Question prioritaire de Constitutionnalité : traitement fiscal de l’indemnité de réduction en présence d’un légataire universel

Eclairage du 05 janvier 2024 - N°493

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Question n°1 : L’espèce ayant donné lieu à cette décision était-elle très rare ?

Réponse : Non.

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Dans cette affaire, un époux était décédé en 2012. Il laissait pour lui succéder sa seconde épouse qu’il avait instituée légataire universelle, leur fils et deux filles issues d’un premier mariage. Suite à des différends opposant les successeurs, ce n’est que tardivement, en janvier 2017 qu’un protocole transactionnel fut établi, fixant le montant des indemnités de réduction dues par la veuve aux trois autres enfants du défunt. Il fut suivi du dépôt des déclarations de succession et du paiement des droits afférents à l’indemnité de réduction.

En réponse, l’administration fiscale notifia aux héritiers réservataires dans le mois suivant le dépôt de la dernière déclaration de succession une proposition de rectification leur appliquant, outre l’intérêt de retard, une majoration de 10% sanctionnant le dépôt hors délai des déclarations de succession, fut suivie de la notification d’un avis de mise en recouvrement des sommes correspondantes. Suite au rejet de sa réclamation, l’enfant du couple assigna l’administration fiscale le 4 mars 2019 pour obtenir le dégrèvement des droits de succession dont il s’était acquitté ou à défaut des pénalités. Le cœur du contentieux résidait dans les pénalités et intérêts de retard appliqués par l’administration fiscale.

Question n°2 : L’argumentaire développé par les successeurs était-il original ?

Réponse : Oui.

Les deux filles du défunt soulevèrent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant les articles 724 alinéa 1er du code civil et 641 et 1701 du Code général des impôts. Ces textes régissent respectivement la saisine reconnue aux héritiers légaux, le délai d’enregistrement des déclarations de succession et le paiement des droits de mutation par décès.

La question était libellée comme suit : ces dispositions « en ce qu’elles imposent le règlement des droits de succession avant l’enregistrement de la déclaration de succession, soit dans un délai de six mois à compter du décès, et conduisent à ce qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritier, les héritiers réservataires soient tenus de verser des droits de succession au titre de biens qui ne leur sont pas transmis et dont ils n’auraient pas reçu la contre-valeur imposable, indépendamment de leur volonté, portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lesquelles chaque citoyen contribue aux charges publiques à raison de ses facultés ? ».

Considérant que les dispositions contestées applicables au litige n’avaient pas été déjà déclarées conformes à la constitution et que la question prioritaire présentait un caractère sérieux, la Cour de cassation renvoya la QPC au Conseil Constitutionnel par un arrêt en date du 5 avril 2023 (Cour de cassation Chambre commerciale 5 avril 2023 n°23-4001).

Question n°3 : La décision rendue par le conseil constitutionnel fournit-elle des indications implicitent permettant de préciser le régime fiscal de l’indemnité de réduction ?

Réponse : Oui.

Le régime fiscal de l’indemnité de réduction reste curieusement incertain. Plus de quinze ans après, la généralisation de la réduction en valeur, les textes fiscaux régissant les droits de mutation par décès ignorent sinon son existence, du moins sa spécificité. Ils continuent d’organiser un mode de taxation déterminant l’assiette de l’impôt par référence au seul actif détenu par le défunt.

Pour sa part, la doctrine administrative n’énonce pas même le principe de taxation d’indemnité de réduction entre les mains des héritiers réservataires. Un tel principe ne s’évince qu’indirectement et par contre-épreuve des commentaires concernant les cas dans lesquels le réservataire s’abstient d’exercer l’action en réduction. Ces indications proviennent elles-mêmes d’une jurisprudence ancienne ayant invalidée l’administration fiscale qui s’était positionnée en sens contraire.

La justification avancée pour fixer le régime fiscal de l’indemnité en réduction, fondée sur la résolution de la libéralité et le retour du bien dans l’hérédité (V. N. LEVILLAIN et A. CHAPPERT « Rapport et réduction des donations : aspects fiscaux » ; Defrénois 2001, p. 739) ne nous a jamais convaincu. Il ne permet pas d’expliquer la soumission à nos yeux incontestable de l’indemnité à réduction aux droits de mutation par décès.

Dans l’affaire qui nous intéresse, les requérants creusaient ce sillon. Ils reprochaient aux dispositions contestées de les contraindre à verser des droits de succession et d’apprécier de leur faculté contributive et en se référant à des biens qui ne leur étaient pas transmis.

Le Conseil Constitutionnel écarte ce grief. Il consacre le principe selon lequel la créance détenue par l’héritier réservataire contre le légataire universel, bien que ne portant pas sur les biens successoraux en nature permet bien d’assoir sa faculté contributive.

Après avoir rappelé que : « l’héritier réservataire dispose, en vertu de la loi, d’une créance à l’égard du légataire universel qui consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve », il précise que cet héritier « dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel ».

Ce faisant, le Conseil Constitutionnel reconnait implicitement mais nécessairement que, comme nous le pensions, indépendamment de toute autre considération, l’indemnité de réduction est taxable entre les mains de l’héritier réservataire, peu important qu’il ne recueille aucun actif héréditaire en nature.

Question n°4 : Cette solution doit-elle, selon vous être approuvée ?

Réponse : Oui.

 Un tel principe suscite pleinement l’approbation. La nature successorale de l’indemnité de réduction suffit à justifier sa soumission aux droits de mutation par décès. C’est l’analyse que nous avions défendue (V. F. FRULEUX et B. VAREILLE « Régime civil et fiscal de la réduction des legs d’usufruit (1ère partie : imputation en assiette et réduction en valeur, JCP N N°13, p31, 23 mars 2023 1062 ; 2ème partie : variations sur l’articulation des liquidations civile et fiscale, JCP N N°14, 7 avril 2023, 1066).

Question n°5 : L’argumentaire développé par les redevables était-il clair quant aux droits constitutionnels qui, selon eux étaient bafoués par les textes visés ?

Réponse : Oui.

Le grief fondé était fondé sur l’incompatibilité des modalités de taxation qui leur imposaient d’acquitter dans les six mois du décès les droits de successions afférents à une indemnité qu’ils n’avaient pas perçue avec à l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce texte énonce que : « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

On sait que selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, « en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques » (V. notamment Décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010).

Question n°6 : Le conseil constitutionnel retient-il ce grief ?

Réponse : Non.

Le contribuable soutenait que la combinaison des textes précités conduisait à ce qu’en présence d’un légataire universel cumulant cette qualité avec celle d’héritiers, les héritiers réservataires sont tenus de verser des droits de succession afférents à des biens qui ne leur sont pas transmis. Cet argument ne saurait prospérer dans l’optique poursuivie par le grief avancé. Dans la situation évoquée qui était celle des héritiers réservataires, on ne peut pas  imaginer meilleure appréciation de la faculté contributive des redevables. Chacun est in fine taxé exactement sur ce qu’il reçoit : le légataire universel sur les biens héréditaires qu’il recueille en nature, l’héritier réservataire au titre de l’indemnité de réduction qui lui est due. La circonstance que l’héritier réservataire soit tenu d’acquitter des droits de succession alors qu’il ne reçoit pas les biens transmis n’est nullement problématique, cet héritier étant taxé sur l’indemnité de réduction qu’il recueille. Le Conseil écarte rapidement et à juste titre cet argument. Rappelant qu’en vertu de l’article 912 du Code civil, lorsque les libéralités consenties par le défunt excèdent la quotité disponible, les héritiers réservataires doivent être indemnisés par le gratifié à concurrence de la portion excessive de la libéralité, il précise qu’en présence d’un légataire universel, cette indemnisation « consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à la réserve ».

Question n°7 : Un autre argument, plus sérieux, était-il développé par les contribuables ?

Réponse : Oui.

Il ne se fondait pas sur la nature des droits transmis à l’héritier réservataire, mais sur la date d’exigibilité de l’impôt de succession. Lorsque le décès est survenu en France métropolitaine, le délai imparti aux successeurs pour déposer la déclaration de succession est en principe de six mois à compter du décès. Sauf à encourir des intérêts et des pénalités de retard, le successeur doit payer l’impôt en principe en totalité pour que la déclaration puisse être enregistrée. L’héritier réservataire peut ainsi être tenu d’acquitter les droits de succession alors même qu’il n’a pas reçu le paiement de l’indemnité de réduction ; et ce, en raison de circonstances qui lui sont totalement étrangères. Cette obligation pour l’héritier réservataire de verser les droits au titre d’une créance qui pour des raisons indépendantes de  sa volonté paiement ne lui a pas été réglée, ne porte-t-il pas atteinte au principe porté par l’article 13 de la Déclaration Des Droits de l’Homme et du Citoyen ?

Cette problématique fiscale n’est pas inédite. On sait que sur ce fondement, le Conseil Constitutionnel a pu invalider des dispositifs fiscaux conduisant à imposer à un contribuable sur un revenu ou une ressource dont il ne dispose pas  (Cons. Const. Décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013 ; Décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014).

Question n°8 : Le conseil est-il sensible à cet argument ?

Réponse : Non.

Le Conseil constate que dès l’ouverture de la succession, l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’encontre du légataire universel. Il précise que la circonstance que, dans certains cas, le règlement effectif de cette indemnité à l’héritier réservataire peut être retardé en raison du comportement du légataire universel demeure sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier à raison de l’actif que constitue cette créance qui est certaine. Autrement dit, la circonstance que pour des raisons extérieures à la volonté de l’héritier réservataire, l’indemnité de réduction qui lui est due ne lui soit pas réglée lorsque l’impôt devient exigible ne suffit pas à lui dénier toute faculté contributive.

Les Sages précisent en outre, de manière moins convaincante que les héritiers disposent de la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance. Ils ont notamment la possibilité de demander au juge la désignation d’un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie de la carence, de la faute d’un ou plusieurs héritiers de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale.

Ainsi, la créance certaine d’indemnité de réduction détenue dès le décès par l’héritier réservataire qui exerce l’action en réduction suffit à assoir sa faculté contributive, quand bien même elle ne lui aurait pas été effectivement réglée au moment où survient l’échéance du paiement des droits et de la souscription de la déclaration de succession.

Question n°9 : A vos yeux, la solution retenue est-elle juridiquement fondée ?

Réponse : Oui.

Elle est très sévère et  peut placer le successeur dans une situation financière délicate.

Pour autant, elle apparaît inéluctable et semble juridiquement fondée. On conçoit difficilement que l’héritier puisse être considéré comme ne disposant d’aucune faculté contributive au seul motif que l’indemnité de réduction qui lui est due pourrait lui être réglée tardivement.

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui distingue classiquement pour l’appréciation des facultés contributives du contribuable le caractère certain ou potentiel de la ressource prise en compte de son exigibilité. Ainsi, au titre du mécanisme de plafonnement de l’ISF, la prise en compte de revenus potentiels ou latents a été invalidée. A l’inverse, à l’égard de la taxation d’une plus-value sur cession de valeurs mobilières, le Conseil Constitutionnel a validé la taxation immédiate d’un gain nonobstant le paiement différé ou échelonné du prix de cession, au motif qu’à la date de la vente « le contribuable a acquis une créance certaine dont il peut disposer librement » (Cons. Const. Décision n° 2021-962 QPC du 14 janvier 2022).

Question n°10 : D’autres juridiction avaient-elles déjà statué sur cette question ?

Réponse : Oui.

La Cour de cassation a déjà confirmé, à propos de l’exercice de l’action en retranchement la nécessité pour l’héritier réservataire qui exerce cette variété d’action en réduction de respecter ses obligations déclaratives fiscales ; et ce, quand bien même,  à l’échéance de celles-ci , il n’aurait appréhendé aucun bien héréditaire, l’instance par lui engagée étant toujours pendante (Cour de cassation Chambre commerciale, 8 mars 2005, n° 02-12.721) .

Dans cette affaire, la fille du défunt avait exercé l’action en retranchement à l’égard du conjoint survivant qui était, aux termes du contrat qui l’unissait au défunt, attributaire de l’intégralité de la communauté universelle. Elle tentait d’échapper à l’obligation de souscrire une déclaration de succession au motif qu’elle n’était « saisie d’aucun actif successoral ». Elle prétendait n’être, dès lors, redevable d’aucun droit de succession, tant que n’était pas intervenue la décision sur l’action en retranchement qu’elle avait introduite. La Cour de cassation est à juste titre restée insensible à cet argumentaire. Rappelant que l’héritière était saisie de plein droit de la succession de son père et constatant qu’elle avait engagé l’action en retranchement à l’égard de l’épouse survivante, elle confirma que l’héritière « ne pouvait valablement contester d’être tenue de déposer une déclaration de succession et par suite prétende différer le paiement des droits de mutation par décès».

Question n°11 : l’existence d’un régime spécifique de crédit de paiement des droits de succession permettrait de tempérer la rigueur de la solution dégagée par le conseil constitutionnel ?

Réponse : Malheureusement non.

Un régime de paiement différé peu pratiqué est organisé à cette fin (CGI, art. 1722 bis et CGI, Ann. 3 art. 397, 2°). Il permet au successeur qui reçoit une indemnité de réduction dont le paiement a été reporté en application du 1er alinéa de l’article 924-3 du Code civil, pour une durée pouvant aller jusqu’à dix ans à compter de l’ouverture de la succession, de différer parallèlement le règlement des droits de succession à sa charge correspondant aux indemnités de réduction faisant l’objet de ce report. Ce dispositif est toutefois doublement restrictif. D’une part, il concerne uniquement les indemnités de réduction afférentes aux biens susceptibles de donner lieu à une attribution préférentielle. D’autre part, il ne s’applique qu’aux reports juridiquement encadrés par ce texte, c’est-à-dire ceux consentis par le disposant ou, à défaut, octroyés par le juge et afférents aux biens considérés. Il s’avère par conséquent trop restrictif et n’est pas apte à appréhender la situation d’un réservataire qui de facto se heurte à un refus d’acquitter l’indemnité à sa charge en dehors de ces hypothèses précises. L’héritier réservataire confronté à l’inertie du légataire universel ou à un contentieux portant sur la détermination de l’indemnité ne pourra attendre aucun secours de la doctrine administrative. Le Bofip-impôts s’en tient, en l’état, strictement aux hypothèses visées par le texte et n’énonce aucune mesure de tempérament (BOI-ENR-DG-50-20-20, n°180).  

Question n°12 : A défaut de ce dispositif spécifique de paiement différé, le régime de crédit de paiement fractionné de droit commun pourra-t-il jouer de manière satisfaisante et sécurisante dans la branche la plus avantageuse ?

Réponse : Non. Sa mise en œuvre suscite plusieurs difficultés et incertitudes.

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Il ne comporte aucune restriction inhérente ni à l’identité du successeur qui en formule la demande, ni à la consistance de l’actif héréditaire. Cette dernière affecte uniquement les modalités de mise en œuvre du fractionnement.  Cette dernière est cependant problématique.

 Il est énoncé que dans la situation qui nous intéresse, l’héritier réservataire pourra profiter du dispositif le plus avantageux étalant le règlement sur trois ans en sept versements ;  et ce,  au motif que la succession est composée d’une créance n’étant pas exigible au décès (V. G. Bonnet, Les mécomptes fiscaux de l’héritier réservataire : Réflexions sur la décision du Conseil constitutionnel du 1er juin 2023, Defrénois 7 septembre 2023, n°36, p. 24) . Un tel résultat est certes souhaitable. Mais il est loin de s’imposer d’évidence en l’état, eu égard à la rédaction des textes applicables. Ceux-ci restent fondés sur une logique surannée qui fixe les modalités du crédit par référence à la seule composition de l’actif successoral, sans prendre en compte la nature des droits recueillis par le successeur. C’est uniquement lorsque : « l’actif héréditaire » comprend à concurrence de la moitié au moins des biens non liquides parmi lesquels figurent les créances n’étant pas exigibles au décès, que l’héritier peut bénéficier le fractionnement en sept versements (CGI, Ann. 3, art. 404, A). Cette rédaction qui fait totalement abstraction de l’actif effectivement recueilli par le successeur mériterait d’être revue.

S’agissant de l’héritier réservataire, à proprement parler, l’indemnité de réduction qu’il détient contre le légataire ne constitue pas un « actif héréditaire » et ne figure pas à l’actif de la succession. Par hypothèse, elle est due par le légataire universel récalcitrant lequel recueille en nature l’intégralité de l’actif héréditaire. Cette distinction doit être d’autant plus établie ici que texte régissant les crédits de paiement opposent nettement l’indemnité de réduction et l’actif successoral, en créant un dispositif de crédit de paiement propre aux indemnités de réduction dont le règlement est reporté, et en soumettant à des obligations déclaratives spécifiques les garanties constituées sur les seuls biens qui servent à la liquidation des droits de mutation par décès (CGI, Ann. 3, art. 400 al. 2 et 4).

Il apparait à tout le moins nécessaire que dans sa doctrine qui en l’état reprend cette distinction sans réserve ni nuance (BOI-ENR-DG-50-20-30, n°85), l’administration fiscale énonce une mesure de tempérament assimilant l’indemnité de réduction recueillie par l’héritier réservataire à une créance n’étant pas exigible au décès dépendant de la succession, ce qui lui ouvrirait sans discussion le bénéfice à l’échelonnement le plus long en sept versements.

Question n°13 : La mise en œuvre du crédit de paiement suscitera-t-il d’autres difficultés ?

Réponse : On peut craindre que oui.

La demande de crédit de paiement formulée par l’héritier réservataire se heurtera également à la question de la garantie. Le crédit paiement ne peut être effectivement octroyé au successeur qu’à condition qu’il constitue au profit du trésor une garantie suffisante couvrant le montant des droits exigibles, majoré des intérêts et pénalités de retard. Cette garantie peut être constituée sur les biens héréditaires eux-mêmes. Les textes prévoient expressément cette possibilité (CGI, Ann. 3, art. 400, al. 2) qui est même encouragée.

Pour les raisons déjà détaillées, l’héritier réservataire ne pourra pas utiliser cette faculté, le légataire universel étant propriétaire exclusif des biens dépendants de la succession. La décision du Conseil Constitutionnel énonçant que l’héritier réservataire dispose dès l’ouverture de la succession d’une créance certaine à l’encontre du légataire universel doit produire ici un effet réflexif. L’héritier réservataire qui, face à un légataire universel ne détient aucun autre droit dans la succession doit pouvoir offrir cette créance qui, par hypothèse, excède largement le montant des droits de succession dûs, en garantie au profit du Trésor. A défaut, le crédit de paiement resterait lettre morte en présence d’un héritier réservataire qui ne détiendrait pas d’autre actif significatif pouvant être donné en garantie. Il ne serait pas acceptable que l’on exigeât de l’héritier réservataire qui acquitte sans délai les droits à sa charge au motif qu’il dispose de plano d’une créance certaine à l’égard du légataire universel, tout en acceptant que l’administration fiscale lui oppose l’illiquidité et l’incertitude de cette créance pour refuser de la prendre en garantie. Si l’on veut assurer l’effectivité du bénéfice du crédit de paiement fractionner et éviter de placer l’héritier réservataire dans une situation inextricable, il est souhaitable que l’article 400 de l’Annexe 3 au CGI ou à défaut l’administration fiscale dans sa doctrine précise explicitement que la garantie requise peut être constituée au moyen de la créance due à l’héritier réservataire par le bénéficiaire de la libéralité réductible.

Question n°14 : La jurisprudence fondée sur des dispositions supra-nationales sera-t-elle plus clémente ? Pourrait-elle venir au secours de l’héritier poursuivi par l’administration fiscale ?

Réponse : Oui.

La jurisprudence de la Cour de cassation est à cet égard protectrice. Elle veille au respect des garanties fondamentales du redevable. En se fondant sur l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la Haute juridiction judiciaire reconnait au juge de l’impôt, en l’absence même de tous recours organisé par les textes, comme c’est le cas en la matière, un pouvoir de modération des sanctions fiscales infligées par l’administration fiscale (Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-20001 ; Cass. com., 22 février 2000, n°97-17822).

A ce titre, le juge de l’impôt, c’est-à-dire en l’espèce le tribunal judiciaire dont dépend le dernier domicile du défunt, pourra être saisi. En application du principe de proportionnalité, il s’assurera que les pénalités de retard appliquées par l’administration fiscale, à l’exclusion de l’intérêt de retard qui, revêtant un caractère moratoire ne constituent pas une sanction, sont proportionnées à l’importance des manquements par le contribuable à ses obligations fiscales.

Les pénalités applicables en raison de la tardiveté de la souscription de la déclaration de succession et du paiement des droits peuvent faire l’objet d’un tel recours en proportionnalité. La jurisprudence en la matière est assez abondante et favorable aux redevables. Elle réduit, par exemple à l’euro symbolique la majoration de 10 % appliquée par l’administration fiscale et n’ayant fait l’objet d’aucune remise gracieuse par cette dernière, lorsque des motifs légitimes expliquent le retard pris dans l’exécution des obligations fiscales et qu’il est avéré que le contribuable n’a pas tenté de se soustraire au paiement de l’impôt (CA d’Aix en Provence, 2 mai 2017, n°15/16451).

L’héritier réservataire qui en application de la décision justifiée mais sévère sous examen se verrait appliquer des pénalités de retard par l’administration fiscale comme c’était le cas en l’espèce, alors qu’il ne disposait pas de la capacité financière de régler la totalité des droits de succession trouvera dans cette jurisprudence protectrice un secours appréciable. Il ne manquera pas de rappeler à l’agent des impôts lors de sa demande gracieuse de remise des pénalités qu’une réponse négative le conduirait à exercer un recours judiciaire en modération. Ce dernier reçoit généralement un écho favorable face à un successeur de bonne foi.

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP