Terminer sa vie dans son lieu de vie familier, une préoccupation majeure des séniors : « neuf séniors sur dix, déclarent vouloir… vivre chez soi »[1].
[1] Michèle Delaunay, Le fabuleux destin des baby-boomers, Ed. Plon, Décembre 2019, p.191 et s.
Comment satisfaire à cette préoccupation ? On raisonne à partir de la situation de Mr et Mme Henriot, âgés respectivement de 75 et 73 ans. Ils s’interrogent sur les conditions de leur fin de vie et plus particulièrement sur la conservation de leur lieu de vie familier. Ils disposent d’une maison confortable, avec petit jardin, bien située en cœur de ville, pas très éloignée de leur fille ainée. Cette maison appartient à Monsieur Henriot pour l’avoir recueillie dans un partage familial. Elle est estimée 200.000 euros environ.
Mr et Mme Henriot, mariés sous le régime de la communauté légale, ont deux enfants Claire, très attentive à ses parents et Pierre trop éloigné pour s’occuper d’eux. L’entente familiale est cependant parfaite.
Se pose la question du devenir de leur maison et de son mobilier. Ils considèrent que tant que leur santé le permettra ils s’y maintiendront. Pas vraiment nécessaire de conserver les pouvoirs d’un plein propriétaire. Maitriser le droit d’y demeurer leur parait suffisant. Il ne leur serait pas indifférent d’en garantir la possession à terme à leur fille.
Leur garantir la possibilité d’abord d’y vivre et si possible d’y mourir, garantie peut résulter lors d’une cession soit de la rétention de l’usufruit, soit de la rétention du droit d’habitation[1]. Nous nous proposons de regrouper ces deux droits sous le vocable droits d’occupation.
Mr et Mme Henriot sollicitent l’avis de leur expert en gestion de patrimoine pour les aider à prendre la bonne décision. Ils souhaitent pour effectuer le bon choix bien maitriser la ou les différences entre l’un ou l’autre des droits d’y demeurer susceptibles d’être retenus[2] (1ère partie)
Ils désirent également comprendre comment est déterminé la valeur respective de ces droits d’occupation (2ème partie).
[1] Par mesure de simplification nous parlerons non pas de « droit d’usage et d’habitation » mais plus simplement de « droit d’habitation ». Il est vrai que si l’on ajoute le mobilier à l’habitation alors l’association droit d’usage et d’habitation se justifient pleinement.
[2] V. Jean François Pillebout, Usage et habitation, caractères et constitution, fas. 10, février 2019, Stéphane Piédelièvre, Usage-habitation, Répertoire de droit civil, Avril 2015.
NATURE ET CARACTÈRES DES DROITS D’OCCUPATION
A – La naissance des droits d’occupation[1]
Les droits d’usufruit et d’habitation, permettant l’un et l’autre le droit d’occuper, s’établissent par les dispositions de la loi ou par la volonté de l’homme[2], soit par acte entre vifs soit par dispositions testamentaires. Ils résultent des choix du propriétaire, mais aussi des choix de son conjoint (ou partenaire) concernant les dispositions pour cause de mort pouvant lui profiter. L’un comme l’autre réalise « un démembrement » de la propriété puisque l’usage de la chose dans le temps est partagé avec le propriétaire.
[1] Nous regroupons sous le vocable droit d’occupation le droit d’usufruit et le droit d’habitation
[2] Articles 579 et 625 du code civil
Dans le cas de Mr Henriot, différentes stratégies concernant sa maison peuvent conduire à en conserver et organiser l’occupation :
- La céder à sa fille, à titre gratuit ou à titre onéreux[1] mais en se réservant le droit d’occupation tant pour lui-même que pour son épouse, par réversion[2].
- En léguer l’usage à son épouse (libéralités entre époux[3]) et la propriété à sa fille.
- Accepter la loi civile qui en vertu de l’article 757 du code civil ouvre à son épouse un droit d’option en usufruit, dès lors que les enfants sont communs
- Offrir à son épouse, via l’article 1094-1 du code civil la possibilité d’opter pour l’’usufruit
- Indiquer à Mme Henriot qu’il lui sera possible de demander dans le délai d’une année de l’ouverture de la succession le droit viager au logement en application des dispositions de l’article 764 du code civil[4]: « le conjoint successible qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant »[5].
On remarquera qu’en léguant l’usufruit à son épouse s’ouvre pour elle le droit de retenir soit l’usufruit de la maison, soit le droit d’habitation.
En effet, le conjoint usufruitier pourrait parfaitement cantonner[6] l’usufruit sur tous les biens autres que la maison d’habitation et exercer à la place le droit viager d’habitation et d’usage organisé par la loi du 3 décembre 2001.
Les conditions de l’usage sont le résultat soit des dispositions légales soit de leur organisation par la volonté des usagers[7]. Les dispositions du code civil sont le plus souvent supplétives. L’usager peut les accepter, il peut les remodeler pour les adapter aux situations patrimoniales envisagées ou rencontrées, il peut les appliquer hors des situations pour lesquelles le législateur les avait envisagées. L’organisation des droits retenus est « volontariste », elle répond de leur utilité[8].
La liberté d’aménagement de ces droits connait cependant des limites, il faut pouvoir distinguer le droit d’habitation du droit d’usufruit, tout rapprochement excessif pourrait conduire à une requalification.
Y-a-t-il des raisons, et si oui lesquelles, pour préférer l’un ou l’autre de ces modes de rétention, relativement proches mais pas totalement identiques, pour jouir du « droit d’habiter ».
[1] Si la réserve du droit d’usage faite à l’occasion d’un acte à titre onéreux (ex. Mr Henriot vendrait à sa fille la propriété) la présomption de gratuité prévue par l’article 618 du code civil, ne s’applique pas si le droit réservé est constitué du droit d’habitation et non du droit d’usufruit. V. Stéphane Piedelièvre, Usage et habitation, Répertoire de droit civil, avril 2015, op. c. paragraphe n° 8
[2] Le droit réservé au conjoint ne lui est pas transmis pour cause de mort, mais il subsiste jusqu’au décès du survivant des bénéficiaires
[3] Article 1094-1 du code civil
[4] Article 764 du code civil : « Sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l’article 971, le conjoint successible qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant ».
Les modalités d’exercice de ce droit ont été précisé par la Cour de cassation (Civ. 1ère) dans un arrêt du 13 février 2019, n° 18-10171
[5] Article 764, al.1 du code civil
[6] Article 1094-1 alinéa 2 : « …. Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur… ».
[7] Pour l’usufruit l’article 579 du code civil précise « L’usufruit est établi par la loi ou la volonté de l’homme », pour le droit d’habitation l’article 628 est ainsi rédigé : « Les droits d’usage et d’habitation se règlent par le titre qui les a établis et reçoivent, d’après ses dispositions, plus ou moins d’étendue ». L’article 629 poursuit : « Si le titre ne s’explique pas sur l’étendue de ces droits ils sont réglés ainsi qu’il suit…. ».
[8] Voir Fréderique Julienne, Les conventions dans les rapports entre usufruitier et nu-propriétaire, L’usufruit, Journées Nationales, Association Capitant, Ed. Dalloz, p. 53 et s.
B – L’étendue des droits d’occupation
Il s’agit de droits viagers. Ils ne peuvent durer au-delà de la vie du titulaire[1]. Ils peuvent être établis pour une durée déterminée, tout en restant subordonnés à sa survie.
La différence de fonds entre droit d’usufruit et droit d’habitation réside dans le fait que le second s’exerce en référence aux besoins du titulaire du droit.
Cet exemple simple permettra à Mr et Mme Henriot de comprendre cette différence : l’usufruitier a droit à la totalité des fruits procurés par le bien, alors que le titulaire du droit d’usage et d’habitation n’a droit qu’aux fruits nécessaires à sa consommation personnelle.
Pour reprendre l’expression de Jean Baptiste Victor Proudhon, il s’agit « d’un droit de jouissance borné à ce qu’exigent les besoins ou la consommation de l’usager »[2] et à sa famille.
Droit réel, mais droit personnel de l’usager.
[1] Droits temporaires par essence, viagers par nature.
[2] V. Jean Baptiste Victor Proudhon, Traité des droits d’usufruit, d’usage et d’habitation (Ed. 1823), tome 6, p. 7
Mr Henriot, usufruitier, dispose du droit d’habiter pour lui-même. Il peut partager ce droit d’habiter avec qui il veut, son conjoint comme il le souhaite, mais également ses enfants, ses amis, sans aucune limitation autres que celles d’un usage trop largement partagé pouvant nuire alors à la bonne conservation du lieu de vie. Il peut en faire profiter un tiers, par exemple un locataire[1].
Le droit d’occupation de l’usufruitier n’est pas une simple faculté de logement personnel, mais un droit d’usage sur l’unité d’habitation (totalité de la maison). Le droit d’usufruit réservé à Mme Henriot garantit que même en l’absence de son mari elle pourra poursuivre l’occupation de la maison
[1] Article 595 du code civil : « L’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit ».
Mr Henriot, titulaire du droit d’habitation, droit personnel, ne dispose pas de la possibilité d’un usage concédé ou partagé à un tiers. « Il ne peut ni céder ni louer son droit à un autre »[2]. Seul le titulaire du droit d’habitation lui-même et les membres de sa famille proche (enfants, conjoints) peuvent utiliser le logement[3]. La famille peut partager la jouissance en la présence, mais aussi en l’absence de l’un ou des titulaires du droit, ce qui rassure Mme Henriot.
[2] Article 631 du code civil : « L’usager ne peut céder ni louer son droit à un autre »
[3] Article 632 du code civil : « Celui qui a un droit d’habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille, quand même il n’aurait pas été marié à l’époque où ce droit lui a été donné ». V. Cass. Civ. 3ème 7 décembre 2005, n° 04-15218. Parfois questionné sur la capacité pour une personne seule d’accueillir sa compagne de fin de vie, il doit être répondu positivement.
Si pour raison de santé Mr Henriot devait quitter sa maison de manière durable et peut-être définitive (maladies chroniques invalidantes), Mme Henriot pour ne pas se retrouver seule, pourrait y accueillir sa fille.
L’acte établissant le droit d’usage pourra par un effet de volonté du testateur, ou des parties qui l’auront stipulé, prévoir d’inclure des personnes plus éloignées, par exemple de convenir de loger, en cas de besoin, des aidants. On doit pouvoir considérer que le personnel d’accompagnement et de services du titulaire du droit appartient « à la famille » au sens social du terme.
- Serait-il possible à Mr Henriot, qui a réservé le droit d’habitation tant pour lui-même que pour son épouse, de stipuler que le survivant se retrouvant seul dans une maison « devenue trop grande » pourrait accueillir par exemple un hôte « payant » ? La réponse est négative. La jurisprudence est constante. L’interdiction de louer serait sanctionnée par la nullité du bail.
Le législateur prenant acte des effets du vieillissement a introduit cependant une exception à cette interdiction de louer, exclusivement réservée au conjoint, codifiée dans l’article 764, al. 5 : « … lorsque la situation du conjoint fait que le logement grevé du droit d’habitation n’est plus adapté à ses besoins, le conjoint ou son représentant peut le louer à usage autre que commercial ou agricole afin de dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d’hébergement ». Inadapté à ses besoins, par exemples : éloignement des enfants, mauvais agencement pour une personne en fauteuil roulant, trop exigu pour accueillir un aidant soignant, les raisons sont nombreuses.
- Serait-il possible dans une donation avec réserve d’habitation ou dans un legs du droit d’habitation, de stipuler au titre des conditions, que le constat d’une inadéquation de cette habitation aux exigences de vie de l’époux survivant (exclusivement pour lui) lui ouvrirait le droit de louer ? Par exemple en cas d’admission pour raison de santé dans un établissement hospitalier, la location aidant à financer le coût de l’hébergement. Difficile de l’admettre. Il ne faut pas confondre le droit de louer à un tiers avec le droit d’obtenir du propriétaire une indemnité pour renonciation à un usage personnel.
Le droit d’habitation se rapproche sans se confondre totalement au droit d’usufruit[1]. Plus on élargira le droit de jouissance à d’autres que l’usager lui-même plus on rapprochera les deux droits, avec le risque d’ouvrir les voies d’une requalification du droit d’habitation en droit d’usufruit. Le caractère personnel du droit ne doit pas être contourné, la requalification en usufruit pourrait être alors être justifié.
Ce rapprochement sera par exemple concrétisé par des précisions concernant l’étendue de l’usage de l’habitation afin d’écarter les risques attachés aux dispositions de l’article 633 qui ouvre la possibilité de restreindre « … à ce qui est nécessaire pour l’habitation de celui à qui ce droit est concédé et à sa famille ».
- On imagine une dégradation des relations entre Mme Henriot et sa fille, celle-ci pourrait-elle contester un droit d’usage s’exerçant sur la totalité de la maison « manifestement » devenue trop grande pour une personne seule, son mari ayant été admis dans un établissement hospitalier ? Peut-on écarter l’exercice « vexatoire » de ce droit ? Il conviendra, à tout le moins, de préciser que le droit d’habitation, s’exercera « à forfait » sur la totalité du local et de ses accessoires ayant constitué la résidence du couple[2]. Une disposition conventionnelle qui rapproche un peu plus le droit d’habitation du droit d’usufruit !
Le droit d’habitation s’exerce non seulement sur l’habitation mais également sur les « accessoires », par exemple sur le parking, le garage, le jardin d’agrément ou potager. L’accessoire suit toujours le principal.
Mais, le jour ou Madame Henriot ne pourra plus conduire ou n’aura plus de voiture que devient ce droit qui ne lui serait plus vraiment nécessaire ? Elle pourra toujours décider d’y renoncer, mais sa fille pourrait-elle la priver de l’un ou l’autre de l’usage de ces accessoires au prétexte qu’elle n’en a plus l’utilité.
À ces questions l’on doit y répondre avant même qu’elles ne se posent et y apporter les réponses conventionnellement décidées, en précisant que le droit s’exercera sur tous les éléments attachés à la propriété.
[1] Olivier Vix, Droit d’usage et d’habitation en droit de la famille, Solution notaire n° 18 janvier 2018, n° 1, p. 11
[2] Le titre constitutif peut régler l’étendue du droit.
C – La gestion et l’administration des droits d’occupation
Les occupants doivent jouir « raisonnablement »[1], (en bon père de famille), exigence partagée par les détenteurs des droits d’usufruit ou d’habitation. D’où la même obligation pour entrer en jouissance d’avoir fait inventaire. Ils pourraient être tenus de donner caution, mais ils pourraient également en être dispensés.
L’occupation par l’usufruitier impose la prise en charge de tous les travaux d’entretien du lieu de vie selon les dispositions supplétives de l’article 605 du code civil[2], laissant au nu-propriétaire seulement les grosses réparations. L’usufruitier est également tenu des charges annuelles auxquelles est soumise l’habitation, impôt foncier, assurances etc..[3].
Ces dispositions, une fois encore, sont supplétives. Il serait parfaitement possible de les adapter par convention. Les conditions et charges dépendent d’abord de la volonté des parties, et par défaut de la loi.
Parce que le grand âge peut justifier de travaux d’adaptation de l’habitation, le titre devra préciser les aménagements qui pourraient être réalisés avec ou sans autorisation. Toute modification de la substance dépendra cependant de la volonté du propriétaire, Claire Henriot et non de ses parents, sauf convention contraire.
Le législateur n’a rien proposé concernant les charges dans le cas d’un droit d’habitation, sauf à renvoyer aux dispositions convenues dans le titre qui l’a établi[4]. Il est donc vivement conseiller de les préciser dans l’acte donnant naissance à ce droit.
Sur ce sujet il n’y a donc pas de vraie différence entre droit d’usufruit et droit d’habitation puisque tant l’un que l’autre peut être aménagés à la volonté des parties.
Si le droit d’habitation n’est pas le droit d’usufruit, il se ressemble et s’en rapproche progressivement. On parle à propos du droit d’habitation de « petit usufruit », d’un diminutif de l’usufruit[5].
[1] Articles 601 et 627 du code civil
[2] Article 605 : « L’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ».
[3] Article 608 : « L’usufruitier est tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles de l’héritage, telles que les contributions et autres qui dans l’usage sont censées charges des fruits ».
[4] Article 628 du code civil : « Les droits d’usage et d’habitation se règlent par le titre qui les a établis… ».
[5] V. O. Vix, . « Si n’est pas de l’usufruit cela y ressemble fortement », Droit d’usage et d’habitation, art. c.»
D – L’arbitrage des droits d’occupation
C’est là que se situe la grande différence entre droit d’usufruit et droit d’habitation. On ne peut jamais céder plus de droit que l’on s’est réservé.
Le droit d’usufruit peut être cédé tant à titre gratuit qu’à titre onéreux. Ces opérations, relativement peu fréquentes, doivent évidemment être comprises pour être engagées dans la mesure où si le droit d’usufruit, par arbitrage, change de mains il reste suspendu à la durée de vie du cédant et non à celle du cessionnaire.
Ce n’est peut-être pas grave pour une cession à titre gratuit, c’est beaucoup plus délicat pour la cession à titre onéreux dans la mesure où le prix aura été déterminé par la prise en compte du reste à vivre théorique du vendeur (voir ci-après évaluation des droits d’usage).
Le droit d’habitation étant un droit personnel de l’usager, il ne pourra pas, non seulement se transmettre à ses héritiers (comme d’ailleurs l’usufruit)[1], mais il ne pourra davantage faire l’objet d’une donation ou d’une cession au profit d’un tiers, ce que peut faire un usufruitier.
Si le droit d’habitation ne peut être cédé isolément par Mr ou Mme Henriot, ils ont la possibilité de renoncer à l’exercer, renonciation abdicative et non translative. Leur fille Claire Henriot, disposera alors de la propriété sans partage, une propriété « pleine et entière ». L’incessibilité du droit d’habitation ne doit pas se retourner contre son bénéficiaire.
Si ce droit n’est pas adapté à sa situation il doit naturellement pouvoir y renoncer.
Lorsque l’arbitrage des droits de l’usufruitier et du propriétaire est simultané, alors le prix doit être partagé selon l’article 621 du code civil[2]. Cette disposition propre au droit d’usufruit ne se conçoit pas pour le droit d’habitation qui n’est pas cessible. Si le bien sur lequel porte le droit d’habitation doit être cédé, cette cession réalisée par le propriétaire seul, aura été précédée de la renonciation par l’usager à son droit, renonciation éventuellement indemnisée.
La renonciation au droit d’habitation peut donner lieu à indemnisation au profit du renonçant soit par le propriétaire, soit par le cessionnaire (acquéreur en même temps de la propriété) qui entrera en jouissance sans devoir attendre la mort de l’usager.
Cette indemnisation peut prendre la forme d’un capital, ou d’une rente.
[1] Droit d’usufruit ou droit d’habitation s’éteigne par la mort de l’usager (article 617 et 625 du code civil.
[2] Article 621 du code civil : « En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix ».
Quelle en sera le montant (voir ci-après la valeur des droits d’occupation) ? Elle reste évidemment subordonnée à l’accord du propriétaire qui peut attendre patiemment que l’ancien occupant se lasse de payer inutilement des frais d’usage. L’usufruitier est en meilleure position, sa lassitude sera moins évidente grâce aux loyers éventuellement encaissés et des droits que lui ont ouverts le législateur du 3 décembre 2001.
L’article 759, issu de la loi du 3 décembre 2001, prévoit en effet : « que l’usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rente viagère, à la demande de l’un des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint successible »[3]. Lorsque cet usufruit concerne le logement occupé à titre de résidence principale le conjoint peut demander la conversion en rente[4] mais pas le nu-propriétaire[5].
Le conjoint, titulaire d’un droit d’habitation peut-il imposer la conversion de son droit en rente viagère comme peut le faire le conjoint titulaire du droit d’usufruit ? L’article 759 ne vise que l’usufruit. Il est donc recommandé, dans l’acte, par exemple de donation avec réserve d’habitation, de stipuler conventionnellement que le donateur pourra proposer la conversion en rente viagère, rien n’interdirait d’en fixer les conditions d’exercice d’une part (admission dans un établissement médicalisé ou encore au-delà d’un certain âge) et son montant éventuel d’autre part[6].
La renonciation « indemnisée ou non » place sur la même tête les qualités d’usager et de propriétaire mettant fin au droit d’habitation conformément aux dispositions de l’alinéa 4 de l’article 625 du code civil.
Tant pour le droit d’usufruit que pour le droit d’habitation la renonciation ne se présume pas, elle doit être expresse. De l’abandon apparent du droit d’habitation, ou même rendu nécessaire par une santé défaillante, on ne peut déduire la renonciation.
Cet abandon de l’usage, s’il est accompagné d’un défaut l’entretien pourrait ouvrir la voie judiciaire de l’abus de jouissance tel que prévu à l’article 617 du code civil : « L’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, … en le laissant dépérir faute d’entretien ».
[3] L’article 760 ne permet pas au juger d’imposer à la demande des héritiers nus-propriétaires la conversion de l’usufruit en rente se rapportant au lieu de vie familier
[4] Cette conversion en rente pourra se traduire, lorsque le prix de la nue-propriété a été stipulé payable en rente par une majoration de la rente à la charte du débirentier.
[5] V. article 760 du code civil : « …. Toutefois, le juge ne peut ordonner contre la volonté du conjoint la conversion de l’usufruit portant sur le logement qu’il occupe à titre de résidence principale, ainsi que sur le mobilier le garnissant ».
[6] Le montant de la rente (à négocier entre les parties) devrait être identique que la conversion concerne l’usufruit ou qu’elle concerne le droit d’habitation. Ce montant est corrélé au loyer que le logement pourrait produire (principe d’équivalence).
E – La fiscalité des droits d’occupation
Quelles différences « fiscales » entre les droits d’usufruit et d’habitation ?
- Présomption de l’article 751
Une différence dont il est malgré tout relativement peu fréquent de se prévaloir : Le droit d’habitation échappe à la présomption de propriété de l’article 751 du CGI[1] selon laquelle au décès du titulaire d’un droit d’usufruit le bien ferait parti de sa succession dès lors que la Nue-propriété appartiendrait à un présomptif héritier. Cette disposition, qui écarte l’application de l’article 1133 du CGI, repose sur la suspicion de l’administration fiscale présumant que la nue-propriété aurait été acquise avec des deniers fournis mais non déclarés par l’usufruitier.
Cette présomption ne s’applique pas lorsque le démembrement résulte d’une donation régulière ou lorsqu’il a été constaté par un acte ayant date certaine que l’acquisition a été faite avec des deniers donnés.
Elle ne s’applique pas non plus lorsque l’usage réservé est constitué du droit d’habitation et non pas du droit d’usufruit.
- ISF puis IFI
Certains avaient pu espérer qu’un bien immobilier, grevé d’un droit d’habitation, puisse, à la différence d’un droit d’usufruit, ne pas être pris en compte dans l’actif taxable à l’ISF puis à l’IFI. Espoir déçu[2]. L’article 885 G al.1 du CGI, prévoit que les biens ou droits grevés d’usufruit ou d’un droit d’usage et d’habitation sont, sauf exceptions, compris, dans le patrimoine de l’usager pour leur valeur en toute propriété.
[1] Article 751 : « Est réputé, au point de vue fiscal, faire partie, jusqu’à preuve contraire, de la succession de l’usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant, pour l’usufruit, au défunt et, pour la nue-propriété, à l’un de ses présomptifs héritiers …. ».
[2] V. Cass.Civ. 1ère 13 mai 2015, n° 14-16820
F – La fin des droits d’occupation
L’article 625 du code civil indique que le droit d’habitation se perd de la même manière que l’usufruit[1], c’est-à-dire soit par la mort de l’usager, soit par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé (usage de durée déterminée), soit par la consolidation ou la réunion sur la même tête des qualités d’usager et de propriétaire.
Nous avons déjà évoqué cette consolidation dans le paragraphe « droit d’arbitrage ».
La fin du droit peut également survenir par « défaut d’usage ». L’article 617 le précise en indiquant que ce défaut doit avoir été constaté pendant trente ans. Cette précision de durée écarte toute possibilité d’invocation de ce motif par le propriétaire pour disposer de la pleine propriété.
Il peut également prendre fin par « abus de jouissance » sous réserve d’intervention du juge ayant eu connaissance des effets du défaut ou mauvais entretien.
[1] Article 625 du code civil : « Les droits d’usage et d’habitation s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit ».