Les dispositions de l’article L. 55 du Livre des procédures fiscales (LPF) fondent le droit de l’administration de procéder à une rectification de toute déclaration déposée par un contribuable, quel que soit l’impôt. Lorsqu’une insuffisance ou une omission est constatée, elle met alors en œuvre de la procédure de rectification contradictoire. Mais bien entendu, elle ne peut exercer ce droit que dans le respect du délai de prescription. Et, en la matière des droits d’enregistrement et de l’IFI, deux délais de prescriptions sont proposés par le LPF : la prescription dite abrégée de l’article L. 180, la prescription sexennale de l’article L. 18-0 A.
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Qu’est-ce qui différencie le champ d’application de ces deux prescriptions ?
En fait, tout dépend du point de savoir si l’administration doit mettre en œuvre des recherches extérieures pour mettre en évidence une insuffisance de déclaration.
Si celle-ci est suffisamment révélée par l’acte soumis à la formalité, seule la prescription abrégée trouve à s’appliquer et elle expire au 31 décembre de la troisième année suivant celle de l’enregistrement d’un acte ou d’une déclaration ou de l’accomplissement de la formalité fusionnée.
Dans le cas contraire, la prescription sexennale profite à l’administration pour expirer, elle, au 31 décembre de la sixième année suivant celle de l’enregistrement d’un acte ou d’une déclaration ou de l’accomplissement de la formalité fusionnée.
Dans ces conditions que faut-il entendre par ″mise en œuvre de recherches extérieures de la part de l’administration″. Déblayions le terrain. Il est clair qu’une insuffisance peut être suffisamment révélée par l’acte déposé auprès du service compétent. Il en est ainsi lorsque l’administration est en mesure de constater par exemple une insuffisance d’évaluation d’un bien immobilier. Le bien immobilier figure bien dans l’acte ou la déclaration d’IFI, mais son montant paraît s’écarter très sensiblement de la valeur réelle du bien. L’administration peut remettre en cause le prix mentionné dans l’acte sur le fondement des dispositions de l’article L. 17 du LPF. Aux termes de la jurisprudence, l’administration est en mesure d’en rapporter la preuve en se fondant sur des termes de comparaison de biens intrinsèquement similaires tirés de cessions antérieures à la cession contestée (Voir notamment Cass. com. 30 octobre 1989, n° 1266 D : RJF 12/89 n° 1454 ; Cass. com. 9 mai 1990, n° 663 D : RJF 7/90 n° 924 ; Cass. com. 15 juillet 1992, n° 1325 D : RJF 11/92 n° 1584 ; Cass. com. 4 mai 1993, n° 755 P : RJF 8-9/93 n° 1239 ; Cass. com. 10 mai 1994, n° 1114 D : RJF 8-9/94 n° 997 ; Cass. com. 10 mai 1994, n° 1124 D : RJF 2/95 n° 276 ; Cass. com. 26 novembre 1996, n° 1736 D : RJF 3/97 n° 280 ; Cass. com. 24 juin 1997, n° 1687 PB : RJF 8-9/97 n° 863 ; Cass. com. 21 octobre 1997, n° 2132 D : RJF 3/98 n° 333). Elle ne peut se soustraire à cette obligation que lorsqu’il n’existe pas de marché de biens intrinsèquement similaires en faits et en droits (Cass. com. 10 mai 1988, n° 87-13554, Bull. IV, n° 154, p. 108). Elle peut alors à une appréciation directe de cette valeur.
L’administration doit alors mettre en œuvre la procédure de rectification contradictoire de l’article L. 55 du LPF.
Maintenant, pour dénicher des termes de comparaison adéquats, elle doit alors rechercher dans ses dossiers et dans son fichier immobilier des ventes de biens identiques intervenues antérieurement à la date de la transaction incriminée. Cette démarche caractérise-t-elle alors la mise en œuvre de recherches extérieures justifiant l’application de la prescription sexennale ? Dès lors qu’elle a recours à des documents en sa possession, il ne peut s’agir de recherches extérieures. En revanche, si la rectification nécessite par exemple l’analyse de comptes bancaires pour mettre en évidence une dissimulation du prix du bien, nul doute que cela caractérise la mise en œuvre de recherches extérieures et la prescription sexennale trouve à s’appliquer.
En tout état de cause, l’insuffisance ou la dissimulation de prix doit être suffisamment révélée par un acte soumis à la formalité pour justifier l’applicabilité de la prescription abrégée de trois ans. Si la détention d’un bien est révélée par une mention dans une déclaration de revenus, l’existence d’un revenu par exemple, tel n’est pas le cas et cela fonde le droit de l’administration de recourir à la prescription de longue durée. Il en est de même lorsque l’existence même du bien ressort de l’examen d’une déclaration, la mention d’un véhicule dans une déclaration de résultat déposée au titre de l’impôt sur les sociétés (Cass. com. 15-12-1982, Société Cabinet Claude Choisnet). Il en est également ainsi lorsque l’omission peut simplement être déduite d’un courrier adressé par le contribuable(Cass. Com. 17 janvier 2018, n° 16-1949). Tous ces documents ne constituent en effet pas un acte ou une déclaration enregistré ou présenté à la formalité au sens du texte de l’article L. 180 du CGI.
Ces principes posés, reste une question extrêmement importante : la détermination du point de départ de ces prescriptions. Un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2024 (Cass. com., n° 22-18929) apporte à cet égard un éclairage particulièrement intéressant. Le principe posé par les dispositions de l’article L. 180 est apparemment clair. Rappelons le principe : le point de départ est constitué par l’enregistrement d’un acte ou d’une déclaration ou de l’accomplissement de la formalité fusionnée“.
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, les faits à juger étaient les suivants. Un acte constatant la donation de la nue-propriété d’un bien immobilier aux petits-enfants avait été passé entre les parties le 27 décembre 2010. Cet acte fut ensuite déposé auprès de l’administration fiscale le 31 décembre 2010 accompagné d’un chèque du montant des droits de donation. Pour autant, l’acte ne fut enregistré par le service que le 4 janvier 2011. S’agissant d’une insuffisance de prix suffisamment révélée par l’acte présenté à la formalité, la prescription applicable était à l’évidence la prescription abrégée de l’article L 180 précité.
Considérant que la nue-propriété n’avait pas été correctement évaluée, l’administration fiscale adressait aux donataires une proposition de rectification le 12 décembre 2014. En dépit des éléments de réponse présentés par ces derniers, l’administration maintint sa position et procéda au recouvrement des droits. C’est à cet endroit que les dates d’exécution des différentes formalités déclaratives précitées trouvent toute leur importance.
Pour l’administration, l’enregistrement étant intervenu le 4 janvier 2011, le délai de prescription expirait le 31 décembre 2014. Elle considérait par conséquent être largement dans les temps en adressant une proposition de rectification le 12 décembre 2014 reçue par les donataires en 2014.
Mais ces derniers ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils estimaient en revanche que l’acte ayant été déposé le 31 décembre 2010 accompagné du paiement des droits, le délai de la prescription triennale expirait au 31 décembre de la troisième année qui suit, soit le 31 décembre 2013. Ils engagèrent alors une procédure contentieuse en faisant valoir, sur le fondement des dispositions de l’article 1703 du CGI, que les comptables publics compétents ne peuvent, sous aucun prétexte, alors même qu’il y aurait lieu à expertise, différer l’enregistrement des actes et mutations dont les droits ont été payés aux taux réglés par la présente codification. Pour eux, le service avait par conséquent illégalement décalé dans le temps l’enregistrement de l’acte pourtant déposé le 30 décembre 2010. Dans ces conditions, sur le fondement de ce texte, le point de départ de la prescription se situait, pour eux, au 30 décembre 2010. La proposition en date du 12 décembre 2014 devait être considérée comme frappée de nullité pour être intervenue postérieurement à la date d’expiration du délai de prescription située au 31 décembre 2013.
Saisie du litige, les premiers juges, y compris donc la Cour d’appel, avaient fait droit à la prétention administrative estimant que les dispositions de l’article 1703 précité devait être interprété en tenant compte des contraintes de service et ne pouvaient permettre d’exiger que la formalité de l’enregistrement soit accomplie immédiatement lors de la présentation de l’acte. Comme si, au fond, l’incurie du service pouvait se retourner contre les donataires. La pilule était pour le moins dure à avaler. Et elle menaça d’étouffer la Cour de cassation.
Pour elle, la combinaison des deux articles 1703 du CGI et L. 180 du LPF permettait de conclure que, dès lors que les droits avaient été payés au jour où le principe de la formalité de d’enregistrement avait été accepté par l’administration, l’acte devait être réputé enregistré à cette même date. Le décalage dans le temps de l’enregistrement même de l’acte ne pouvait servir les desseins de l’administration en faisant subir aux donataires un allongement du délai de reprise intervenu pour une cause totalement indépendante de leur volonté. La procédure de rectification fut donc, à juste titre, frappée de nullité. On voit mal au demeurant comment il aurait pu en être différemment. Le texte de l’article 1703 n’ouvre pas droit à la prise en compte des nécessités de service. L’enregistrement de l’acte ne peut “sous aucun prétexte” être différé dans le temps.
Une leçon à tirer de cette décision,
Il est nécessaire dans toutes les situations de se préoccuper de la détermination du point de départ de la prescription fiscale, particulièrement si l’opération est plus ou moins sujette à caution. Le fixer le plus tôt possible est la meilleure des garanties qui soit. Passé la date d’expiration du délai de prescription, l’administration est en effet définitivement dépourvue de tout droit de reprise. Mieux vaut toujours réaliser une opération au plus tard le 31 décembre d’une année plutôt que de prendre son temps et d’accomplir l’opération au début de l’année suivante. Attendre quelques jours est synonyme d’un allongement d’un an de la prescription annonciateur éventuellement de sérieux soucis.
Dans l’espèce jugée par la cour, il s’agissait pour l’administration de rectifier une insuffisance d’évaluation et la solution est parfaitement logique. Attention, s’il s’était agi de sanctionner une omission de la nue-propriété d’un autre bien dans la déclaration ou l’acte présenté à la formalité le 31 décembre 2010, la prétention des donataires serait tombée à l’eau à coup sûr. La prescription sexennale aurait été applicable pour expirer le 31 décembre 2016. La régularité de la proposition de rectification adressée et reçue le 12 décembre 2014 aurait sans aucun doute été validée par la cour.