Actualité publiée dans le magazine Gestion de Fortune n°351 Novembre 2023
En raison de nombreuses notifications de redressement adressées par l’Administration aux contribuables, la question de l’exigibilité au droit de partage du préciput questionne et agite aussi bien les tribunaux que la doctrine depuis quelques années.
Commençons par analyser sur quelle casuistique s’appuie l’Administration.
On rappellera d’abord que la clause de préciput, définie à l’article 1515 du Code civil consiste en un avantage matrimonial autorisant l’époux survivant à prélever sur la communauté, avant tout partage, un ou plusieurs biens communs. A la lumière de ce texte qui, de prime abord ne suscite guère de doute dans son interprétation, il est loisible de se questionner sur le fondement d’une taxation à la fiscalité du partage d’un avantage matrimonial effectué avant tout partage.
Nous rappellerons en parallèle que la doctrine administrative fixe les conditions cumulatives d’exigibilité de l’impôt de partage : l’existence d’un acte, l’existence d’une indivision entre les copartageants, la justification de l’indivision et l’existence d’une véritable opération de partage. Dès lors, l’Administration considère que le prélèvement participe du partage de la communauté des époux, mettant ainsi fin à leur situation d’indivision. S’agissant de l’acte justifiant l’imposition, elle estime que la déclaration de succession constatant l’exécution de l’avantage matrimonial ou l’attestation immobilière remplissent la condition. Ainsi, l’Administration applique le droit de partage de 2,50% sur le montant du prélèvement effectué assorti d’éventuels majorations et intérêts de retard.
C’est sur cette question fiscale que s’est prononcée récemment la Cour d’appel de Poitiers (CA Poitiers, 4 juil. 2023, RG n°22/01034). En l’espèce, un défunt laissait pour lui succéder son épouse et trois enfants. Le contrat de mariage prévoyait une clause de préciput à l’égard du survivant. Au décès de son mari, la veuve, en vertu de la clause, préleva sur la communauté en toute propriété, la résidence principale et une résidence secondaire du couple. L’épouse reçut une proposition de rectification fiscale qui soumettait au droit de partage les prélèvements effectués.
Saisi du contentieux, le tribunal de Niort (TJ Niort, 24 janv. 2022, RG n°20/01453) avait alors condamné l’Administration et dégrevé la veuve des impositions jugées infondées au motif du non-respect d’une des conditions d’exigibilité susvisées : l’existence d’une opération de partage. Selon les juges, l’exercice du préciput n’a qu’une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non l’allotissement entre plusieurs partageants. Plusieurs tribunaux ont d’ailleurs suivi ce raisonnement. L’Administration, fit appel de la décision en se prévalant d’une décision du tribunal judiciaire de Rennes qui avait retenu l’exigibilité au droit de partage dans une affaire similaire.
L’analyse de la Cour d’appel de Poitiers se révèle parfaitement conforme à celle retenue par les juges en première instance. Ainsi, elle écarte la taxation lors de l’exercice du préciput faute d’existence d’une opération de partage. Les juges du fond s’appuient également sur une note de doctrine[1] confirmant ce raisonnement et remettant en cause celui retenu par le tribunal de Rennes. Les auteurs estiment notamment qu’une déclaration de succession ne saurait être assimilée à un acte de partage, ce document purement fiscal étant dénué d’incidence sur le plan civil.
Avis de l’AUREP
Cet arrêt de la Cour d’appel de Poitiers apparait parfaitement conforme à notre position doctrinale sur le sujet. L’article 1515 du Code civil prévoyant un prélèvement avant « tout partage », il écarte selon nous, aussi bien le partage communautaire que successoral.
Dès lors, il nous semble que cet avantage matrimonial échappe à toute fiscalité.
- [1] [1] G. Bonnet et C. Vernières, « Préciput et droit de partage : un couple illégitime », Defrénois n° 29-33 du 21 juillet 2022