17,6 millions de foyers français sont propriétaires de leur résidence principale qu’ils conservent en moyenne 10 ans (Situation au 01/01/2020 selon l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4985385. Durée moyenne de détention d’un bien immobilier en 2017 selon les notaires de France : https://www.challenges.fr/immobilier/pourquoi-les-francais-restent-proprietaires-plus-longtemps-avant-de-vendre_555751).
Ces deux chiffres résument à eux seuls le fabuleux succès l’exonération de plus-value immobilière au titre de la « résidence principale », lequel succès explique aussi le flot régulier de contentieux et de décisions jurisprudentielles autour de cette exonération.
Les débats se cristallisent essentiellement autour de quatre questions :
▪ Peut-on encore bénéficier de l’exonération de plus-value lorsqu’on a quitté sa résidence plusieurs mois avant la régularisation de la vente?
▪ Peut-on bénéficier de l’exonération lorsque l’immeuble n’a été occupé que quelques mois ?
▪ Un couple séparé peut-il encore bénéficier de l’exonération de plus-value lorsqu’il cède sa résidence principale plusieurs mois, voire années, après sa séparation ?
▪ Peut-on bénéficier de l’exonération lorsqu’on cède une dépendance de sa résidence principale tel un garage ou une partie de son jardin d’agrément ?
Commençons aujourd’hui par la première question qui vient, une nouvelle fois, de faire l’objet d’une décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 6 mai 2021, n° 19BX04551, disponible sur www.legifrance.gouv.fr).
En principe, la plus-value immobilière résultant de la vente d’un immeuble d’habitation peut être exonérée sur le fondement de l’article 150 U, II, 1° du CGI (exonération « résidence principale ») si deux conditions sont remplies.
En premier lieu, le vendeur doit avoir occupé cet immeuble en tant que résidence principale.
L’appréciation de cette condition repose sur les faits et non sur les simples déclarations du cédant. Au cours des années qui ont précédé la vente, le vendeur doit avoir résidé dans l’immeuble de façon « effective » et « habituelle » pendant la majeure partie de l’année (BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n° 30 et 40). Par exemple, une personne retraitée qui partage son temps entre son appartement parisien et sa villa cannoise, à raison de 8 mois pour le premier et 4 mois pour la seconde, peut bénéficier de l’exonération résidence principale lors de la vente de son appartement parisien.
L’exonération sera exclue en revanche pour la villa cannoise.
Naturellement, l’administration fiscale contrôle. Elle peut notamment obtenir, auprès des fournisseurs, les relevés de consommation d’eau, d’électricité, de gaz. Cela lui permet d’apprécier la réalité de l’occupation de l’immeuble, en tenant compte du nombre de personnes censées y résider.
Lorsqu’un doute subsiste, le contribuable est tenu de prouver par tous moyens l’effectivité de la résidence.
En second lieu, l’article 150 U, II, 1° du CGI dispose que le logement doit être la résidence principale du cédant « au jour de la cession ». Autrement dit, en principe, le vendeur ne doit avoir quitté l’immeuble que quelques jours avant la régularisation de l’acte de vente chez le notaire.
Le Code général des impôts se révèle ici particulièrement rigoureux. En imposant la seconde condition, il exclut l’exonération des « cessions portant sur des immeubles qui, bien qu’ayant été antérieurement la résidence principale du propriétaire, n’ont plus cette qualité au moment de la vente » ((BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n° 180).
La rigueur du texte se heurte à la pratique. Il est fréquent en effet que le vendeur ait déménagé plusieurs mois avant de trouver acquéreur et de signer la vente. Les hypothèses sont nombreuses.
La famille heureuse d’avoir trouvé une nouvelle maison plus adaptée à ses souhaits, qui emménage dans celle-ci sans attendre d’avoir vendu son ancienne résidence principale. Le vendeur qui, ravi d’avoir trouvé un candidat acquéreur, signe avec lui une promesse de vente et déménage immédiatement. Ce même vendeur qui apprend quelques semaines plus tard que son candidat acquéreur n’a pas obtenu son financement et doit se remettre à la recherche d’un nouvel acquéreur.
C’est aussi le cas de la personne âgée qui rentre en maison de retraite et se décide plusieurs mois après à vendre son « ancienne » résidence principale. Plus exotique, enfin, c’est aussi le cas du vendeur qui a quitté sa résidence principale depuis plusieurs mois pour « emménager » en prison !
Prenant en considération cette situation fréquente, l’administration fiscale et la jurisprudence ont admis progressivement plusieurs tempéraments à la règle prévu par le Code général des impôts. Quelques années plus tard, le Législateur est aussi intervenu en faveur des personnes âgées ou handicapées résidant dans un établissement médicalisé ainsi qu’en faveur des expatriés qui cèdent leur ancienne résidence principale en France.
Dès lors, pour répondre à la question « peut-on encore bénéficier de l’exonération de plus-value lorsqu’on a quitté sa résidence plusieurs mois avant la régularisation de la vente ? », deux grandes hypothèses doivent aujourd’hui être distinguées.
1./ Première hypothèse : au jour de la régularisation de l’acte de vente, le vendeur est fiscalement domicilié hors de France.
Il s’agit de l’hypothèse des expatriés. Depuis le 1er janvier 2019, ces vendeurs bénéficient d’un dispositif particulier leur permettant d’être exonérés lors de la vente de leur ancienne résidence principale quelques mois après l’avoir quittée (Article 244 bis A, I, 1 du CGI).
La plus-value immobilière réalisée par ce vendeur, est intégralement exonérée si le cédant remplit les cinq conditions suivantes :
1./ Au jour de la vente, il est domicilié dans un État membre de l’Union Européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement (cf : BOI-RFPI-PVINR-10-20, 19 avril 2019, n°460).
Bon à savoir : Malgré le Brexit, l’expatrié au Royaume-Uni a aussi droit à cette exonération.
2./ Il cède le logement qui constituait sa résidence principale au jour du transfert de son domicile fiscal hors de France.
Bon à savoir : L’immeuble peut être détenu par une SCI non soumise à l’IS à condition que la société l’ait mis à la disposition de son associé gratuitement qui l’occupait à titre de résidence principale (cf BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n°140). Dans cette hypothèse, l’exonération ne porte que sur la quote-part revenant à l’associé.
3./ Depuis son départ de France, il n’a pas mis son logement à la disposition d’un tiers (absence de location et de mise à disposition gratuite)
4./ Il n’a jamais bénéficié de l’autre exonération de plus-value immobilière dédiée aux non-résidents et prévue par l’article 150 U, II, 2° du CGI.
5./ Il régularise la vente de son immeuble au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle du transfert de son domicile hors de France.
Bon à savoir : si la vente a lieu au-delà du délai, il est possible que l’expatrié bénéficie d’une autre exonération dédiée aux non-résidents, prévue à l’article 150 U, II, 2° du CGI, sous réserve qu’il remplisse toutes les conditions de ce texte. Cette exonération n’est pas spécifique à la résidence principale.
2./ Seconde hypothèse : au jour de la régularisation de l’acte de vente, le vendeur est fiscalement domicilié en France
A./ Pour tous ces vendeurs, la doctrine administrative (que chacun peut consulter sur le site bofip.impots.gouv.fr, notamment à partir d’une recherche google : BOI-RFPI-PVI-10-40-10) admet que lorsque l’immeuble a été occupé par le cédant jusqu’à sa mise en vente, « l’exonération reste acquise si la cession intervient dans des délais normaux et sous réserve que le logement n’ait pas, pendant cette période, été donné en location ou occupé gratuitement par des membres de la famille du propriétaire ou des tiers ».
Autrement dit, lorsque le vendeur a quitté son immeuble plusieurs mois avant de régulariser l’acte de vente, l’exonération résidence principale est encore possible si le vendeur remplit les trois conditions suivantes :
1./ Il doit avoir occuper « effectivement » et « habituellement » cet immeuble en tant que résidence principale jusqu’à la date de sa mise en vente. Le cédant doit donc avoir déménagé après avoir mis en vente son bien.
En pratique, il convient de se placer à la date où le vendeur a mis en vente son immeuble, par exemple à la date à laquelle il a donné son premier mandat de vente à une agence immobilière ou à la date de la première parution d’une annonce de vente. A cette date, le vendeur devait encore résider dans son immeuble.
Remarque : lorsque le vendeur a publié lui-même une annonce de vente, la difficulté rencontrée en pratique est celle de la preuve de l’annonce et de sa date de parution. Le cédant n’a pas toujours conservé ces éléments.
2./ Entre la date de la mise en vente et la date de signature de la vente, le logement doit être resté vacant, c’est-à-dire qu’il ne doit, ni avoir été loué, ni avoir été mis gratuitement à la disposition d’un membre de la famille ou d’un tiers.
Louer l’immeuble dans l’attente de sa vente fera échec à l’exonération résidence principale. L’idée est donc à proscrire.
Une seule exception à cette condition est admise : l’immeuble peut avoir été occupé par le futur acquéreur avec qui un compromis de vente a été signé. La convention d’occupation temporaire consentie au futur acquéreur doit être intrinsèquement liée à la vente (BOI-RFPI-PVI-10-40-10, n° 200).
3./ Entre la date de la mise en vente et la date de la vente, le délai écoulé doit être « normal », « raisonnable ».
Il ressort de la doctrine administrative et de la jurisprudence une distinction :
– Lorsque le délai écoulé entre la mise en vente et la vente est inférieur à douze mois : le délai est considéré comme normal.
– Lorsque le délai écoulé entre la mise en vente et la vente est supérieur à douze mois : la situation est plus délicate. L’administration et la jurisprudence n’ont fixé aucun délai maximum. Tout est question de circonstances (CE, 7 mai 2014, N° 356328).
Pour que le délai soit considéré comme normal, le vendeur devra être en mesure établir deux éléments.
Premièrement, établir qu’il a tout fait pour vendre rapidement son immeuble. Cela implique une juste évaluation du bien et une démarche active de vente.
L’immeuble doit en effet avoir été mis en vente pour un prix qui correspondait à l’état du marché immobilier local. Une mise en vente à un prix manifestement excessif, fera obstacle à l’exonération de plus-value (ex : CAA Nancy, 11 Avril 2019, n° 17NC02194).
Le vendeur doit aussi avoir régulièrement et sans discontinuer fait les diligences nécessaires à la vente : annonces dans la presse, démarches auprès d’agences immobilières, baisse de prix, etc (ex : CAA DOUAI, 10 avril 2018, n° 16DA01239).
Deuxièmement, justifier le délai de vente par des circonstances particulières : le marché immobilier local qui a connu des difficultés pendant la période (CAA Nantes, 6 novembre 2014, n° 13NT00727), l’immeuble qui présente des caractéristiques particulières (ex : il s’agit d’un château médiéval), la signature d’une ou plusieurs promesses de vente qui n’ont pas abouti (CAA Marseille, 4ème chambre, 16 février 2021, 19MA04636),
Sous réserve d’établir ces deux éléments, un délai de 27 mois a été considéré comme normal (ex : CAA DOUAI, 10 avril 2018, n° 16DA01239)
B./ Pour le vendeur est qui entré dans un établissement social ou médico-social, l’article 150 U, II, 1° ter du CGI a prévu un dispositif particulier.
Il faut admettre en effet que la résidence principale du cédant est désormais l’établissement dans lequel il séjourne. Le logement qu’il occupait auparavant n’est plus sa résidence principale et la vente de ce logement ne peut plus, stricto sensu, bénéficier de l’exonération dédiée. Ce vendeur peut néanmoins bénéficier d’une exonération particulière s’il remplit les cinq conditions suivantes :
1./ Il doit résider dans un établissement destiné à accueillir des personnes âgées ou handicapées, mentionné aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles (EHPA, EHPAD, logements foyers, petites unités de vie, unités pour personnes désorientées, foyers de vie ou foyers occupationnels, foyers d’accueil médicalisé, maisons d’accueil spécialisé).
2./ L’immeuble qu’il cède devait constituer sa résidence principale avant son entrée dans l’établissement social ou médico-social.
Bon à savoir : L’immeuble peut être détenu par une SCI non soumise à l’IS à condition que la société l’ait mis à la disposition de son associé gratuitement qui l’occupait à titre de résidence principale (cf BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n°140). Dans cette hypothèse, l’exonération ne porte que sur la quote-part revenant à l’associé.
3./ Cet immeuble doit être resté inoccupé depuis son départ.
4./ Il ne doit pas avoir été passible de l’IFI au titre de l’avant-dernière année précédant celle de la cession.
5./ Son revenu fiscal de référence N-2 ne doit pas dépasser le revenu prévu à l’article 1417, II du CGI. Ainsi pour une vente régularisée en 2021, le revenu fiscal de référence de l’année 2019, figurant sur l’avis d’imposition reçu en 2020, ne doit pas dépasser 26 097 € majoré de 6 097 € pour la première demi-part supplémentaire et 4 800 € pour chaque demie part supplémentaire ensuite (BOI-BAREME-000006, 22 déc. 2020, n° 50)
6./ Il doit signer l’acte de vente moins de 24 mois après son entrée dans l’établissement.
C./ Terminons enfin avec le cas plus « exotique » du vendeur incarcéré depuis plusieurs mois.
Ici aucune exigence de délai. Ce vendeur peut bénéficier de l’exonération résidence principale sous les deux seules conditions que le logement vendu constituait sa résidence principale au moment de son incarcération et que le logement n’ait pas été loué après son départ des lieux.
Le vendeur incarcéré se trouve ainsi dans une situation plus favorable que tout autre vendeur !