Un arrêt notable du 18 septembre 2024 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 18 sept. 2024, n° 22-24.646) rappelle un principe sur le périmètre de l’action en nullité d’une décision prise en assemblée générale en l’absence d’une convocation du curateur d’une personne protégée. Elle donne par ailleurs des indications sur le point de départ du délai de prescription d’une action en nullité.
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La présente affaire s’inscrivait dans un cadre conflictuel entre associés sur fonds de difficultés financières rencontrées par la société. Une SCEA avait été constituée le 10 février 2005 entre deux associés Mme R (98 parts sociales) et M. P (2 parts sociales). La première gérant originel, avait en fin d’année 2005, laissait ses fonctions à Monsieur M., son mari.
Les faits révèlent que Mme R. avait, cédé successivement à titre gratuit et onéreux, au cours des années 2006, 2007 et 2008, 96 de ses parts sociales à plusieurs personnes de son entourage : une part à sa fille et son gendre, 51 parts au gérant Monsieur M. et, 43 parts à sa petite-fille.
Le gérant, Monsieur M., a par la suite démissionné de ses fonctions et la SCP B. a été désignée en qualité d’administrateur provisoire de la SCEA.
Par ailleurs, une assemblée générale extraordinaire s’était tenue en mai 2015.
Par exploits d’huissier délivrés en juillet 2015, Mme R. a fait assigner les associés de la SCEA devant le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne aux fins de voir annuler :
- les actes de cession 2006, 2007 et 2008 aux motifs que celles-ci avaient été entachées d’agissements frauduleux (fausses signatures, vileté du prix, falsification des statuts, absences d’agrément, de dénonciation à la société et de publicité légale…) ;
- l’assemblée générale extraordinaire de mai 2015 en raison du défaut de convocation du curateur de Mme P. alors que la décision portait sur un acte de disposition.
Par jugement du 16 mai 2017, ce tribunal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la SCEA et nommé un liquidateur judiciaire.
Le litige porté jusque devant la Cour de cassation s’est articulé autour de deux moyens.
Le premier, tenant à l’irrégularité de convocation du curateur emportant nullité de la décision litigieuse, fut rejeté par la Haute juridiction.
A cet égard, les juges rappellent que « l’associé d’une société civile doit être assisté de son curateur lors du vote d’une décision mentionnée au II de la colonne 2 de l’annexe 2 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle ». Dans ce cas, le curateur doit être convoqué à l’assemblée générale ayant une telle question inscrite à son ordre du jour. Toutefois, la Cour de cassation précise que « seule la personne protégée ou son curateur peut se prévaloir, dans les conditions prévues à l’article 465 du code civil, de la méconnaissance de cette obligation. »
En l’espèce, l’associé à l’origine de l’action nullité n’avait pas la qualité pour exercer l’action si bien que sa demande était irrecevable. La solution n’est pas nouvelle et apparait conforme à une position antérieure (Cass. 1ère civ., 5 mars 2014, n°12-29.974).
Ensuite, les débats ont porté sur la prescription de l’action en nullité des actes de cession.
S’appuyant sur les articles 1304, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, 2224 et 1865 du Code civil, les juges précisent que « le délai de prescription de l’action en nullité d’un acte de cession de parts sociales pour fraude ne court qu’à compter du jour de sa découverte ». Ainsi et quand bien même au regard des articles susvisés le point de départ diffère selon le type de nullité encourue (nullité ou relative), la Cour de cassation en déduit, en cas de fraude, une règle commune. A compter de cette date, il y a ensuite lieu d’appliquer le délai de prescription de droit commun de cinq ans.
A cet égard, ils cassèrent l’arrêt d’appel qui estimait que Mme R. était réputée avoir été informée des agissements qu’elle dénonçait par la publication de ces actes au registre du commerce et des sociétés.
Selon la Haute juridiction, la publication au registre du commerce et des sociétés, n’est destinée qu’à assurer l’opposabilité de l’acte aux tiers et ne s’applique pas dans les rapports entre les parties à l’acte.