La sanction du recel est une menace sérieuse pour tout héritier qui voudrait jouer au petit – ou grand – cachotier. Pour autant, la demande se heurte parfois à des difficultés pratiques qui la rendent beaucoup moins redoutable. La jurisprudence récente en donne un certain nombre d’illustrations, notamment lorsque le conjoint survivant en est la cible. Revue de détail.
L’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession est réputé accepter purement et simplement la succession sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés (C. civ., art. 778, al. 1er).
Pas vu, pas pris ; pris puni. Et tout cela à quitte ou double, pour que l’importance de la sanction calme les velléités des tricheurs potentiels…
De surcroît, l’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession (C. civ., art. 778, al. 3).
Le recel successoral, bien que n’étant pas défini avec précision par la loi, s’inscrit dans une longue tradition qui a qualifié ainsi « toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage, quels que soient les moyens employés pour y parvenir » (Cass. 1e civ., 15 avr. 1890).
Le conjoint survivant peut évidemment être mis en cause. Au regard de sa position, et des tentations qu’elle induit, cela paraît même naturel. Et pourtant…
En quelle qualité ?
Il s’agit, en effet, de se demander s’il a réellement commis un recel, et ce quand bien même certaines opérations, de prime abord, semblent marquées du sceau de la dissimulation. Et même si les soupçons de comportement frauduleux s’appuient sur quelques mouvements pour le moins ambigus.
Or les circonstances ne sont pas toujours réunies, au regard notamment de la position du conjoint, ou plus exactement des situations dans lesquelles, souvent simultanément, il se trouve.
Nous allons ainsi voir successivement que ses qualités d’indivisaire et d’usufruitier peuvent constituer pour lui d’excellents paratonnerres contre le recel !
Ni en cas d’indivision successorale…
Ainsi, la peine du recel « n’est pas applicable au conjoint survivant qui prélève des sommes au préjudice de l’indivision post-communautaire ayant existé entre les époux, celui-ci étant débiteur des sommes correspondantes envers cette seule indivision, non en sa qualité d’héritier, mais en celle d’indivisaire tenu au rapport de ce qu’il a prélevé dans l’indivision avant le partage » (Cass. 1e civ., 29 janv. 2020, n° 18-25.592, publié au bulletin).
Un fonds de commerce commun aux époux était devenu, au décès de la femme et en l’absence de liquidation et de partage de la communauté, indivis entre le veuf, accusé de l’avoir vendu à son seul profit, et la succession de son épouse.
Il se déduit de ce qui précède que « la demande en recel successoral formée par leur fille ne pouvait qu’être rejetée ».
Cette décision n’est en rien isolée. Elle s’inscrit tout au contraire dans la continuité.
Ainsi, à propos d’une épouse qui avait intentionnellement refusé de communiquer le montant du solde d’un compte personnel, dont les avoirs sont présumés être des actifs de la communauté ayant existé entre elle et son époux, la Cour de cassation avait déjà affirmé que « seul un recel de communauté, à l’exclusion d’un recel successoral, pouvait être retenu » (Cass. 1e civ., 27 sept. 2017, n° 16-22.150, publié au bulletin, arrêt rendu au titre de l’article 792 ancien du Code civil, devenu depuis l’article 778 du même Code).
Ceux qui ont voulu utiliser le recel contre le conjoint n’ont pas eu plus de succès dans la situation où celui-ci s’est retrouvé usufruitier de l’universalité de la succession.
… ni en cas de démembrement !
La solution avait prévalu pour une épouse en troisièmes noces ayant opté pour l’usufruit de la totalité de la succession de son mari : elle « ne disposait pas de droits de même nature que ceux de [la fille de son mari], nue-propriétaire, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à partage entre les héritiers en l’absence d’indivision et que la dissimulation des fonds alléguée ne pouvait être qualifiée de recel successoral » (Cass. 1e civ., 9 sept. 2015, n° 14-18.906, publié au bulletin).
La Cour de cassation avait tranché dans le même sens déjà quelques années plus tôt (Cass. 1e civ., 29 juin 2011, n° 10-13.807, publié au bulletin). Certes, dans l’affaire concernée, la veuve a opté en 2007 pour une succession ouverte en 1998. Mais comme l’option exercée a un effet rétroactif au jour de l’ouverture de la succession (C. civ., art. 776)…
Au passage, il convient de souligner que l’intérêt que peuvent avoir les nus-propriétaires à demander au plus vite l’emploi des fonds (C. civ., art. 1094-3, d’ordre public en présence d’une libéralité en usufruit consentie au conjoint).
Mais laissons un temps le conjoint pour effectuer un premier détour qui nous mènera au recel d’héritier, introduit par la réforme des successions et libéralités (C. civ., art. 778 issu de Loi n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 1).
A cache-cache
En effet, plutôt que de cacher des biens, pourquoi ne pas directement caché un concurrent, lorsqu’évidemment la situation en laisse l’occasion. Les effets d’une telle dissimulation sont bien sûr d’une autre ampleur. Mais les risques associés s’en trouvent accrus.
Ainsi l’héritier qui a dissimulé l’existence d’un cohéritier est tout d’abord réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net ; au-delà, les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier (C. civ., art. 778, al. 1er).
La punition, pour celui qui, sciemment et de mauvaise foi, se prévaut d’un acte de notoriété inexact, est connue (C. civ., art. 730-5) : c’est la même que celle qui frappe les biens recelés, à savoir que les droits concernés échappent au receleur, sans préjudice de dommages et intérêts.
Le notaire inquiété
Des enfants sanctionnés pour un recel d’héritier reprochent au notaire d’avoir établi la déclaration de succession sans vérifier les actes d’état civil des héritiers et d’avoir manqué ainsi à son obligation de conseil.
La Cour de cassation les prive de tout lot de consolation : « la sanction du recel successoral, qui suppose l’intention frauduleuse de rompre l’égalité du partage, ne constitue pas, pour celui qui le commet, un préjudice ouvrant droit à réparation » (Cass. 1e civ., 9 avr. 2014, n° 13-16.348, publié au bulletin).
Malgré un comportement que d’aucuns considéreront comme léger, le notaire n’a donc pas été sanctionné à la suite de la fraude découverte. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude…
Permettons-nous un second et tout aussi rapide détour par un autre recel, à savoir le recel de communauté. En commençant par enfoncer une porte ouverte : recel de communauté nécessite communauté…
Participation sans communauté
La Cour de cassation a écarté l’application du recel de communauté (C. civ., art. 1477) en rappelant que « les biens acquis par les époux sous le régime de la participation aux acquêts constituent des biens qui leur sont personnels et non des effets de communauté » (Cass. 1e civ., 6 mars 2013, n° 11-25.159 ; Cass. 1e civ., 4 mai 2011, n° 10-15.787).
La chose paraît assez évidente mais mérite néanmoins mention puisqu’elle nourrit un contentieux dont l’issue est pourtant écrite avant même que le combat ne soit engagé – ce qui invite donc à réserver de telles passes d’armes aux (tristes) situations où un époux ne veut pas tant vaincre que nuire.
Même punition…
Quiconque connaît le principe de recel de succession ne sera pas dépaysé sur le terrain du recel de communauté : « celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets » (C. civ., art. 1477, al. 1er).
Signalons seulement que, si le recel successoral est, comme son nom l’indique, lié à une succession, le recel de communauté pourra être invoqué en cas de séparation (séparation de corps, divorce), mais encore, le cas échéant, en cas de séparation de biens judiciaire et de modification du régime matrimonial, pour des époux en communauté s’entend. Ce qui n’est que logique.
En matière de passif, la traduction du principe sus-décrit modifie les règles de contribution : « celui qui aurait dissimulé sciemment l’existence d’une dette commune doit l’assumer définitivement » (C. civ., art. 1477, al. 2).
Même si la chose peut paraître moins décisive, il faut noter celui qui se rend coupable d’un recel de communauté perd le bénéfice de l’émolument lié à l’inventaire pour les dettes entrées en communauté du chef de son conjoint (C. civ., art. 1483, al. 2).
Pas immunisé
Evidemment, les situations évoquées – et notamment les deux premières – pourraient laisser entendre que le conjoint échappe toujours à la sanction du recel. Ce serait néanmoins aller un peu vite en besogne…
En effet, la sanction peut notamment rattraper le conjoint au regard d’opérations réalisées durant l’union. Et elle peut frapper un conjoint ayant pourtant renoncé à la succession. Point d’immunité, en conséquence, malgré la mansuétude dont nous avons déjà fait état.
Rappelons à titre liminaire que, lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part (C. civ., art. 778, al. 2).
Grand classique de la donation déguisée à un époux séparé de biens : la donation déguisée par mensonge sur l’origine des fonds lors d’une acquisition, laquelle ouvre assez naturellement la porte au recel.
Mentir sur les fonds
Parfois, ça passe. A d’autres occasions, ça casse. Dans le cadre d’une famille recomposée, le pot aux roses fut découvert grâce au jugement portant révision de la prestation compensatoire révélant – imprudemment – le financement réel de l’acquisition (en l’occurrence par le prix de vente de deux biens immobiliers de l’autre, correspondant étrangement au montant de l’apport initial).
A l’époque, la future veuve « a, de façon mensongère, déclaré dans l’acte de vente que les fonds versés au titre de l’apport initial provenaient de ses fonds personnels ».
Si l’on ajoute le constat selon lequel cette dernière ne pouvait assumer seule plus de la moitié du paiement des échéances de remboursement d’emprunt, alors que le mari avait suffisamment de fonds disponibles, il devient clair que les masques vont tomber : d’ailleurs, pour démonter l’existence d’une donation déguisée, la cour d’appel « a souverainement déduit de ces présomptions graves, précises et concordantes, qu’aucun des éléments produits par [la veuve] ne venait contredire, que [le défunt] avait financé en partie l’achat du bien immobilier de son épouse » et considéré que « le financement de l’acquisition de l’immeuble par [le défunt], dissimulé par [sa veuve], avait enrichi le patrimoine de cette dernière au détriment de celui [du défunt], sans contrepartie pour ce dernier », caractérisant ainsi « son intention de s’appauvrir au profit de son épouse, dans le but de la gratifier ».
L’adversaire sur le reculoir, ne restait plus qu’à porter le coup de grâce : donné en appel déjà, ce coup a été confirmé en cassation par la reconnaissance d’« une manœuvre dolosive commise par [l’épouse] dans l’intention de rompre l’égalité du partage au détriment des cohéritiers, laquelle manœuvre a pu se manifester avant même l’ouverture de la succession », la veuve ayant ensuite poursuivi sa manœuvre : aucune déclaration au notaire chargé de la succession, à laquelle elle a rapidement renoncé pour en favoriser la clôture, sans oublier un comportement taiseux lorsqu’elle a été interrogée par la fille du défunt – alors qu’elle avait peut-être là l’occasion de se retirer avec les honneurs de la guerre. Résultat : un recel successoral qui peut servir de cas d’école (Cass. 1e civ., 1er févr. 2017, n° 16-14.323, publié au bulletin).
Le recel successoral peut atteindre d’autres personnes que le conjoint, et même plus aisément au regard des développements qui précèdent.
Les autres aussi…
Là encore, une tentative infructueuse de dissimulation d’une donation peut le redoutable retour de manivelle que constitue le recel successoral.
A titre d’illustration, rappelons une affaire récemment tranchée dans le sens du recel de succession : l’enfant d’une défunte avait sciemment caché à ses père et frère une donation dont il avait bénéficié, jusqu’à communication des relevés de comptes bancaires accablants pour lui.
Alors qu’il avait prétexté du caractère hors part de ladite donation pour échapper à la sanction, il s’est vu rappeler par la Cour de cassation que « l’héritier gratifié est tenu de révéler les libéralités, même non rapportables, qui ont pu lui être consenties, lesquelles constituent un élément dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession et qui peut influer sur la détermination des droits des héritiers » (Cass. 1e civ., 4 mars 2015, n° 13-20.689).
Il n’est pas incongru de poser la question du recel en matière d’assurance vie, pour le conjoint comme pour les autres d’ailleurs.
Valeur de rachat presque classique…
Commençons par le contrat non dénoué souscrit avec des deniers de communauté, dont nous savons que la valeur de rachat figure dans la communauté dès lors que les primes ont été financées par des deniers communs (Cass. 1e civ., 31 mars 1992, n° 90-16.343, arrêt Praslicka ; Cass. 1e civ., 19 avr. 2005, n° 02-10.985), solution confirmée récemment encore à propos d’un contrat en souscription conjointe avec dénouement au second décès (Cass. 1e civ., 26 juin 2019, n° 18-21.383, publié au bulletin).
Qui dit actif de communauté, dit possible recel de communauté. Nul besoin d’y revenir dans le détail. Néanmoins, il ne faudrait pas, une fois de plus, que la fiscalité soit l’arbre qui cache la forêt. En effet, une possible confusion doit être écartée en la matière.
Pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2016, une tolérance a été instaurée faisant échapper les contrats concernés aux droits de succession (Rép. min. Ciot, JOAN 23 févr. 2016, p. 1648, n° 78192), revenant à l’occasion sur la taxation précédemment en vigueur (Rép. min. Bacquet, JOAN 29 juin 2010, p. 7283, n° 26231).
Ce traitement d’exception, fort appréciable, crée néanmoins une distinction entre traitements civil et fiscal. Il a été légitimement précisé que « la réponse « Ciot » a une portée exclusivement fiscale et n’emporte aucune conséquence sur le traitement civil des contrats d’assurance-vie » et donc que « la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs et non dénoués lors de la liquidation d’une communauté conjugale à la suite du décès de l’époux bénéficiaire du contrat constitue, au plan civil, un actif de communauté » (Rép. min. Malhuret, JOS 26 mai 2016, p. 2228, n° 19978).
La solution, fort simple, pour éviter toute accusation de recel successoral : déclarer le contrat concerné, en précisant simplement qu’il est exonéré.
L’approche est nécessairement différente, et évidemment plus ardue, s’agissant du contrat dénoué.
En combinaison ?
En toute logique, la sanction du recel successoral ne peut atteindre l’assurance vie que dans la mesure où elle intègre la succession… donc à hauteur des seules primes manifestement exagérées (Cass. 1e civ., 4 juin 2009, n° 08-15.093, publié au bulletin).
Rappelons qu’à l’heure actuelle, avec notamment la prise en compte de l’utilité du contrat, l’exagération manifeste n’est que rarement reconnue. Et même dans cette situation, la sanction du recel paraît
A une cour d’appel qui avait conclu que « le montant de ces primes était manifestement exagéré au regard des facultés et de l’âge du souscripteur » et appliqué la sanction du recel successoral contre l’ex-épouse, « qui ne pouvait ignorer l’existence de cette libéralité puisqu’elle avait accepté les clauses bénéficiaires, s’est abstenue de la mentionner lors de l’établissement de la déclaration de succession », la Cour de cassation a rétorqué par un défaut de base légale car la cour d’appel a tranché « sans caractériser l’intention frauduleuse de [l’ex-épouse] de porter atteinte à l’égalité du partage » (Cass. 1e civ., 16 mars 2016, n° 15-14.940).
L’intention frauduleuse semble difficile à démontrer en présence de primes manifestement exagérées relevant elles-mêmes de l’appréciation des juges.