Victime ces derniers mois de décisions de la Cour de cassation qui mettent en jeu sa survie, la participation aux acquêts est dans l’œil du cyclone. Au point qu’il n’est pas sûr qu’elle s’en relève. Et dire pourtant que ce régime a bien failli devenir régime légal en France, à l’occasion de la réforme de 1965, et qu’il a servi de base pour bâtir le régime franco-allemand, le dernier né ! Une page va-t-elle se tourner ? A notre sens, ce serait regrettable…
Petite entorse à l’ordre chronologique, nous allons en l’occurrence débuter par le dernier arrêt en date (Cass. 1e civ., 26 févr. 2020, n° 18-25.115). Pour en extraire quelques rappels utiles en matière de fonctionnement de la participation aux acquêts et en tirer quelques leçons relatives au devoir de conseil.
Avant d’aller plus loin, disons-le d’emblée, la décision pourra surprendre. D’aucuns la trouveront peut-être sévère. Il faudra surtout tenter d’en percer la véritable motivation, sans négliger bien sûr le contexte de l’affaire.
Et avec la perspective de l’arrêt du 18 décembre dernier (Cass. 1e civ., 18 déc. 2019, n° 18-26.337), aux conséquences dévastatrices pour la participation aux acquêts, il sera plus utile encore de s’interroger sur des contradictions qui, à la longue, ne sont pas tenables.
Mais commençons par décrire la situation somme toute banale…
L’immobilier professionnel et la participation
Un couple a choisi, en juillet 2001, le régime matrimonial de la participation aux acquêts. En janvier 2003, les époux ont constitué la société civile immobilière dont l’épouse, détentrice de 99 % du capital social et gérante, a emprunté seule un peu plus de 250 000 €, somme apportée en compte courant d’associée en vue de financer l’acquisition par la SCI d’un immeuble à usage professionnel destiné à l’exercice de sa profession de médecin, selon acte reçu par le notaire, le 30 janvier 2003.
Alors qu’une procédure de divorce était engagée, c’est le projet de liquidation du régime matrimonial qui a mis le feu aux poudres en faisant apparaître que l’épouse devait verser à son ancien époux la moitié de la valeur des parts de la SCI.
Aussitôt l’épouse attaque le notaire en responsabilité et indemnisation en soutenant qu’il aurait manqué à son obligation d’information et de conseil.
Laissons de côté le débat sur le caractère certain du préjudice subi – reconnu par la Cour de cassation – pour comprendre la confirmation d’une condamnation salée (150 000 € à titre de dommages-intérêts, et 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile).
Qu’est-il reproché précisément au notaire ? Ne nous trompons pas, par mégarde ou à dessein, sur le moment ciblé.
Un événement au fil de l’eau
En effet, la contestation ne vise pas la participation aux acquêts mais les conditions particulières de réalisation de l’investissement immobilier professionnel. Un moment décisif sur lequel les protagonistes ont zoomé. Ce qui ne nous empêchera pas, une fois le cliché tiré et analysé, de prendre de la hauteur et de nous interroger plus largement, d’une part, à propos certaines exigences opérationnelles et, d’autres parts, à propos de l’harmonie d’un système.
Ainsi le notaire a passé le premier obstacle honorablement : « la profession de pédiatre de [l’épouse] ne lui interdisait pas de recourir au moment de son mariage avec [son époux], gérant de société, au régime matrimonial de la participation aux acquêts, de sorte qu’aucune faute n’apparaît avoir été commise par les notaires à ce stade ».
En revanche, pour les magistrats, en appel comme en cassation, « il incombait au notaire d’attirer l’attention de [l’épouse] sur la contradiction possible entre la détention par elle de 99 % des parts de la SCI, correspondant au financement intégral de l’acquisition immobilière, de surcroît destinée à son activité professionnelle, et le fait qu’en cas de dissolution du régime, il lui faudrait reverser la moitié de la valeur de ces parts qui constituaient un acquêt », or « le notaire ne démontre pas avoir fourni l’information requise ».
Manquement au devoir de conseil, donc. Pour une contradiction pas même probable, mais seulement qualifiée de « possible » ? La solution est dure. D’ailleurs la contradiction évoquée ne saute pas aux yeux. L’épouse ne voulait-elle pas créer et contrôler une société civile dans laquelle son mari tenait le rôle du nécessaire deuxième associé dans son expression la plus réduite ? N’avait-elle pas quelques années auparavant choisi le principe de partage de l’enrichissement en retenant la participation aux acquêts ?
Une démarche patrimoniale pour sécuriser
Qu’à cela ne tienne, que l’exigence soit de mise ou qu’elle soit exagérée – comme il nous semble ici –, mieux vaut s’inscrire dans la démarche la plus sécurisante pour le professionnel… et finalement pour son client.
C’est une approche patrimoniale dans laquelle il convient de s’inscrire : pour la résumer en peu de mots, il faut mettre en face d’objectifs hiérarchisés – et validés avec le(s) client(s) – les outils utilisés, en soulignant évidemment la cohérence de l’utilisation des derniers pour remplir les premiers.
S’il s’agit donc de protéger sa responsabilité, la démarche a également un grand mérite : c’est ainsi sa pédagogie qui ressort, celle qui fait comprendre et adhérer. La formation, notre cœur de métier, nous apprend d’ailleurs à ne jamais oublier de rappeler les évidences, et cette leçon peut prospérer sur d’autres terres (comme la distinction entre contenant et contenu valorisée par les doyens Jean Aulagnier et Jean-Marin Serre !)… Gageons que l’arrêt rendu invitera la profession notariale à plus de prudence à l’avenir, et leurs clients n’auront pas à s’en plaindre.
Nonobstant, une tendance à l’infantilisation des clients pourra être considéré comme regrettable, validant a posteriori le désintérêt de beaucoup d’entre eux pour le choix de leur régime matrimonial. Certains iront peut-être même jusqu’à déplorer une condamnation mettant, avec désinvolture, la facture du divorce sur le compte du notaire…
Il est fort dommage de lire que, « pour un non-juriste comme [l’épouse], le fait de détenir 99 % des parts de la société était de nature à lui laisser croire qu’elle détenait définitivement dans cette proportion la propriété du bien acheté ». Rappeler les principes de la participation aux acquêts et les comparer à ceux du régime légal.
Participer, c’est partager !
« A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre », nous dit l’article 1569 du Code civil à propos du régime de la participation aux acquêts.
S’agissant d’un régime hybride, il convient de noter que les époux auront globalement bénéficié d’un certain confort, en matière d’autonomie comme de séparation des passifs, puisque « pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens » (C. civ., art. 1569).
Le partage de l’enrichissement ne s’opère qu’à la dissolution du régime, et la générosité est en principe réciproque. En effet, « s’il y a des acquêts nets de part et d’autre, ils doivent d’abord être compensés. Seul l’excédent se partage : l’époux dont le gain a été le moindre est créancier de son conjoint pour la moitié de cet excédent » (C. civ., art. 1575, al. 2).
L’équilibre général, une fois les enrichissements personnels équilibrés par le règlement de la créance de participation – par celui qui s’est le plus enrichi à celui qui s’est le moins enrichi –, se révèle assez proche de celui obtenu en régime de communauté réduite aux acquêts. Les deux régimes partagent en effet un principe de partage égal de l’enrichissement réalisé sur la durée du mariage, enrichissement apprécié au regard des revenus professionnels et patrimoniaux.
Concernant le régime légal, « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage » (C. civ., art. 1401). Ce qui signifie que le conjoint qui acquiert seul n’est qu’à moitié propriétaire du bien concerné – d’ailleurs, il en est de même, déjà, de l’immense majorité des deniers venant alimenter son compte bancaire personnel pendant l’union. Avec de surcroît une difficulté supplémentaire relative à la gestion de l’acquêt, dont la propriété est ici partagée en cours de régime.
Il n’y a qu’un pas d’ici à voir derrière le choix du législateur une cabale à grande échelle. Doit-on suggérer aux « victimes » d’attaquer l’Etat ? Heureusement que le droit civil n’intéresse guère les complotistes !
Ne plus partager ?
Les juges reprocheraient donc au notaire d’avoir peut-être induit en erreur une personne où le législateur aurait certainement trompé la majeure partie des couples mariés ? Le trait est sans doute forcé et le propos provocateur, mais demandez aux professionnels qui ont accompagné le divorce d’époux mariés en communauté légale et vous ne pourrez pas ne pas avouer qu’il y a là un fond de vérité qui peut déranger.
Entendons-nous simplement sur l’objectif que nous poursuivons ici : il ne s’agit pas de pointer du doigt les régimes dans lesquels l’enrichissement est partagé, au profit notamment de la séparation de biens. Il s’agit plus prosaïquement de militer pour une meilleure information préalable des époux.
Mais venons-en à ce qui aurait pu être fait selon les juges… si l’épouse avait été informée correctement. Ce qui revient à se demander quel dommage elle a subi et à quelle échappatoire elle aurait pu recourir.
L’herbe serait plus verte ailleurs…
La conclusion des juges en la matière pourra surprendre lorsqu’ils affirment que, « par suite de ce manquement, [l’épouse] a perdu une chance de ne pas réaliser l’opération ou de faire modifier soit le contrat de mariage soit le régime matrimonial ».
Ne pas réaliser l’opération, une chance ? Ce n’est pas l’impression que donnent les chiffres retenus en matière de dommages-intérêts réclamés au notaire. Non, vraiment, l’opération était fondamentalement souhaitable et nous ne voyons qu’un regret chez l’épouse, celui de devoir en partager le succès. Quant à l’organiser autrement en l’état du régime, cela paraissait irréalisable.
Poursuivons avec l’autre proposition, à savoir celle de modifier le contrat de mariage. En rappelant d’emblée un « détail » : c’est une décision qui nécessite l’accord des époux.
Imaginons que le mari suive sa femme sans discuter et n’ouvrons pas même le débat en matière de hiérarchie (quand un contenu à lui seul mériterait de faire modifier le contenant…).
Puisque les magistrats évoquent, comme nous l’avons vu, la chance de modifier le contrat, il ne semble pas incongru de leur retourner la question du contrat qu’il aurait fallu proposer. Dès lors qu’ils ont sanctionné le notaire, il faut espérer qu’ils n’ont pas lancé cette idée en l’air et se sont fait leur propre religion sur le régime pour lequel les époux auraient dû opter.
Passons donc maintenant à la solution qui aurait tout réglé.
Ne plus partager ?
Mais quelle est-elle, cette « solution miracle » ? Deux approches distinctes s’imposent.
La première, suivant une approche générale, voudrait que les époux abandonnent tout simplement la notion de partage de l’enrichissement – si tant est que le choix puisse se faire au regard d’une seule opération, ce contre quoi nous devons élever de vives réticences – et s’orientent en conséquence vers une séparation de biens pure et simple.
Il n’est malheureusement pas illégitime ici de s’interroger : les magistrats ne portent-ils pas, sous couvert de cibler une opération particulière, un jugement de valeur sur le régime… ou sur ceux qui l’ont choisi ? Peut-être les deux, d’ailleurs : un régime trop complexe pour des gens trop simples ? Voilà qui ne témoignerait pas d’une grande considération, ni pour l’outil, ni pour ceux qui l’utilisent.
La seconde solution, moins radicale, viserait simplement à consacrer une clause du contrat à l’opération. Oui, mais laquelle ?
Exclure l’opération du partage ?
Il s’agirait en effet de conserver la participation et l’idée d’un partage de l’enrichissement pour n’y déroger qu’au regard des parts de la société civile.
Une clause d’exclusion pure et simple ne heurterait pas la logique. Une clause de plafonnement s’agissant du partage de l’enrichissement relatif à l’opération pourrait aussi s’entendre – et serait sans doute plus en accord avec la logique générale du régime.
Notons au passage la délicate rédaction de ces clauses, lesquelles doivent être à la fois précises et évolutives. Pour ne rester que sur le cas évoqué, il semble important de prendre en compte les « périphériques » de l’opération, au-delà des seules parts sociales, à savoir ici, a minima, le compte courant d’associé et l’emprunt bancaire (ont-ils été d’ailleurs correctement pris en compte dans la détermination des dommages-intérêts ?).
Reste encore à savoir si de telles clauses sont juridiquement fiables…
Une clause introuvable ?
Pour la défense du notaire, à l’impossible nul n’est tenu : elle fait ainsi reproche à la cour d’appel de s’être prononcée « en s’abstenant de rechercher, comme elle y était également invitée (…), si l’impossibilité de stipuler une clause excluant les biens professionnels du régime de la participation aux acquêts, que les époux avaient d’ores et déjà adopté avant la conclusion de l’acte lors de laquelle le notaire aurait manqué à son devoir de conseil, n’excluait pas tout lien de causalité entre la faute imputée à ce rédacteur d’actes et le préjudice invoqué consistant en l’obligation d’accorder des droits sur l’acquêt que constituait l’immeuble acheté ».
Le reproche, quelles qu’aient été les doses de conviction et d’intérêt dans sa production, n’a pas porté. Était-il pour autant infondé ? Arrivés là, nous ne pouvons pas ne pas nous aborder une décision récente lourde de conséquences pour la participation aux acquêts (Cass. 1e civ., 18 déc. 2019, n° 18-26.337).
Alors que le contrat de mariage d’époux (elle, pharmacienne, et lui, directeur d’un laboratoire d’analyses) mariés sous le régime de la participation aux acquêts stipule, en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation », la Cour de cassation considère que « les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial » et qu’« ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce », aux termes de l’article 265 du Code civil.
La solution est rude pour la participation aux acquêts. La clause a bien été imaginée… et employée, mais la Cour de cassation l’a terrassée.
Séparation sinon rien et participation au musée ?
Le fait qu’elle ne puisse opérer en cas de divorce, et plus largement la condamnation, dans cette hypothèse, à un nécessaire partage égal des acquêts, jouera le rôle de repoussoir, pour les notaires si ce n’est pour leurs clients, et le régime tombera rapidement en désuétude, alors même qu’il servait avec bonheur un certain nombre de couples (Participation aux acquêts : l’avantage perdant, Pineau P., Profession CGP n° 49, avril-juin 2020, p. 30 et s. ; en version courte et accès gratuit sur le site professioncgp.com : https://www.professioncgp.com/article/juridique-et-fiscal/entreprises/participation-aux-acquets-lavantage-perdant.html).
La solution revient ainsi à condamner entrepreneurs et investisseurs – pour ne citer qu’eux – à la séparation de biens. Au grand dam, le plus souvent, de la protection du conjoint survivant.
Il est bien sûr possible – et sans doute commode – de se rejeter la faute : qu’elle incombe au législateur, qui aurait mal écrit, ou au magistrat, qui aurait mal lu, que les torts soient partagés, finalement l’important n’est-il pas de sortir de l’impasse ?
C’est en ce sens qu’avec la complicité bienveillante de Doyen Jean Aulagnier j’ai fait passer une question au Sénat (Quest. Malhuret, JO Sén. 13 févr. 2020, p. 783, n° 14362).
Une question pour sortir du tunnel…
Les cieux de la participation aux acquêts se sont donc singulièrement obscurcis. La question posée rappelle d’ailleurs en préambule les sombres conclusions auxquelles nous sommes arrivés.
Elle insiste ensuite sur les espoirs qu’avaient pourtant entretenus, et la réponse ministérielle Huyghe (JOAN 26 mai 2009, p. 5148, n° 18632), et la réponse ministérielle Delpon (JOAN 1er janvier 2019, p. 12457, n° 12382 ; à la suite d’une question également rédigée par votre serviteur et aimablement relayée auprès du député par Nicolas Minard). Ces dernières avaient, en effet, « la volonté des époux de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux (…) peut être manifestée dans le contrat de mariage »
La question posée s’autorise un détour par la réforme des successions et libéralités de 2006 en se félicitant d’un choix bienvenu : celui de faire entrer dans le Code civil, et à l’article 265 précisément, la clause de reprise des apports en cas de divorce (clause dite « alsacienne »), pourtant contestée à l’époque au plan juridique mais largement appelée de leurs vœux par les couples et les praticiens à leur service.
Mêmes maux, même remède ? Nous sommes nombreux à vouloir connaître « les intentions du Gouvernement quant à une prochaine modification législative de l’article 265 du code civil ». Après avoir largement suggérée cette dernière, vous l’aurez compris.
Ministère amer !
Un premier pas a été franchi : « Le ministère de la justice serait favorable à une clarification de ce texte dans le but de favoriser la prévisibilité juridique et de renforcer le principe de liberté des conventions matrimoniales. Une réforme du droit des régimes matrimoniaux n’est toutefois pas envisagée dans l’immédiat mais elle pourrait s’insérer dans une réforme plus globale » (Rép. Malhuret, JOS 28 mai 2020, p. 2446, n° 14362). Cette prise de position est rassurante. Nul doute qu’elle fera naître une légitime impatience…
Quelle page tourner ?
Rappelons pour finir une évidence : un système tient par sa cohérence ; écartelé, il finit par se disloquer, ne laissant que ruines. Aussi la conclusion tiendra en peu de mots : il faut qu’une page se tourne.
Celle de la participation aux acquêts ? D’autres sont tombés avant, comme le régime dotal. Mais ce serait une perte sérieuse, dont nous avons beaucoup de mal à comprendre la justification. Car ce régime doit avoir sa place, marginale peut-être mais utile pour sûr, dans l’offre des régimes matrimoniaux français.
Faut-il sinon préciser, ou même revoir, la rédaction de l’article 265 du Code civil afin que des conjoints matures et conseillés puissent encore choisir un régime de participation aux acquêts configuré pour atteindre leurs objectifs particuliers ? Sans ambages, nous le croyons.