Retour sur un concept assez abstrait mais source de conséquences pratiques : la demande en délivrance d’un legs (Cass. Civ 1ère, 21 juin 2023, n° 21-20.396)
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Rappelons d’abord quelques principes de base en la matière. L’article 1014 du Code civil prévoit dès le décès du testateur un droit à la chose léguée pour le légataire. Le second alinéa prévoit une mesure de tempérament pour le légataire particulier qui ne rentrera en jouissance de la chose léguée qu’après avoir demandé délivrance de son legs ; étant entendu que la jouissance vise ici aussi bien la propriété que la perception des fruits ou intérêts.
Cette demande est matérialisée par l’article 1011 du Code Civil, lui-même prévoyant cette exigence pour le légataire à titre universel. Ainsi, en pratique, la demande de délivrance s’effectuera auprès des héritiers réservataires, à leur défaut aux légataires universels et à défaut de ceux-ci aux héritiers successoraux.
L’arrêt ici relaté illustre parfaitement l’étendue des enjeux. Au cas d’espèce, la défunte laisse pour lui succéder deux enfants ainsi qu’une légataire à titre particulier pour plusieurs biens. Les enfants assignant la légataire aux motifs que nous verrons plus loin et déboutés en appel se sont pourvus en cassation.
La Haute juridiction a ici été amenée à trancher sur plusieurs problématiques :
- La première, tenant à la situation du légataire lorsqu’il a été mis en possession d’un bien légué par le testateur avant le décès de celui-ci et se maintenant en possession après ce décès. Dans ce cas précis, est-il tenu à demander la délivrance de son legs ?
- La deuxième, traitant du droit de percevoir les fruits et revenus d’un local commercial légué dès lors que l’action de délivrance dudit legs est prescrite.
Dans le premier cas, les juges de droit ont logiquement rappelé au visa de l’article 1014 du code civil que le légataire particulier est tenu « pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès ». Cette logique révèle en réalité qu’il ne saurait être fait application d’une délivrance tacite en pratique. Cette action juridiquement encadrée, obéit à un formalisme propre dont le contournement est prohibé.
S’agissant de la deuxième problématique soulevée, la Cour s’appuyant une nouvelle fois sur le formalisme de l’action en délivrance et sur l’article 2219 du Code civil consacrant la prescription extinctive casse l’arrêt d’appel. Selon les juges de droit, « lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée. »
A ce sujet, le décès constitue le point de départ de la prescription de l’action en délivrance. S’agissant du délai de prescription, il semble se calquer sur celui de droit commun prévu en matière d’actions personnelles ou mobilières à savoir 5 ans, délai modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (CA Riom, 09-11-2021, n° 21/01002).
Avis de l’AUREP
Cet arrêt illustre parfaitement l’importance de se soumettre au formalisme imposé pour la délivrance d’un legs. En cas de mésentente entre les héritiers, le recours à un acte authentique apparait indispensable. A défaut et en cas de prescription, le légataire s’expose à une déchéance de son droit de propriété rétroagissant à la date du décès.