la-vente-dun-immeuble-demembre-sort-du-prix-et-plus-values-immobilieres-des-particuliers la-vente-dun-immeuble-demembre-sort-du-prix-et-plus-values-immobilieres-des-particuliers

La vente d’un immeuble démembré : sort du prix et plus-values immobilières des particuliers

Accueil + Publications & Agenda + La vente d’un immeuble démembré : sort du prix et plus-values immobilières des particuliers

Qu’il s’agisse de changer de logement, ou encore d’obtenir des liquidités, il arrive fréquemment qu’un actif immobilier démembré soit vendu conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire. Cet arbitrage suscite diverses interrogations, tant chez les parties que chez leur conseil. L’usufruitier et le nu-propriétaire voudront légitimement savoir à qui revient le prix, et la fiscalité qu’ils devront supporter. Leur conseil s’interrogera quant à lui sur les différentes options s’offrant aux parties, et sur les précautions à prendre pour sécuriser l’opération.

Quelle que soit l’origine du démembrement (qu’il provienne d’une succession ou d’une opération d’ingénierie patrimoniale[1]), les réflexes devront être les mêmes. Il conviendra tout d’abord de prêter une attention particulière à la décision de vendre, et aux modalités d’intervention de chacun à l’acte (I). C’est ensuite et surtout le sort du prix de vente et de la plus-value immobilière qui devront retenir l’attention et faire l’objet d’un choix éclairé des parties (II).

[1] Sur les origines du démembrement, v. Catherine ORLHAC, Le démembrement de propriété, cours AUREP

I – La décision de vendre

Qu’il soit ici tout d’abord permis d’enfoncer une porte ouverte : la vente de la pleine propriété supposera obligatoirement d’obtenir l’accord exprès du nu-propriétaire et de l’usufruitier[1]. A la différence du droit de l’indivision, il n’existe aucun outil juridique permettant de contraindre le nu-propriétaire ou l’usufruitier à vendre contre sa volonté. En d’autres termes, parce qu’il n’y a pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, aucun des deux ne peut solliciter le partage. Cette règle est parfois difficile à comprendre pour l’usufruitier qui, par son occupation personnelle du bien, confond parfois droit de jouissance et droit de propriété. Il s’agit pourtant d’une règle impérative qui doit être clairement exposée aux parties.

Lorsque la décision de vendre est prise, certaines précautions doivent entourer l’acte de cession. Se pose plus précisément la question des modalités d’intervention de l’usufruitier : doit-il concourir à l’acte en qualité de vendeur de l’usufruit, ou en tant que renonçant à titre onéreux ? Il est parfois conseillé de faire intervenir l’usufruitier en qualité de renonçant, et non en qualité de vendeur[2]. Ce conseil est fondé sur la consolidation imparfaite résultant d’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété[3]. Les auteurs mettent en avant un risque pour l’acquéreur lié à cette consolidation imparfaite : il serait usufruitier et nu-propriétaire du bien, mais non véritablement plein propriétaire. Si on ne peut nier la jurisprudence invoquée par cette doctrine, il nous semble en revanche excessif d’en conclure que l’usufruitier doit systématiquement intervenir à l’acte en qualité de renonçant et non en qualité de vendeur.

[1] On peut toutefois réserver l’hypothèse de la conversion de l’usufruit en rente viagère (C. civ., art. 759), qui permettrait indirectement une vente de la pleine propriété par décision du seul nu-propriétaire. Si les conditions prévues par les textes sont remplies, le nu-propriétaire pourra imposer la conversion de l’usufruit en rente viagère. Puis, devenu plein propriétaire, il pourra vendre.

[2] V. par ex. F. Collard et B. Travely, « Variation autour de la vente d’un bien grevé d’un usufruit successif », JCP N 2013, 1185

[3] Cass. 3e civ., 26 janv. 1972 – Sur la consolidation v. B. Losfeld, « La consolidation », RTD civ. 2007, 1

Cette jurisprudence concernait une hypothèse marginale dans laquelle l’acquéreur entendait se prévaloir de l’effet extinctif de l’usufruit pour se libérer d’un contrat conclu par l’usufruitier initial avec un tiers[4]. Mais, hormis ces hypothèses peu fréquentes, la consolidation imparfaite ne présente pas de danger avéré pour l’acquéreur : il pourra exercer toutes les prérogatives d’un véritable plein propriétaire. Ainsi, déduire de cette jurisprudence la nécessité de faire systématiquement intervenir l’usufruitier en qualité de renonçant et non en qualité de vendeur nous paraît être une précaution excessive. Plus encore, la renonciation peut avoir des conséquences majeures sur la suite de l’opération, à savoir le sort du prix de vente.

En effet, il est clairement acquis que la renonciation à usufruit emporte extinction de ce droit[5]. Ainsi, si l’usufruitier intervient à l’acte de vente en qualité de renonçant, le démembrement de propriété sur cet immeuble prendra nécessairement fin. En raison de cet effet extinctif, le choix des parties quant au sort du prix de vente sera scellé : elles devront obligatoirement répartir le prix de cession entre elles. Usufruitier et nu-propriétaire ne pourront reporter le démembrement initial sur le prix de vente ou sur un nouveau bien puisque, précisément, ce démembrement initial n’existera plus. En d’autres termes, l’intervention de l’usufruitier en qualité de renonçant et non en qualité de vendeur n’a pas qu’une incidence sur la consolidation : elle influe avant tout sur le sort du prix de vente, privant les parties de leur option et les obligeant à répartir entre elles le prix de cession.

Il nous semble donc important que l’usufruitier intervienne à l’acte en qualité de vendeur[6], afin que lui-même et l’usufruitier conserve la triple option qui leur est offerte quant au sort du prix, option présentant un réel intérêt en matière de gestion de patrimoine.

[4] En l’espèce, avant la cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété, l’usufruitier initial avait conclu un bail ne respectant pas les prescriptions de l’article 595 du Code civil. Après la cession, l’acquéreur entendait se prévaloir de l’effet extinctif de l’usufruit pour obtenir la nullité de ce bail. La Haute juridiction lui avait dénié cette possibilité, considérant que l’acquéreur demeurait tenu par l’obligation de garantie du vendeur initial

[5] J.-F. Pillebout, J.-Cl. Not. Form., V° Usufruit, fasc. 40, n° 9 et s.

[6] Pour protéger efficacement l’acquéreur, il conviendra de prévoir une clause de garantie solidaire entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. En ce sens voir F. Collard et B. Travely, préc.

II – Le sort du prix de vente et son imposition au titre des plus-values immobilières des particuliers

Cette question est régie par l’article 621 du Code civil. Codifiant la jurisprudence antérieure[1], ce texte dispose qu’« en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix ».

Le principe est donc la répartition du prix de vente entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Par exception, les parties peuvent décider conjointement de reporter l’usufruit sur le prix de vente, créant ainsi un quasi-usufruit. La pratique, non démentie par le droit positif, y adjoint une seconde exception : le remploi, soit le report du démembrement sur un nouveau bien acquis par l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Avant d’examiner chacune de ces hypothèses, et ses conséquences en matière de plus-value immobilière des particuliers, une précision liminaire s’impose : il est impératif que le choix entre le principe (la répartition du prix) ou l’exception (le quasi-usufruit ou le remploi) soit opéré au plus tard lors de la signature de la vente[2]. En effet, l’article 621 du Code civil se situe dans une section intitulée « Comment l’usufruit prend fin ». Il en résulte que, par principe, la vente de la pleine propriété du bien démembré met automatiquement fin à l’usufruit. Pour éviter cette extinction de l’usufruit, et permettre un report du démembrement sur le prix de vente ou sur un bien acquis en remploi, il est indispensable de le prévoir avant l’extinction de l’usufruit. A défaut, le report du démembrement sera impossible, le droit positif n’offrant aucun mécanisme permettant de ressusciter un droit acquis ! Il faudra donc, au plus tard lors de la vente, que l’usufruitier et le nu-propriétaire opèrent un choix entre :

  • La répartition du prix
  • Le remploi
  • Le quasi-usufruit

[1] Cass. 1re civ., 20 oct. 1987, n° 86-13197

[2] Certains préconisent même que ce choix soit opéré dès l’avant-contrat : M. Iwanesko, « L’usufruit éventuel, la vente et la répartition du prix », Dr. & patrimoine oct. 1998, p. 22 et s. – M. le Doyen Aulagnier s’interroge même sur le risque de nullité de la vente si le sort du prix de vente n’y est pas prévu : J. Aulagnier, « La répartition du prix de cession d’un actif démembré », JCP N 2012, 1383, spéc. note 3. Pour des raisons fiscales, il est nécessaire que le choix du quasi-usufruit soit fait et formalisé au plus tard au moment de la cession. Il en va ainsi lorsque la vente du bien démembré s’intègre dans une opération de donation-cession de nue-propriété assortie d’un quasi-usufruit. Si le quasi-usufruit est constaté postérieurement à la cession, la donation de nue-propriété est considérée comme étant fictive et l’usufruitier est traité comme seul vendeur du bien. L’effet de purge de la plus-value afférente à la nue-propriété, est anéanti : CE, 10 févr. 2017, n° 387960, Fillet, JCP N 2017, n° 24, 1209, note C. Orlhac et Fr. Fruleux.

A – La répartition du prix de vente

Quel lieu plus approprié que les colonnes de l’AUREP pour rappeler les règles régissant la répartition du prix de vente ! Celle-ci doit s’opérer selon la valeur économique, et non selon le barème fiscal de l’article 669 du CGI, qui ne s’impose que pour les droits d’enregistrement et la taxe de publicité foncière[1]. La détermination de la somme revenant à chacun doit donc se faire en considération du taux de rendement du bien, de l’espérance de vie de l’usufruitier, … soit précisément les critères retenus par Monsieur le Doyen AULAGNIER pour élaborer sa méthode de calcul des droits démembrés[2].

Pourtant, force est de constater que la pratique continue d’évaluer l’usufruit et la nue-propriété en appliquant l’article 669 du CGI. Or, cette pratique malheureuse conduit le plus souvent à léser l’une des parties, généralement l’usufruitier, comme le démontre l’exemple suivant.

Soit un immeuble vendu 300 000 € par une usufruitière de 63 ans et son fils nu-propriétaire. Le bien a un taux de rendement de 4%. Par application du barème fiscal, l’usufruitière perçoit 40 % du prix, soit 120 000 €. L’évaluation économique conduit quant à elle à une somme de 187 067 €. Cet exemple chiffré, proche en outre de la réalité, montre l’impact économique conséquent d’une mauvaise évaluation de l’usufruit.

Si le notaire impose une répartition fiscale, il engage sa responsabilité. Comme l’a clairement décidé la Cour d’appel de Metz[3], si les parties souhaitent malgré tout retenir une ventilation du prix fondée sur l’article 669 du CGI, sans que la responsabilité du notaire ne soit engagée, cela suppose qu’elles aient été préalablement informées quant à l’évaluation économique, et à la ventilation qui en résulterait, et qu’elles choisissent volontairement le barème fiscal. A défaut, le notaire chargé de la vente risque d’engager sa responsabilité, et le montant du préjudice pourrait être élevé. Il comprendrait non seulement la différence entre l’évaluation fiscale et l’évaluation économique, mais également, selon nous, le surplus d’impôt de plus-value immobilière qui aurait été acquitté.

S’agissant en effet des plus-values immobilières, rappelons qu’en cas de cession conjointe par l’usufruitier et le nu-propriétaire de leurs droits respectifs, chacun est en principe imposable à raison de la plus-value qu’il réalise. Autrement dit, le notaire chargé de la vente devra calculer et déclarer la plus-value réalisée par l’usufruitier et la plus-value réalisée par le nu-propriétaire. Le calcul de chacune de ces plus-values nécessite de définir le prix de cession de l’usufruit et celui de la nue-propriété. Il est, ici, particulièrement important de connaitre la position adoptée par la doctrine administrative BOFip :

« Le prix de cession à retenir est le prix réel tel qu’il est stipulé dans l’acte. Le prix global doit être ventilé de façon à faire apparaitre distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l’usufruit, en fonction de la valeur réelle au jour de la vente.

A titre de règle pratique, il est admis que cette ventilation puisse être effectuée en appliquant le barème prévu par l’article 669 du CGI, en tenant compte, bien entendu, de l’âge de l’usufruitier au jour de la vente[4] ».

Autrement dit, s’agissant de la répartition du prix de vente entre les titulaires de droits démembrés, l’administration n’impose pas l’article 669 du CGI. Cet article ne s’impose que pour les droits d’enregistrement et la publicité foncière. Si les parties répartissent le prix de vente en tenant compte de la valorisation économique de leurs droits, cette méthode s’imposera pour le calcul des plus-values immobilières. L’exemple choisi plus haut servira notre démonstration.

Soit un immeuble vendu 300 000 € par une usufruitière de 63 ans et son fils nu-propriétaire. Le bien a un taux de rendement de 4%. Supposons, et c’est là une hypothèse fréquente, que l’immeuble vendu constitue la résidence principale de l’usufruitière qui y vit seule[5].

Si les vendeurs, dûment informés par leur notaire, font le choix de répartir le prix de vente par application du barème fiscal, l’usufruitière percevra 40 % du prix, soit 120 000 €, et le nu-propriétaire percevra le surplus, soit 180 000 €.

L’usufruitière pourra revendiquer l’exonération « résidence principale » et sa plus-value échappera à l’imposition.

Restera à calculer la plus-value dégagée par le fils qui cède la nue-propriété. Sa plus-value sera calculée sur la base d’un prix de cession de 180 000 € puisque les parties ont expressément choisi une répartition du prix fondée sur le barème fiscal.

Si les vendeurs font le choix – et même le bon choix – de l’évaluation économique, l’usufruitière recevra 187 067 € et le nu-propriétaire, 112 933 €. En termes de plus-values immobilières, l’usufruitière sera toujours exonérée. Le fils reste imposable mais sa plus-value sera calculée sur la base du prix de cession de la nue-propriété tel qu’indiqué dans l’acte, soit 112 933 €. En comparaison de la première méthode, la plus-value brute du nu-propriétaire est diminuée de presque 70 000 € ! Ce qui peut représenter une belle économie fiscale compte du taux de prélèvements sur les plus-values immobilières des particuliers : 19% au titre de l’impôt sur le revenu des plus-values immobilières et 17,2% au titre des prélèvements sociaux.

[1] Voir par exemple Cass. 1re civ., 17 sept. 2003, Juris-Data n° 2003-020314

[2] J. AULAGNIER, « Aspects économiques du démembrement de propriété », Dr. & patrimoine 1995, hors-série, n° 1 ; « La répartition du prix de cession d’un actif démembré », JCP N 2012, 1383

[3] CA Metz, 5 nov. 2015, n° 14/00549

[4] BOFip : BOI-RFPI-PVI-20-10-10, § 320, 03/02/2016.

[5] Autre hypothèse, tout aussi fréquente, l’usufruitière détient l’usufruit depuis plus de 30 ans. Par le jeu de l’abattement pour durée de détention qui commence à courir à compter de l’acquisition, par l’usufruitière, de l’usufruit, si elle avait acquis « isolément » l’usufruit, ou de la pleine propriété de l’immeuble.

B – Le remploi

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent décider de remployer le prix de cession dans l’acquisition d’un nouveau bien, mobilier ou immobilier. Le démembrement initial se reporte alors sur le nouveau bien. Le choix de cette option nécessitera le respect de certaines règles, afin d’éviter certaines conséquences dommageables au décès de l’usufruitier, liées à l’article 751 du CGI.

On sait en effet que le nu-propriétaire ne fera l’objet d’aucune taxation lors de l’extinction de l’usufruit, conformément à l’article 1133 du CGI, qui dispose de façon maladroite que « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ». Toutefois, lorsque le nu-propriétaire est un héritier de l’usufruitier, l’article 751 du CGI édicte une présomption de fictivité du démembrement, conduisant à intégrer dans la succession de l’usufruitier la valeur en pleine propriété du bien. La mise en œuvre de cette présomption neutralisant l’intérêt majeur du démembrement en termes de gestion de patrimoine, il est essentiel de respecter certaines précautions pour s’assurer de la non-application du texte.

Il est ainsi tout d’abord essentiel d’indiquer expressément dans l’acte d’acquisition que le prix provient de la vente d’un bien démembré, en retraçant l’origine des deniers. Par ailleurs, si le remploi n’a pas lieu immédiatement, il est conseillé de maintenir les fonds en la comptabilité du notaire[1] ou, s’ils sont versés, d’ouvrir un compte en démembrement.

Le remploi pose également question en cas de discordance entre le prix de cession du premier bien et le prix d’acquisition du second. Il est en effet rare que les deux prix soient strictement identiques. Lorsque le bien subrogé (le bien 2) a une valeur inférieure au bien vendu (le bien 1), il existe un surplus de prix sur le sort duquel il convient de s’interroger. En reprenant l’exemple de la vente d’un bien pour un prix de 300 000, que décider si le prix d’acquisition (frais inclus) du second bien est de 280 000 € ? Ce différentiel interdit-il le remploi ? Si le remploi est possible, à qui revient le reliquat de 20 000 € ? Dans ce cas, le remploi est fort heureusement possible. Il conviendra de scinder le prix de cession en deux parties. La première, correspondant au prix d’acquisition du nouveau bien, fera l’objet du remploi. La seconde, correspondant au surplus, devra soit être répartie entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, soit faire l’objet d’un quasi-usufruit.

Qu’en est-il lorsque, au contraire le prix d’acquisition (frais inclus) du second bien est supérieur au prix de cession du premier immeuble ? Prenons ici l’exemple de l’immeuble vendu 300 000 €, et d’un nouvel immeuble acquis pour la somme globale de 350 000 €. Là encore, le remploi est possible. Mais il sera essentiel de déterminer qui finance le surplus, et comment ce financement s’opère, afin d’éviter les risques liés à l’article 751 du CGI. Si les parties souhaitent que le démembrement porte sur l’intégralité du second immeuble, le nu-propriétaire devra financer sa part (soit la valeur de la nue-propriété) sur le différentiel, et conserver la preuve de ce financement personnel[2].

[1] S. SABOT-BARCET et V. TRAMBOUZE-LIVET, « Le réinvestissement du prix de vente d’un immeuble démembré », JCP N 2016, 1173, spéc. n° 11

[2] Soit parce que ces fonds supplémentaires lui appartiennent personnellement, soit qu’ils proviennent d’un emprunt ou encore d’une donation authentique ou régulièrement enregistrée. Voir S. SABOT-BARCET et V. TRAMBOUZE-LIVET, préc.

L’option des parties pour le remploi n’efface pas la question des plus-values immobilières.

Cette question devra d’abord être envisagée lors de la vente de l’immeuble démembré (bien 1). Ici, l’option pour le remploi n’a aucun impact sur l’imposition de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Aucun texte n’institue d’exonération particulière, de report ou de sursis d’imposition. L’acte de vente devra donc faire apparaitre distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l’usufruit. C’est sur la base de cette déclaration que la plus-value de chacun sera calculée[3].

La question des plus-values immobilières se posera ensuite si les parties revendent l’immeuble subrogé (bien 2). Si l’immeuble est toujours démembré, usufruitier et nu-propriétaire seront chacun susceptibles de réaliser une plus-value immobilière. Comment seront calculées ces deux plus-values ? Cette fois, c’est le prix d’acquisition qui peut poser difficulté. Quel prix d’acquisition retenir pour calculer la plus-value de l’usufruitier et quel prix d’acquisition retenir pour le nu-propriétaire ?

On devra considérer que l’usufruitier et le nu-propriétaire ont acquis leurs droits aux termes de l’acte d’achat de l’immeuble subrogé (bien 2). Il conviendra donc de se reporter aux indications portées dans cet acte. Il est ainsi essentiel que cet acte d’acquisition comporte la ventilation du prix entre l’usufruitier et le nu-propriétaire[4].

Si l’acte d’achat fait bien apparaitre distinctement le prix d’achat de la nue-propriété et celui de l’usufruit, on retiendra obligatoirement ces prix pour calculer les plus-values. Peu importe la méthode de ventilation utilisée lors de l’achat et celle lors de la revente. Peu importe aussi que l’usufruitier ait depuis vieilli[5]. Cette analyse résulte de la combinaison du 1er et du 3ème alinéa de l’article 150 VB, I du CGI qui posent un principe et une exception.

Par principe, le prix d’acquisition à retenir pour calculer la plus-value d’un droit démembré acquis « isolément[6] » est le prix de ce droit « stipulé » dans l’acte d’acquisition ou la valeur « retenue » pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit.

Ce principe ne connaît qu’une exception : lorsque le droit démembré a été reçu à la suite d’un décès avant le 1er janvier 2004 – et uniquement dans cette hypothèse – la valeur d’acquisition du droit démembré doit être « retraitée ». Elle correspond à la valeur en pleine propriété du bien au jour du décès sur laquelle est appliqué le barème de l’article 669 du CGI en tenant compte de l’âge de l’usufruitier au jour de la vente[7].

[3] Nous renvoyons sur ce point à nos développements du II, A.

[4] Cette mention expresse est également importante pour la validité de l’acquisition. Chacun se portant acquéreur d’un droit, le prix de chaque droit doit être déterminé, conformément à l’article 1591 du Code civil

[5] Le BOFip énonce que « le prix d’acquisition du droit est celui effectivement acquitté par le cédant, tel qu’il a été stipulé dans l’acte. Il n’a pas à être évalué a posteriori à l’aide d’un barème ou d’une évaluation économique » (BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10, § 210)

[6] L’expression est celle de la doctrine administrative. Elle désigne le cas d’un usufruitier qui a acquis l’usufruit (et uniquement l’usufruit) et qui revend cet usufruit. Idem pour le nu-propriétaire. BOFip : BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10, § 210 pour le droit démembré acquis à titre onéreux et § 320 à 340 pour le droit démembré recueilli à titre gratuit.

[7] Article 150 VB, I, 3ème alinéa CGI ; BOFip : BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10, § 330 et 340.

C – Le quasi-usufruit

Enfin, l’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent décider de reporter l’usufruit sur le prix de vente, créant ainsi un quasi-usufruit. Par cette option, c’est l’intégralité du prix de vente qui est remis à l’usufruitier. Le nu-propriétaire quant à lui reçoit une créance de restitution, qui sera acquittée lors de l’extinction de l’usufruit.

Si on reprend l’exemple précédent de la vente d’un immeuble pour un prix global de 300 000 €, l’usufruitier percevra immédiatement l’intégralité de cette somme. Le nu-propriétaire sera quant à lui titulaire d’une créance de restitution de 300 000 €, laquelle sera exigible à l’extinction de l’usufruit.

Avant d’examiner l’épineuse question de la plus-value immobilière dans ce cas, deux précisions s’imposent. Tout d’abord, il est indispensable que la convention de quasi-usufruit soit réalisée par acte authentique ou par acte sous seing privé dûment enregistré[1]. A défaut, la créance de restitution ne sera pas déductible de la succession de l’usufruitier. Par ailleurs, à l’occasion de la rédaction de cette convention, d’autres stipulations pourraient être utilement prévues, telles que des garanties de paiement de la créance, et/ou une indexation de la créance[2].

Demeurera alors à résoudre une question délicate :  Comment calculer l’impôt de plus-value immobilière ?

Le quasi-usufruit suscite des interrogations. Puisque le prix est intégralement remis à l’usufruitier, ce dernier n’est-il pas seul imposable ? Au contraire, ne s’agit-il pas d’une simple « convention » entre usufruitier et nu-propriétaire qui n’a pas d’impact sur le principe de l’imposition conjointe ?

Commençons par deux constats : aucun des articles du CGI consacrés au régime des plus-values immobilières des particuliers n’apporte le moindre élément de réponse et aucun précédent jurisprudentiel ne tranche la question.

La doctrine administrative est, pour sa part, sibylline. Longtemps, elle a énoncé qu’« en cas de cessions conjointes par le nu-propriétaire et l’usufruitier de leurs droits démembrés respectifs, l’opération est susceptible de dégager une plus-value imposable au nom de chacun des titulaires des droits démembrés »[3]. Puis, en 2005, elle a inséré dans cette même phrase « avec répartition du prix de vente entre les intéressés »[4]. Cette insertion a questionné la doctrine scientifique : l’administration fiscale voudrait-elle nous faire comprendre qu’à défaut d’une « répartition effective » du prix, l’imposition n’est pas répartie ? En cas de quasi-usufruit, l’usufruitier serait-il seul imposable à raison de la plus-value totale ?[5]

Nous inclinons pour une réponse négative. Malgré le quasi-usufruit, « le prix global doit être ventilé de façon à faire apparaitre distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l’usufruit »[6]. Et c’est sur cette base, que les plus-values de chacun doivent être calculées. L’opinion est partagée par certains[7] et rejetée par d’autres[8].

Selon nous, en cas de quasi-usufruit, comme nous l’énonçons plus haut, l’usufruitier reçoit certes l’intégralité du prix de vente mais le nu-propriétaire reçoit aussi une créance de restitution. Une analyse que confirme la jurisprudence administrative interrogée sur le schéma de donation-cession de nue-propriété assortie d’un quasi-usufruit[9].

Cette créance porte en elle, la plus-value prise par l’immeuble depuis son acquisition, puisqu’elle est au moins égale au prix de cession d’immeuble. Le nu-propriétaire bénéficie ainsi d’un enrichissement que le régime des plus-values immobilières vise à taxer.

Soyons aussi pragmatique. Si l’administration l’avait voulu, elle aurait – en toute simplicité – importé dans sa doctrine sur les plus-values immobilières des particuliers, les développements qu’elle a, depuis bien longtemps, insérés dans sa doctrine sur les plus-values sur titres démembrés[10].

[1] Art. 773 2° CGI

[2] Laquelle doit répondre aux exigences de l’article L 112-2 du Code monétaire et financier – Sur cette question voir C. ORLHAC, Actes pratiques et stratégie patrimoniale 3/2015, Dossier spécial « Quasi-usufruit : aspects théoriques et pratiques ».

[3] D. adm. 8M-2111,n° 14, ler déc. 1995

[4] BOI-RFPI-PVI-20-10-10

[5] É. PORNIN, « Plus-values immobilières : Instruction du 4 août 2005, des réformes dans la réforme », La revue fiscale du patrimoine n° 11, novembre 2005, étude 9, n°19

[6] BOI-RFPI-PVI-20-10-10

[7] R. Mortier, « La donation avant cession in extenso », Droit fiscal n° 39, 25 Septembre 2014, 540, § 23

[8] « PLUS-VALUE IMMOBILIÈRE ET QUASI-USUFRUIT : LA GRANDE INCONNUE »,  https://bornhauser-avocats.fr/fr/plus-value-immobiliere-et-quasi-usufruit-la-grande-inconnue

[9] CE, 10 févr. 2017, n° 387960, Fillet, JCP N 2017, n° 24, 1209, note C. ORLHAC et Fr. FRULEUX.

[10] BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60

Droit fiscal
Communication AUREP

Communication AUREP