Les fables de Jean de La Fontaine (1621-1695) sont enseignées aux écoliers, sans doute pour stimuler leurs neurones et leur inculquer les bases d’une certaine « morale ». Mais, on le sait, leur but est autre, il s’agit d’énoncer habilement des vérités qui ne pourraient l’être autrement tant l’intention est moqueuse. La drôlerie de la démarche du poète fait accepter la satire. « En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire » explique La Fontaine (« Le pâtre et le lion »). Tout spécialement, le thème de l’argent inspire toute une collection de vices qui constituent la matière des sarcasmes de La Fontaine.
Vous seriez surpris en relisant les quelque 240 apologues de notre illustre fabuliste de découvrir à quel point ces caricatures sont utiles pour railler les travers des épargnants comme ceux des conseillers. J’en ai choisi 40 -mais j’en cite bien plus- qui sont autant de recommandations utiles au terme de 40 années d’observation par le journaliste financier que j’ai été.
Evidemment comment ne pas citer « La cigale et la fourmi » qui met en garde contre l’imprévoyance (à entendre sous ses facettes financière mais aussi juridique et assurantielle !) et ce manque d’anticipation face aux nombreux accidents de la vie qui requièrent d’avoir « quelque grain pour subsister » « lorsque la bise fut venue ». La Fontaine évoque également « La mort et le mourant », avec ce conseil : « La mort ne surprend pas le sage » ! Ne ratez pas ce savoureux conte « Le Vieillard et ses Enfants » sur ces mésententes successorales et le mystérieux « Testament expliqué par Ésope », régal des fins juristes sur les testaments mal rédigés.
On pense tous au fameux « Le corbeau et le renard » qui moque la roublardise de l’un et la naïveté de l’autre, un duo décliné dans d’autres récits comme « Le renard et le bouc ». Autre fable clé, « Le lièvre et la tortue », qui enseigne que plus tôt on s’y prend -pour épargner- mieux ce sera, « il faut partir à point » ! La retraite se prépare dès les prémices de l’activité, pas à 50 ans ! Autre règle de sagesse, celle de la diversification. Un patrimoine doit être fait de chêne, pour la solidité donc d’immobilier, comme de roseau, pour la souplesse, donc de placements faciles à liquider, afin d’affronter les tempêtes de la vie. De même, on trouvera précieuse cette recommandation dans « Le lion malade et le renard » sur la liquidité d’un placement : « Je vois fort bien comme l’on entre, Et ne vois pas comme on en sort ».
Bien d’autres fables surprennent par la pertinence du message. Connaissez-vous « L’avare qui a perdu son trésor » et cette réplique risible : « Pourquoi vous affligez tant puisque vous n’y touchiez jamais à cet argent !». La Fontaine interpelle ces épargnants dont « la passion est d’entasser toujours, mettre somme sur somme ». Voilà un avare dont on nous dit qu’il « ne possédait pas l’or, c’est l’or qui le possédait ». Il avait enfoui son trésor, quelqu’un le surprit et subrepticement déterra le magot. Le « pince-maille » (radin) s’effondre en découvrant le larcin et son voisin persifle : puisque cet argent ne vous est d’aucune utilité « mettez une pierre à la place elle vous vaudra tout autant ! » L’épargne n’est pas une fin en soi, il faut lui donner une utilité, voilà le très actuel message de cette fable face aux défis climatiques et sociétaux. On retrouve ce même conseil dans « Le savetier et le financier » : « Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles ». Le summum de l’humour: « Du Thésauriseur et du Singe »…
Dans « Le chameau et les bâtons flottants » le fabuliste met en garde contre les erreurs d’appréciation : « Ce qui nous paraissait terrible et singulier S’apprivoise avec notre vue ». L’épargnant manque d’éducation financière ! Dans cette histoire, des guetteurs inquiets croient apercevoir au loin sur la mer « un puissant navire ». Finalement « De loin, c’est quelque chose, et de près, ce n’est rien ». En matière financière et patrimoniale il en est de même, l’imagination et la crainte sont trompeuses.
Bien d’autres fables, citées et commentées, préviennent contre les faux-semblants (« Le cochet, le chat, le souriceau »), les publicités mensongères (« La tortue et les deux canards »), sa propre turpitude (« Le loup et le renard »), la cupidité (« Le héron »), la précipitation (« L’ours et les deux compagnons »), l’imposture (« Le singe et le dauphin »), la spéculation (« Le petit poisson et le pêcheur »), la peur du risque (« Le renard et les poulets d’inde »), les mauvaises associations (« Le pot de terre et le pot de fer »)… Bref, tous les travers de l’épargnant sont là !
La question fiscale n’est pas absente. Dans « Les deux mulets » transparaît la rage contre la ponction infligée par le percepteur : « Sur le Mulet du fisc une troupe se jette » et dans « L’âne chargé d’éponges et l’âne chargé de sel » La Fontaine explique comment s’y prendre pour « dissoudre » la charge… « Tout son sel se fondit si bien » grâce à l’ingéniosité !
Enfin, alors que les influenceurs prétendent délivrer les meilleurs conseils sur les réseaux sociaux, relisons « L’ours et l’amateur des jardins » et cette recommandation : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ».
Dans l’univers de l’épargne, plus qu’ailleurs du fait de l’enjeu financier, une fable résonne plus particulièrement, « Le dépositaire infidèle», avec cet avertissement « Tout homme ment, dit le sage ». Epargnant ou conseiller, à chacun sa vérité !
J’achève mon livre par cette étonnante fable, « Les souhaits », où La Fontaine lâche « Malheureux par trop de fortune », estimant que trop de préoccupations financières peuvent faire perdre le goût de la vie. La sagesse dit-il vaut mieux car « C’est un trésor qui n’embarrasse point ». Mais la fable que je préfère pour ma part c’est « Le laboureur et ses enfants » qui dévoile où trouver la fortune… La vraie.
Jean-Denis Errard, journaliste honoraire
*EnrickB éditions, 2023, 300 p.