Un cadeau Un cadeau

Présent d’usage : une réponse qui tombe (presque) à pic !

Eclairage du 30 avril 2020 - N°346

Accueil + Publications & Agenda + Présent d’usage : une réponse qui tombe (presque) à pic !

Don manuel ? Présent d’usage ? Servi avec ou sans droits ? Retour sur un éternel débat – qui, comme tout vrai débat, a trouvé déjà réponse depuis fort longtemps – à l’aimable invitation de la députée Annaïg Le Meur. Sa question, transmise à Bercy, a récemment reçu réponse (Rép. min. Le Meur, JOAN 31 déc. 2019, p. 11532, n° 22066) : c’est l’occasion d’une utile mise au point, qui s’inscrit dans une continuité que chacun est libre d’apprécier. Rien de neuf, peut-être, mais n’est-ce pas déjà une nouvelle ?

Rappelons, en préambule, les principes applicables tant aux donations qu’aux présents d’usage. Cet exercice ne peut commencer que par une approche en droit civil. Rassurez-vous, la fiscalité lui emboîtera bien vite le pas.

Tout d’abord, « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » (C. civ., art. 894). Caractérisée par l’animus donandi, elle entraîne appauvrissement du donateur et enrichissement corrélatif du donataire.

Le présent d’usage s’inscrit sans doute lui aussi dans une intention libérale, et concourt également au plaisir d’offrir. Il est d’ailleurs présenté dans la section relative au rapport des libéralités, et plus précisément à l’alinéa 2 de l’article 852 du Code civil, lequel précise qu’il « s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant », sans en donner une définition à proprement parler.

Précisons d’ailleurs, au passage, que « les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant » (C. civ., art. 851, al. 1er).

Profit sans perte réelle

Le caractère de présent d’usage diffère donc de la donation en un point, mais ce dernier est décisif : il n’existe pas de réel appauvrissement pour celui qui le fait. C’est ainsi qu’il passe par pertes et profits, oublié par principe par les règles des libéralités… comme par la taxation qui les concerne – droits de mutation à titre gratuit.

Laissé-pour-compte, il ne s’en porte pas plus mal. En passant sous les radars, il offre au final une appréciable latitude à qui l’utilise. Et civile, et fiscale.

Reste à savoir, bien sûr et au-delà des principes, comment, en pratique, distinguer les deux ?

Coucou me revoilou

Le sempiternel débat est de retour – si jamais il nous avait quitté un jour. Et comme tout problème de frontière qui se respecte, il s’avère délicat à régler…

Evidemment, en guise d’introduction, la question de la députée Le Meur évoque succinctement les règles que nous avons rappelées.

Mais rapidement, la démarche devient claire. Puisqu’il est question de cadeaux, la députée n’arrive pas les mains vides : elle affirme, en effet, que « la jurisprudence retient une valeur comprise entre 2 % et 2,5 % du patrimoine du donateur comme seuil entre présent d’usage et donation », pour aussitôt préciser que la chose n’est pas « suffisamment équitable ».

L’équité dans l’égalité…

Elle signale en effet que « pour un montant identique, il peut exister des différences de traitement pour le receveur, selon l’importance des actifs du donateur ». Qui pourra la contredire sur ce dernier point ? Personne ! Deux fortunes différentes, un même pourcentage érigé en maximum, le mathématicien constatera l’absence d’égalité… bien que le philosophe puisse considérer que la chose ne porte pas nécessairement atteinte à l’équité.

Son analyse la conduit à considérer qu’« il apparaîtrait opportun, afin de réduire les différences entre receveurs, de mettre en place comme critère une valeur seuil plutôt qu’un pourcentage sur l’actif du donateur ». Voyons donc comment sa demande a été accueillie.

Ne le cachons pas un instant de plus, la proposition n’a pas convaincu.

Les bons comptes font les bons amis ?

Une fois passés, là encore, les rappels d’usage sur le traitement fiscal respectif des deux objets de notre étude, l’administration a pris un appui solide sur l’ordre judiciaire et sa pratique.

Elle rappelle ainsi que « la Cour de cassation, dans l’interprétation de ces règles, n’a établi aucun seuil maximal, que ce soit en pourcentage ou en valeur absolue, permettant de distinguer présent d’usage et autres donations », et met en avant plus largement la jurisprudence, qui « rappelle en revanche de manière constante que la qualification de présent d’usage résulte d’un examen circonstancié de chaque situation de fait, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond ».

Le décor planté, elle n’a plus qu’à expliquer qu’elle se conforme à ces pratiques, dont elle « tire les conséquences », et, pour conclure, elle résume parfaitement l’affaire :

« le présent d’usage est une notion éminemment factuelle, un don n’étant pas modeste ou important dans l’absolu mais uniquement par rapport à la fortune du donateur, ce qui la rend incompatible avec l’application de critères normatifs prédéfinis, qui pourraient au surplus être source d’inégalité entre les contribuables ».

L’administration, d’une constance appréciable, enfonce donc ici le clou : amis chercheurs de chiffres, vous en êtes pour votre argent…

Haute définition

A défaut de donner le fameux plafond réclamé par la députée, elle fournit, sans peut-être même en avoir eu l’objectif, une définition du présent d’usage tout simplement excellente, sobre et circonstanciée : après en avoir rappelé l’absence de taxation, elle ajoute ainsi que « cette solution pragmatique permet de tenir compte de l’usage consistant à offrir, à l’occasion de certains événements usuels, un présent d’un montant modique dans le cadre des relations affectives familiales ou amicales ». A notre sens, tout est dit.

Ritournelle

Tout est dit, oui. Mais tout avait été dit déjà.

Ainsi, dans le cadre d’une procédure de rescrit (RES n° 2013/05 (ENR), 3 avr. 2013 repris au BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, n° 260), alors qu’elle était interrogée sur les critères de distinction entre don manuel et présent d’usage, l’administration s’est d’abord appuyée sur la Cour de cassation, laquelle qualifie de présents d’usage « les cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à un usage, et n’excédant pas une certaine valeur » (Cass. 1e civ., 6 déc. 1988, n° 87-15.083).

Elle insiste encore : il s’agit d’« une question de fait » qui reste « sous le contrôle souverain des juges du fond », renchérissant sur la nécessité d’« un examen des circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis ». Don manuel ou présent d’usage ? L’administration annonce clairement la couleur : elle « apprécie au cas par cas ».

Est-il besoin, après cet excellent résumé, d’égrener les décisions de justice pour proposer un pourcentage ou un montant. Laissons à chacun sa responsabilité en la matière.

Pour ceux qui voient en la matière un viatique sans lequel ils ne pourraient avancer, je vous renvoie à un article du Doyen Jean Aulagnier sur ce même thème : vous verrez, à cette occasion, qu’il est plus généreux que Madame Le Meur, proposant un seuil de 3 à 4 % plutôt que de 2 à 2,5 % (Noël, une date bien choisie, Aulagnier J., Newsletter AUREP n° 164, 17 déc. 2013).

Pour ma part, toujours heureux d’assurer la promotion des talents auvergnat, je me mettrai dans les pas de Fernand Raynaud répondant finalement à la question qu’il a lui-même posée – « Combien de temps le fût du canon met-il pour refroidir ? » –, devant le silence et l’embarras de son interlocuteur, avec une précision d’orfèvre : « Un certain temps ! ». Et, bon soldat, j’aviserai au cas par cas.

Il est amusant également de constater que la notion d’usage a pu être parfois entendue – et, croyons-nous, étendue – alors que la situation présentée semblait de prime abord l’écarter.

L’occasion fait le larron ?

Ainsi, à un député qui faisait remarqué, il est vrai habilement, que « de nombreux épargnants chargés de famille, souvent sollicités par les établissements financiers qui ont fait énormément de publicité en ce sens, ont ouvert au nom de leurs enfants des plans d’épargne logement », il a été répondu que « pour les sommes versées par des parents sur un plan d’épargne logement ouvert au nom de leur enfant, il est admis, compte tenu notamment du montant maximal des sommes pouvant être placées, que ce placement financier puisse être qualifié de présent d’usage », ajoutant, préséance du droit civil, que « cette qualification reste néanmoins une question de fait qui, en cas de litige, relève de la compétence du juge judiciaire » (Rép. min. Chartier, JOAN 17 janv. 2006, p. 504, n° 63526 ; BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, n° 250).

Pourtant, les modalités de versement sur le PEL ne se prêtent guère à une telle approche. Flatté peut-être, Bercy aura voulu démontrer qu’il pouvait créer son propre usage ! La preuve, sans doute, que la fiscalité est une religion…

Attention, néanmoins, aux interprétations extensives : d’aucuns ont cru pouvoir conclure, à l’époque, que cette prise de position emportait des conséquences identiques entre mêmes acteurs s’agissant de versements programmés sur des contrats d’assurance vie. Outre l’absence d’opposabilité de la réponse ministérielle – dans une situation différente de celle visée –, il est évident que la logique diffère, dès lors qu’aucun versement régulier n’est imposé par le législateur. Sans parler de ceux pour qui le cumul allait de soi…

Il semble éminemment préférable, pour de mêmes montants versés, d’en revenir aux occasions diverses et variées évoquées supra.

Mais comment donc, alors, passer de la théorie à la pratique ?

Guide pratique à l’attention des pratiquants

A combien le présent d’usage, au marché du jour ? Pas plus qu’hier, pour sûr, et pas moins que demain, sans doute, nous ne pourrons répondre à cette question. Non, même sous la torture, je ne vous donnerai pas de chiffres. Ni pourcentage, ni montant. La vérité est ailleurs…

Dans l’usage, d’abord.

Nous n’y sommes pas – encore – revenus en détail mais le point est primordial, hormis dans le cas très particulier du PEL que nous venons de décrire.

Il faut un usage. Il y a l’embarras du choix, aussi n’y manquons pas. Inutile d’égrener l’ensemble des occasions – nous en oublierions certainement. A défaut d’exhaustivité, évoquons les thèmes principaux, avec quelques exemples significatifs à l’appui.

Certaines occasions sont liées à un événement personnel créé (réussite à un examen) ou subi (anniversaire), d’autres sont liées à des fêtes religieuses (j’en devine qui déjà, par intérêt, s’apprêtent à embrasser plusieurs religions d’un coup…), civiles (14 juillet) ou commerciales (Noël ?), voire plus locales (Saint-Nicolas, pour mes amis de l’Est et du Nord de la France) ou au contraire importées (Thanksgiving venue des Etats-Unis). Non, vraiment, les occasions sont nombreuses. Il s’agit de les cibler et de se ménager, autant que faire se peut, la preuve du lien entre l’usage et le présent.

Pour une recension plus large encore – et très œcuménique –, renvoyons à l’article précité du Doyen Jean Aulagnier. Pour l’occasion, nous pourrions écrire, taquins, que la réponse Le Meur, parue au journal officiel du 31 décembre 2019, arrive après la bataille…

Un dernier point, néanmoins. Pensez-vous que, pour une même – et belle – somme transmise, en face d’une même fortune, le juge envisagera les choses à l’identique suivant l’occasion dont il s’agit ? Je ne le crois pas, et imagine volontiers, forçant le trait pour bien me faire comprendre, qu’il fera preuve d’une plus grande mansuétude pour des fiançailles que pour une fête patronale. Tout est relatif, donc.

Quand nous expliquons que la vérité, c’est pour signifier qu’elle est aussi, très souvent, dans d’autres outils. Là encore, à défaut de les évoquer tous, mettons en avant ceux qui devraient être les plus évidents.

L’idée qui les rassemble est simple : appeler une donation, une donation, mais profiter des éléments favorables.

Au premier rang, les abattements lorsqu’ils existent (CGI, art. 779, I : 100 000 € parent/enfant ; CGI, art. 790 B : 31 865 € grand-parent/petit-enfant ; CGI, art. 790 D : 5 310 € arrière-grand-parent/arrière-petit-enfant), et au plus tôt pour les retrouver avec le temps qui passe (rappel fiscal, malheureusement porté à 15 ans).

Sans oublier les dons exceptionnels de sommes d’argent exonérés de droits de mutation à titre gratuit dans la limite de 31 865 € tous les quinze ans (CGI, art. 790 G). Consentis en pleine propriété au profit d’un enfant, petit-enfant, arrière-petit-enfant ou, à défaut d’une telle descendance, d’un neveu ou d’une nièce ou par représentation, d’un petit-neveu ou d’une petite-nièce, ils peuvent bénéficier de l’exonération sous condition que le donateur soit âgé de moins de quatre-vingts ans et le donataire âgé de dix-huit ans révolus (ou a fait l’objet d’une mesure d’émancipation) au jour de la transmission.

Ces différents éléments, exonération et abattements, sont applicable aux donations consenties par un même donateur à un même donataire. Et l’utilisation pertinente de ces différentes possibilités n’interdisent évidemment pas, en parallèle, les cadeaux ! Raisonnables, vous l’aurez compris.

Un autre point, souvent oublié, mérite, à mon sens, mention.

Frères ennemis…

L’administration n’est pas la seule à avoir intérêt à contester la qualification de présent d’usage. Des cohéritiers pourraient également s’emparer de la question, dans l’objectif bien sûr d’obtenir une part plus importante, au bénéfice du rapport de l’opération dès lors que celle-ci serait considérée comme une donation.

La contestation interne à la famille est souvent redoutable. D’une part, certaines informations que l’administration n’aurait pu se procurer ressortent et, d’autre part, la comparaison de traitement entre les différents héritiers peut constituer un indicateur pertinent pour se faire une religion sur la nature des opérations. Sans oublier que le juge pourrait prêter une oreille plus attentive à l’héritier qui s’estime lésé qu’au fisc, et ceci d’autant plus naturellement qu’il s’agira d’un héritier réservataire.

L’administration fiscale n’aurait plus alors qu’à rebondir sur l’action entreprise au civil : s’appuyant sur la décision de justice, il lui suffirait, sans opposition possible, de présenter la note ! Elle y gagnerait à double titre, taxant davantage le ou les héritiers ayant mené l’action et convaincu les magistrats – le barème progressif aidant le cas échéant – comme le ou les héritiers efficacement dénoncés comme donataires.

La question de l’intervention des magistrats en l’absence de critères suffisamment définis au goût de certains touche aussi un autre domaine mis à nouveau en lumière par le rapport Pérès/Potentier sur la réserve héréditaire, à savoir l’assurance vie.

Il apparaît intéressant d’en dire un mot, ne serait-ce que pour se consoler du brouillard de guerre que d’aucuns regrettent en matière de présent d’usage. Car certaines certitudes peuvent faire regretter le temps des incertitudes…

L’assurance vie, aussi !

Ainsi, en matière de primes manifestement exagérées (C. ass., art. L 132-13, al. 2), le pouvoir d’appréciation est également laissé aux juges, ce qui permet « une évaluation au cas par cas, qui prend en compte non seulement la consistance du patrimoine du stipulant mais aussi le but poursuivi par ce dernier ou tout autre circonstance pertinente » et « il ne paraît pas opportun de fixer par voie législative des critères d’appréciation plus précis du caractère exagéré des primes » (Rép. min. Couderc, JOAN 14 nov. 1994, p. 5666, n° 14681).

Seul souci, mais de taille : il n’est pas illégitime de s’interroger à propos de l’introduction du critère d’utilité du contrat pour le souscripteur, laquelle rend quasiment inefficace l’action en primes manifestement exagérées. Pourtant, le système actuel a été conforté, notamment par la Cour de cassation elle-même lorsqu’elle a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet (Cass. 2e civ., 19 oct. 2011, n° 11-40.063).

Le Doyen Aulagnier a tout récemment interrogé les services du ministère de la Justice, se demandant « s’il ne serait pas opportun d’inviter le législateur à fournir des éléments d’appréciation de « l’exagération » sur lesquels pourront s’appuyer les juges du fond pour écarter ou au contraire pour valider les prétentions d’héritiers réservataires craignant d’être privés de leurs droits » (Question écrite Malhuret n° 15361 publiée dans le JO S. 16 avril 2020, p. 1770).

Conclure sans chiffres…

Reconnaissons à l’administration fiscale l’immense mérite de n’avoir rien ajouté à la définition du présent d’usage et de s’être pleinement conformée à la jurisprudence civile. Voilà donc un article auquel certains reprocheront sans nul doute de poser plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Que cela se consolent : notre mutisme découle du respect que nous portons à nos lecteurs, en ne les considérant ô grand jamais comme des ingénus.

Bien sûr, nous avons tous besoin de normes… au moins pour nous en plaindre ! Aucune solution n’est parfaite, et les chiffres ont largement démontré que leur objectivité n’était qu’apparente. Gardons-nous des illusions et sachons raison garder, comme les présents d’usage comme pour le reste.

Interrogée en pure perte, l’administration a fait effort de pédagogie plutôt que de démagogie. Il est donc possible d’affirmer ici à propos de Bercy, comme le fait Francis Blanche à propos de Pierre Dac dans l’inénarrable sketch Le Sâr Rabindranath Duval : « Il peut le dire ! Bravo ! Il est vraiment sensationnel ! ». Vraiment.

Droit civil
Pascal PINEAU (AF2P)

Pascal PINEAU (AF2P)

Associé gérant chez SARL Atelier Formation Pascal Pineau