finalités juridiques, économiques recherchées par l’associé en sont tout autant. C’est d’ailleurs sur ce point que l’Administration peine à obtenir la faveur du Comité, faute de contestation des arguments avancés par les contribuables.

Dans chacune des affaires examinées depuis 2021, le Comité rappelle de manière très pédagogique un principe établi en jurisprudence selon lequel le choix de la voie la moins onéreuse fiscalement est, à lui seul insuffisant pour caractériser un abus de droit.

Cela étant, il en va différemment si l’Administration démontre que l’opération traduit un montage artificiel. Cette artificialité ouvrirait en effet la porte de l’existence d’un éventuel abus de droit pour fraude à la loi en traduisant l’existence d’une opération contraire à la volonté du législateur. Comme nous le verrons, l’existence de cet artifice consacré par le Conseil d’Etat8, vise à combler la difficulté selon laquelle des textes resteraient silencieux quant à la volonté du législateur et, par conséquent pour lesquels il serait impossible de démontrer une entrave à l’esprit du législateur9. Démontré, il serait ensuite assez aisé pour l’Administration d’établir que le montage frauduleux était motivé pour des raisons fiscales peu important que celles-ci soient exclusives ou principales.

En tout état cause, il apparait certain aux yeux du Comité que l’opération de réduction de capital non motivée par des pertes doit avoir un caractère exceptionnel. Elle ne saurait en aucun cas, remplacer une distribution régulière de dividendes sous peine d’être, à juste titre, sanctionnée. Pour autant, et nous le verrons d’autres critères peuvent caractériser un abus de droit aux yeux du Comité.

Parmi les exemples de justifications apportées par les contribuables et accueillies positivement par le Comité, on recense :

A titre illustratif, à la suite de la cession de sa principale branche d’activité, une société était dotée de capitaux propres disproportionnés par rapport à son activité résiduelle10. Les associés entendaient ainsi réduire leur montant pour les ramener à une valeur corrélée à la nature de leur activité actuelle. Précision surprenante, les associés procédèrent à la suite de la réduction à une augmentation de capital par prélèvement sur les réserves pour le porter à un niveau supérieur à celui avant les opérations réalisées. L’absence d’une quelconque contestation formulée par l’Administration de ce but économique recherché suffit pour que les contribuables obtinrent la faveur du Comité.

Autre exemple en la matière11, une société de commissariat aux comptes et d’expertise-comptable avait cédé la quasi-totalité de ses activités. Les capitaux propres de la société étant disproportionnés au regard de l’activité subsistante, les associés décidèrent de réduire le capital de la société, rachat matérialisé là encore principalement par prélèvement des sommes sur le compte du report à nouveau pour être inscrites au crédit du compte courant d’associé. L’argumentation de l’Administration était ici fondée sur le fait que la cession susvisée avait été réalisée en anticipation du départ à la retraite de l’associé et donc présumait la fin de l’activité à venir. Ainsi, elle revendiquait le fait que la réduction de capital visait à contourner et minorer l’imposition qui résulterait du boni de liquidation entre ses mains. Là encore, le Comité a écarté la mise en œuvre de l’abus de droit, approuvant la finalité économique du montage.

Début 2024, le Comité a réaffirmé le raisonnement exposé précédemment dans une affaire similaire12, témoignant une nouvelle fois de la difficulté d’écarter la motivation économique du montage.

On peut ici prendre l’exemple d’associés qui justifiaient la réduction au regard d’une restructuration globale de la société amorcée depuis plusieurs années. Opérant dans un secteur d’activité sous tension, les associés avaient tenté en vain de céder la société, l’immobilier d’exploitation inscrit à l’actif conduisant à une valeur vénale de la société trop onéreuse et à réduire sa rentabilité. Ce constat conduit les associés à externaliser l’immobilier d’exploitation, l’opération dégageant là aussi des liquidités importantes. Si ces liquidités ont permis d’effectuer des investissements permettant d’améliorer la rentabilité de la société, les associés avaient entendu en outre diminuer son capital en vue d’appréhender l’excédent placé en réserves et donc diminuer la valeur vénale. On l’aura compris, la restructuration opérée ici s’effectuait dans un souci de facilitation de la transmission à terme de l’entreprise.

Autre exemple en la matière, le Comité a pu estimer fondée une argumentation basée sur l’anticipation de la transmission de l’entreprise en opérant une réduction de capital réduisant par voie de conséquence sa valeur vénale. La logique approuvée par le Comité repose sur le fait que les réserves excessives accumulées sont susceptibles de rendre la transmission et les besoins de refinancement onéreux13.

Plus récemment encore14, le Comité a reproché à l’Administration aussi bien une absence de contestation au regard de l’excessivité des liquidités détenues que d’argumentation qui démontrerait l’existence d’un montage artificiel permettant de contourner l’imposition susvisée.

En clair, dans chacune de ces affaires, la ponctualité de l’opération corrélée à l’absence de contestation, de justification de l’Administration suffit à écarter, aux dires du Comité, l’existence d’un montage artificiel.

B – Opérations susceptibles d’ouvrir la porte de l’abus de droit

S’agissant du cas inverse, à savoir la reconnaissance par le Comité de l’existence d’un abus de droit, on relève depuis 2021 seulement deux affaires concernées15, dont l’issue ne faisait guère de doute au regard de la combinaison des faits avec les principes jusqu’à présent identifiés. Nous soulignerons en préambule que toute concomitance entre la réduction suivie d’une augmentation de capital est à proscrire. Au regard de la similitude de ces deux affaires nous reprendrons l’exemple de la première.

En l’espère, une SAS était détenue par des parents et leurs enfants. Par une assemblée générale mixte de 2015, les associés décidaient d’une part, d’affecter l’intégralité du résultat en réserves et de procéder à une réduction du capital par voie de rachat d’une partie des actions des actionnaires en vue de leur annulation. L’excédent du prix de rachat sur la valeur nominale des titres, là aussi majoritaire, a été prélevé sur les réserves et porté au crédit des comptes courants d’associés. On l’aura compris, là encore, les associés avaient placé la fraction des sommes représentative de la plus-value sous le régime fiscal des plus-values, l’Administration mettant en œuvre la procédure d’abus de droit fiscal. Au cours de cette même assemblée générale, les associés décidaient par la suite de procéder à une augmentation de capital pour le porter au montant antérieur à la réduction.

Le Comité releva que la chronologie des opérations a eu pour effet de n’entrainer in fine aucune modification de la répartition du capital social. Ce schéma appelle un constat. Certes, la répartition capitalistique n’est pas modifiée mais, les deux opérations sont sensiblement différentes en ce que la première réduit le niveau des capitaux propres tandis que la seconde, par prélèvement sur les réserves, s’effectue sur un niveau de capitaux propres constant16.

Le Comité souligna également le fait que l’un des parents a prélevé sur son compte courant les capitaux avant même l’ouverture du délai d’opposition des créanciers. Enfin, et c’est ici que l’opération apparait pour le moins surprenante et critiquable, les associés ne se prévalaient d’aucune justification autre que fiscale.

Le Comité justifia ainsi l’existence d’un montage artificiel, contraire à l’intention du législateur, inspiré par la volonté de bénéficier du régime fiscal favorable des plus-values et de contourner l’imposition qui frappent les revenus de capitaux mobiliers. De manière prévisible, le Comité estima donc que l’Administration était fondée à mettre en œuvre la procédure.

C – Quelle portée pour ces avis rendus par le Comité de l’abus de droit fiscal 

Précisons désormais que pour l’ensemble des affaires précitées pour lesquelles le Comité a écarté la mise en œuvre de l’abus de droit, l’Administration a refusé de se ranger à l’avis estimant que l’opération ne répond à aucun autre motif que celui d’appréhender les réserves sous un régime fiscal plus favorable et qu’une distribution de dividendes aurait entrainé une réduction de valeur de la société identique.

L’Administration n’est pas tenue de se ranger à l’avis du Comité mais en cas de réclamation, la charge de la preuve lui incombe17.

A cet égard, la solution définitive appartiendra certainement aux juges administratifs dans le cadre d’un contentieux.

Deux décisions de justice récentes ont pu attirer notre attention.

Des positions récentes des juges du fond laissant perplexes

A – Une position du tribunal administratif de Montpellier laissant perplexe

D’abord, le tribunal administratif de Montpellier18 a statué courant février de manière inédite à notre connaissance, sur une affaire qui avait été soumise au Comité d’abus de droit fiscal en 202119.

En l’espèce, un associé unique d’une EURL procédait à une réduction de capital par voie de rachat et annulation de parts. La différence entre le prix de rachat et la valeur nominale des parts rachetées, représentative de la majorité de la répartition, fût imputée sur les réserves. L’associé plaça alors les sommes sous le régime fiscal des plus-values tel que défini au 6° de l’article 112 du CGI.

L’Administration mit en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal en invoquant une unique volonté d’appréhender des dividendes sous couvert de l’application du régime des plus-values des particuliers en contrariété avec l’intention du législateur et a estimé qu’aucun motif autre que fiscal ne justifiait cette réduction de capital.

Le Comité d’abus de droit fiscal saisi, a par la suite écarté la mise en œuvre de la procédure de répression au regard du caractère singulier de l’opération et de l’absence de justification de l’Administration permettant de caractériser l’existence d’un montage artificiel. Cette dernière avait toutefois refusé de se ranger à l’avis arguant du caractère exclusivement fiscal du but recherché dans l’opération estimée artificielle.

C’est ainsi que le tribunal administratif de Montpellier fût saisi de l’affaire. L’Administration faisait valoir que l’opération n’était motivée « ni par le retrait d’un associé, ni par l’amélioration de la structure de financement, ni par la réduction des risques de la société vis-à-vis de ses créanciers, ni par la fidélisation des associés ».  Elle ajoutait qu’aucune distribution de dividendes n’était intervenue depuis la création de la société. Enfin, elle évoquait la présence d’un compte courant d’associé débiteur avant la réduction, devenu créditeur à l’issue de cette dernière, l’extinction de cette dette ne constituant aucun intérêt économique pour l’entreprise.

De son côté, le contribuable justifiait l’opération par une adaptation des capitaux propres de la société à son activité réelle alors réduit et par voie de conséquences une diminution de son exposition aux risques sociaux.

Le tribunal Administratif caractérisa l’opération comme constituant un montage artificiel contraire à la volonté du législateur motivée par un but exclusivement fiscal : celui de contourner l’application de la fiscalité des dividendes. Elle approuva à ce titre la casuistique de l’Administration, à qui on le rappelle il incombait la charge de la preuve, mettant de côté l’argument tenant au caractère exceptionnel de l’opération.

En clair, la problématique est une question de faits qu’il convient de motiver par la recherche d’un objectif autre que fiscal. Ici et de manière assez surprenante, les juges n’ont pas suivi l’avis du Comité et l’argumentation du contribuable, pour retenir l’existence d’un montage artificiel. Si c’est bien sur ce premier critère de l’abus de droit pour fraude à la loi que s’articule tout l’enjeu des débats, on s’étonnera de raisonnement du tribunal basé sur la contrariété à l’intérêt social de la société.

B – Un arrêt de Cour administrative d’appel énigmatique

Plus récemment, une Cour administrative a statué de manière inédite à notre connaissance sur la question.

Là encore, une SARL procédait à la réduction de son capital par voie de rachat de titres suivie de leur annulation. La valeur totale de rachat fût imputée en partie sur le capital social et principalement sur les comptes de réserves distribuables de la société. Les associés sortants allotis avaient alors placé sous le régime des plus-values les sommes correspondantes en vertu du 6° de l’article 112 du CGI.

S’appuyant sur une absence de répartition desdites réserves antérieurement, l’Administration considéra les sommes comme des revenus distribués et assujettit la société au prélèvement forfaitaire non libératoire de l’époque, 21%.

Les juges d’appel approuvèrent le caractère de revenus distribués donné par l’Administration au terme d’un raisonnement pour le moins surprenant. Ils ont estimé qu’il y a avait lieu d’appliquer le 1° de l’article 112 du CGI pour retenir cette qualification. Pour rappel, cette disposition prévoit que ne sont pas considérés comme revenus distribués : « Les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission. Toutefois, une répartition n’est réputée présenter ce caractère que si tous les bénéfices et les réserves autres que la réserve légale ont été auparavant répartis. »

En clair, les juges ont pu estimer que les répartitions ne présentaient pas le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission au motif du non-respect de la condition posée à la seconde phrase à savoir une répartition antérieure intégrale de tous les bénéfices et réserves autres que la réserve légale.

Les contribuables se prévalant pourtant des dispositions du 6° de l’article 112 du CGI, la Cour administrative d’appel cantonne le rattachement des faits à l’application exclusive du premier alinéa taisant toute éligibilité éventuelle aux dispositions du 6°.

En l’espèce, les faits semblaient correspondre aux opérations visées au 6°, les répartitions litigieuses étaient en effet issues d’un rachat de titre suivi de leur annulation. Certes le rachat s’était matérialisé par un prélèvement des capitaux sur le poste des autres réserves jusque-là non distribuées, mais cela n’enlève en rien la nature de l’opération originelle.  Pourtant, l’interprétation faite par les juges dans l’application de l’article soulève la question de l’articulation des différents alinéas de l’article précité20 et d’une éventuelle hiérarchie : l’application du 1° exclut elle celle du 6° ?  

A la différence de la précédente décision étudiée, les motivations des protagonistes semblent ici sans incidence tout comme l’existence éventuel d’un abus de droit. A la lecture des conclusions du rapporteur public, une telle procédure semble ici inadaptée, le contentieux s’articulant autour d’une remise en cause du régime fiscal applicable.  

Nous resterons bien attendu attentifs à la suite éventuelle donnée à ce contentieux et à la position du Conseil d’Etat sur cette problématique loin de réunir le consensus de toutes les parties prenantes !

  1. [1] E. Pornin, « Vade-mecum de la fiscalité sur les réductions de capital », Revue fiscale du patrimoine n°4, avril 2023 ↩︎
  2. [2] Loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ↩︎
  3. [3] Cons. Const., 20 juin 2024, n° 2014-404 QPC ↩︎
  4. [4] V. note n°8 déjà citée ↩︎
  5. [5] LPF, art. L64 ↩︎
  6. [6] LPF, art. L64 A ↩︎
  7. [7] Cabinet Bornhauser « La Réduction de Capital entre Mythe et Réalité (Partie II) », 31 mai 2015 ↩︎
  8. [8] CE, 28 oct. 2020, n° 428048 ↩︎
  9. [9] P. Fernoux, « Abus de droit et montage purement artificiel », 22 mai 2024 ↩︎
  10. [10] CADF/AC n°1/2021, 14 janv. 2021, affaires n°2020-24 et n°2020-23 ↩︎
  11. [11] CADF/AC n°7/2021, 15 oct. 2021, affaire n°2021-21 ↩︎
  12. [12] CADF/AC n° 1/2024, 21 mars 2024, affaire n°2023-07 ↩︎
  13. [13] CADF/AC n°7/2021, 15 oct. 2021, affaire n°2021-24 ↩︎
  14. [14] CADF/AC n° 3/2023, 24 nov. 2023, affaire n°2023-05 ↩︎
  15. [15]CADF/AC n°6/2021, affaire n°2021-20 et CADF/AC n° 1/2022, affaire n°2021-27 ↩︎
  16. [16] R. Mortier, « La sortie de cash d’une société par réduction de son capital », Droit des sociétés n°2, févr. 2023 ↩︎
  17. [17] BOI-CTX-DG-20-20-10 §140, 02/08/2019 ↩︎
  18. [18] TA Montpellier, 12 févr. 2024, n°2201983 ↩︎
  19. [19] CADF/AC n° 3/2023, 24 nov. 2023, affaire n°2020-29 ↩︎
  20. [20] « Revenus distribués et assimilés – Réduction de capital par voie de rachat de parts sociales : revenus distribués ou plus-values ? – Commentaire avec conclusions du rapporteur public », Droit fiscal n° 22, 30 mai 2024, comm. 270 ↩︎
Droit fiscal
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche