La détermination de la prestation compensatoire est un exercice éminemment délicat. A chacun sa croix – et sa capacité à la porter. Sans même évoquer le dosage et le moment d’emploi, nous aborderons aujourd’hui, dans le sillage de la Cour de cassation (Cass. 1e civ., 3 juill. 2024, n° 22-11.443), un ingrédient dont il s’agira modestement de savoir s’il doit ou non intégrer la recette.
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Que l’équation est difficile à résoudre, effectivement ! A l’impossible, les juges sont pourtant tenus. Ils s’acquittent tant bien que mal de leur mission, coupant parfois piteusement la poire en deux au regard des prétentions de chacun des camps, prétentions elles-mêmes soutenues par une ou plusieurs formules pseudo-scientifiques – et aussi contestées que contestables –, histoire de se donner une contenance.
Il faut avouer qu’à la lecture du Code civil, et de l’article 271 en particulier, comment ne pas s’interroger sur la manière d’intégrer avec objectivité, par exemple, une donnée telle que la durée du mariage ? Le même article fait également référence à la notion d’« avenir prévisible », concept que l’histoire récente colore d’une piquante ironie.
Aussi ardue qu’apparaisse la tâche, tentons de trouver les ressources nécessaires. En commençant par un regret, presque un reproche, un appel pour sûr. Et l’espoir qui va avec.
Regrets… éternels ?
En matière de divorce en général et de prestation compensatoire en particulier, le rôle du conseil en gestion de patrimoine est aussi primordial qu’il est sous-estimé, et par les conseillers eux-mêmes, qui trop souvent fuient la tempête. Ils sont pourtant davantage au fait du fonctionnement de leurs clients au quotidien – ils en sont plus proches – et naturellement mieux à même de travailler sur les questions de niveau et de cadre de vie que ne le sont juges, avocats et notaires.
Si comme généralistes ils en savent moins que ces spécialistes, ils le savent sans doute différemment, et, osons l’écrire, le savent même mieux à certaines occasions. Au ras du sol, ils contemplent de plus près ces grands principes portés vers les hauts et parfois oublieux de leurs propres racines. Et nous les invitons alors à ne pas simplement contempler mais à servir. Servir des clients qui leur ont déjà fait confiance en d’autres circonstances et auxquels ils pourront parfois rendre de fiers services ici encore.
Avant d’en venir à la décision de justice qui nous intéresse, offrons une prolongation à ce préambule pour mieux comprendre ensuite principes et enjeux.
Référence légitime…
Ainsi, dans la longue liste d’ingrédients destinés à déterminer le montant de la prestation compensatoire qu’il égraine, l’article 271 du Code civil n’oublie pas de mentionner « le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial » – d’aucuns seront cependant surpris de constater que le patrimoine n’apparaît qu’en cinquième position.
La chose semble assez évidente dès lors que la prestation compensatoire est « fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre ». Dans le principe, personne ne songe à la remettre en question. C’est dans le détail une fois de plus qu’il arrive que le bât blesse.
Non pas que la prestation compensatoire dissimule derrière une façade proprette quelque vilaine entourloupe. La Cour de cassation a répété à l’envie que « la prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger les effets du régime de séparation de biens » mais qu’elle est uniquement « destinée à compenser la disparité dans les conditions de vie respectives des parties créée par la rupture du mariage » (Cass. 1e civ., 15 janv. 2014, n° 13-10.337).
Plus important que les discours, les faits : or, en la matière, il est aisé de vérifier que les faits corroborent largement la version officielle – confirmant la responsabilité des époux et de leurs éventuels conseils dans le choix d’un régime.
Avant de nous intéresser à la question en matière d’indivision et de capital social puisque nos époux étaient mariés en séparation de biens, offrons-nous un instructif crochet par le régime de la communauté légale.
Caisse de communauté ignorée
La Cour de cassation s’abrite régulièrement derrière le fameux « pouvoir souverain d’appréciation de la cour d’appel » et s’avère prompte à considérer que « la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y avait pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir à l’[épouse] pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux » (Cass. 1e civ., 21 sept. 2022, n° 21-12.344).
Il arrive qu’elle ajoute quelque argument supplémentaire pour siffler la fin du match sur un score de parité : ainsi a-t-elle à l’occasion affirmé que « chacun gérerait librement son lot dans l’avenir » (Cass. 1e civ., 1er juill. 2009, n° 08-18.486), comme pour mieux remettre le plus souvent celle à qui la prestation compensatoire est refusée devant ses responsabilités quant à la suite. De ta moitié, fais ce qu’il te plaît… ou presque !
Cette solution sommaire est vivement contestée, à raison selon nous, par la doctrine. Conclure ainsi à l’égalité, c’est oublier un peu vite qu’un premier facteur notamment peut altérer sensiblement la photographie que fournit la propriété des biens.
Du mouvement derrière la photo
Ainsi, dans le cadre de la liquidation de la masse commune, « il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté » (C. civ., art. 1468).
Il s’agit de gérer ensuite cette délicate (arrière-)cuisine, une fois « balance faite ». Cela passe par la prise en compte du solde de récompenses pour chacun des époux, en sa faveur ou en faveur de la communauté (C. civ., art. 1468), mais aussi de certains cas particuliers, comme par exemple une insuffisance de la communauté (C. civ., art. 1472).
Ce n’est qu’« après que tous les prélèvements ont été exécutés sur la masse [que] le surplus se partage par moitié entre les époux » (C. civ., art. 1475, al. 1er).
Il ne faudrait donc pas ignorer ce chemin avant de conclure… et ne pas laisser les magistrats dans l’ignorance avant qu’eux-mêmes ne concluent.
- Quelles pièces dans l’escarcelle ?
Enfin, il n’est pas hors de propos d’ajouter que des moitiés, bien qu’égales, mériteraient aussi un plus ample examen, au regard des biens et droits qui les composent.
En effet, à partir d’un même montant de patrimoine, ressources et besoins peuvent largement différer. Et prétendre que le propriétaire reste libre d’arbitrer pour optimiser l’ensemble, ce serait faire abstraction de certaines réalités têtues, comme par exemple les contraintes de logement qu’un époux subirait tout particulièrement pour avoir à sa charge les enfants du couple. Décidément, rien n’est simple !
Et ce qui devrait l’être n’est pas mieux géré comme le démontre malheureusement l’arrêt qui nous occupe concluant au rejet de la demande de prestation compensatoire formée par l’épouse.
Répartition du paiement de la rente…
Concernant tout d’abord le bien indivis constituant le domicile conjugal, acquis en viager, il est écarté sans ménagement du calcul au prétexte, selon la cour d’appel de Paris, que « le partage de tels biens étant, par essence, égalitaire ». Alors que le mari et la femme « paient respectivement la rente à concurrence de 67,28 % et 32,72 % ».
Les comptes ne peuvent pas être bons. Rappelons ici qu’« à défaut de précision dans l’acte d’acquisition, les acquéreurs indivis sont réputés être propriétaires par moitié chacun », sachant que fort naturellement – et fort heureusement – la « présomption supporte la preuve contraire » (Cass. 1e civ., 6 févr. 2001, n° 99-11.252). Ajoutons enfin qu’au-delà de la seule propriété, et dans l’esprit évoqué supra pour les récompenses, le financement et surtout ses conséquences doivent entrer en ligne de compte.
… et des parts sociales reçues par succession
Poursuivant son œuvre du côté des sociétés après avoir déjà dénaturé l’indivision, la cour d’appel constate que le mari et la femme « sont respectivement titulaires de 99 % et 1 % des parts sociales de la SCI Andrea, propriétaire d’un studio, et de 95 % et 5 % des parts sociales de la SCI Mandea, propriétaire d’un appartement de deux pièces ».
Elle affirme dans la foulée qu’« aucune disparité ne saurait résulter de la rupture du lien conjugal à ce titre, dès lors que ces parts sociales reviendront à chacun des époux pour leur valeur propre », ajoutant pour faire bonne mesure une règle sortie d’on ne sait où, à savoir qu’« il n’y a pas lieu de prendre en considération les biens obtenus par voie successorale ».
Inutile de préciser que l’arrêt d’appel a été cassé en ce qu’il rejette la demande de prestation compensatoire. Escamoter au prétexte d’une égalité de façade les véritables équilibres économiques ne peut et ne doit prospérer chez les magistrats. L’exigence fait partie de leur fonction. Plus l’exercice est difficile, plus ils doivent s’en souvenir et s’y tenir. Sous peine de ternir sérieusement leur réputation.
Enfin, comme le fait le système judiciaire lui-même, il n’est pas possible de conclure sans inviter ceux qui se séparent, époux, partenaires ou concubins, à s’accorder loin des tribunaux afin d’éviter autant que possible la glorieuse incertitude que revêt le passage devant ces derniers. Ils y gagneront souvent temps et argent.