La question n’est pas nouvelle, l’étendue des pouvoirs du gérant est souvent source de contentieux certainement en raison d’une anticipation trop souvent négligée. Revenons sur les règles et positions jurisprudentielles existant en la matière.
I – Principes généraux
En préambule, rappelons qu’en matière de pouvoir du gérant d’une SCI, il y a lieu de distinguer ses rapports avec les associés de ses rapports avec les tiers.
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Les rapports du gérant avec les associés
Selon l’article 1848 du Code civil, dans ses rapports avec les associés le gérant peut accomplir tous les actes que commande l’intérêt de la société. Cela implique certainement a minima le respect de l’objet social.
Mais, on le sait, la société civile est marquée par une certaine liberté statutaire laissée aux associés. C’est ainsi que le texte permet d’organiser statutairement l’étendue des pouvoirs de la gérance. Les statuts pourront définir une liste non-exhaustive des actes autorisés ou interdits au gérant. Toutefois, la présence ou non de clause statuaire limitant les pouvoirs dévolus à la gérance se révèle sans importance au regard de l’exigence d’une conformité des actes passés à l’intérêt social.
Si l’objet social est une notion aisément identifiable du fait de sa rédaction, celle de l’intérêt social l’est beaucoup moins en raison du caractère singulier de la volonté commune des associés.
Les rapports du gérant avec les tiers
Par principe, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. Ainsi, le gérant pourra accomplir des actes de disposition à la condition que ceux-ci soient compris au sein de l’objet social.
En vertu de ce principe, le gérant qui effectuerait un acte dépassant l’objet social de la société n’engagerait pas cette dernière. Par analogie, les clauses statutaires de limitation de pouvoirs du gérant ne sont pas opposables au tiers. Cela implique que le gérant qui réaliserait un acte outrepassant ses pouvoirs statutaires mais entrant dans l’objet social engagerait la société vis à vis des tiers.
L’énumération de ces principes appelle plusieurs constats. Tout d’abord, la rédaction des statuts revêt un caractère fondamental en ce qu’elle permet d’encadrer la volonté des parties. Ensuite, une attention particulière devra être réservée à la définition de l’objet social d’une société civile où la responsabilité des associés est illimitée.
La rédaction d’un objet social très large aura la vertu de laisser au gérant une grande latitude. Toutefois, on le sait cette liberté fera peser un risque considérable sur la société et ses associés. Par ailleurs, précisons qu’une cession constitue un acte de disposition exceptionnel, si bien qu’une répétition de ces opérations pourrait se traduire par une requalification de l’activité de la société en marchand de biens avec toutes les répercussions fiscales que cela implique.
II – Le gérant d’une SCI peut-il vendre un bien immobilier ?
On l’aura compris la problématique sera intimement liée à la rédaction de l’objet social de la société. Généraliste ou ambigu, il sera synonyme de précarité juridique et susceptible de poser des difficultés sur la notion d’engagement de la société vis-à-vis des tiers. En cas de contentieux, il sera en outre laissé à l’interprétation souveraine des juges.
A l’inverse, un objet social assez précis sur la nature des actes susceptibles d’être autorisé impliquera un recours fréquent à la collectivité des associés.
L’objet social comprend la vente d’un bien immobilier
Si l’opération est expressément visée dans l’objet social il ne fait, de prime abord, aucun doute sur la faculté du gérant à procéder à la cession. Toutefois, cette affirmation serait, nous l’avons vu, négliger la présence éventuelle d’une clause statutaire de limitation des pouvoirs du gérant.
En présence d’une telle clause, il faudra s’assurer que la cession d’un bien immobilier n’est pas frappée d’une interdiction. Dans le cas positif, le gérant pourrait malgré tout procéder à la vente du bien immobilier, l’opération figurant dans l’objet social, et engagera la société à l’égard des tiers. Toutefois, en vertu de la clause statutaire lui interdisant, il engagera sa responsabilité auprès des associés.
L’objet social ne comprend pas la vente d’un bien immobilier
Cette situation est relativement fréquente en pratique et écarte en principe la faculté au gérant de vendre un bien. Le contentieux en la matière est abondant tant la question est factuelle et sujette à interprétation.
Les juges de la Cour de cassation ont depuis longue date des divergences sur l’interprétation de la notion de propriété incluse dans un objet social visant « l’acquisition, la propriété, l’administration, l’exploitation de tous biens immobiliers ». L’emploi du terme « propriété » dans la définition de l’objet social permet-il au gérant de vendre ? En ce sens, il est possible de s’appuyer sur l’article 544 du Code civil qui définit la propriété comme le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, ce qui comprend indubitablement le droit de vendre.
A cet égard, la Cour de cassation a de manière remarquée, reconnu en 2001 la possibilité pour le gérant de procéder à l’aliénation d’un bien au regard d’un objet social visant la propriété des immeubles (Cass. 3ème civ., 18 déc. 2001, n° 00-16.530 et n° 00-16.692).
En parallèle, la chambre commerciale (Cass. com., 26 févr. 2008, n° 06-21.74) est venue reconnaître au gérant ce même pouvoir mais, la Cour semblait exclusivement s’attacher à l’opportunité de développement immobilier que représentait l’opération au sens des statuts et non à l’interprétation de la notion de propriété.
Plus tard, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation s’est écartée à plusieurs reprises de sa position originelle en considérant que seule une mention expresse dans l’objet social permettait au gérant de vendre un immeuble. Faute de mention, la cession supposait ainsi une délibération des associés à la majorité requise pour la modification des statuts (Cass. 3ème Civ. 6 sept. 2011, n°10-21.815). La Haute juridiction a ainsi pu sanctionner le raisonnement inverse de juges d’appel en ce qu’il constituait une dénaturation de la volonté statutaire des associés (Cass. 3ème Civ., 5 nov. 2020, n°19-21.214).
L’an dernier, la même juridiction (Cass. 3ème civ., 11 mai 2023, n°21-15-387) a fait preuve d’un peu plus de souplesse dans son approche en ce qu’elle a estimé dénuée de dénaturation, une interprétation par les juges d’appel, du terme propriété, contenu dans l’objet social, comme permettant au gérant de disposer d’un immeuble. En l’espèce le différend était surtout articulé autour de l’invocation d’un abus de majorité en vue d’annuler l’opération litigieuse. Est-ce à dire que la Cour de cassation rompt avec son dernier syllogisme, se réconciliant avec celui de 2001 ? Rien n’est moins sûr, la portée de cet arrêt semble limitée, ce que confirme un arrêt récent.
La troisième chambre civile (Cass 3ème civ., 23 nov. 2023, n°22-17.475) a en effet dernièrement, dans le cadre d’un litige portant sur l’interprétation de la notion de propriété contenue dans l’objet social, écarté la faculté d’alinéation d’un immeuble au gérant. La Cour justifie à nouveau sa casuistique en se bornant à une absence de mention expresse de cette opération dans l’objet social. Cette solution s’écarte là encore un peu plus de la définition de la propriété au sens du Code civil pour s’inscrire davantage dans la volonté explicite des parties.
En résumé, on s’aperçoit que la solution, loin d’être immuable, relèvera davantage de l’appréciation souveraine des juges.
Avis de l’AUREP
En premier lieu, on ne peut que recommander une attention particulière du praticien lors de la rédaction de l’objet social d’une société qui, on le sait, confère aux associés une responsabilité illimitée. Une mention expresse de la faculté d’alinéation d’un immeuble par le gérant ou à l’inverse sa prohibition est de nature à remédier à toute difficulté d’interprétation.
Par ailleurs, dans le silence de statuts qui n’offriraient pas expressément cette faculté et en raison d’une jurisprudence instable, il apparait opportun sinon nécessaire que le gérant obtienne une autorisation préalable des associés statuant à la majorité requise pour toute modification statuaire, pour conclure la vente. Enfin, nous préciserons qu’une ratification de l’acte de vente par l’ensemble des associés permettrait d’engager la société.
Eclairage publié dans le magazine Gestion de Fortune n° 356 – Avril 2024