Lors de la distribution des résultats, la possibilité est ouverte de porter en compte courant les dividendes revenant aux associés. La question se pose alors de savoir si ces sommes doivent faire l’objet d’une déclaration par le bénéficiaire au titre des revenus distribués. Une décision du Conseil d’Etat du 21 décembre 2022 (req. n° 462533) permet de revenir sur cette question importante. Les associés peuvent en effet porter ces dividendes en compte courant pour éviter d’avoir à les déclarer au titre de l’impôt sur le revenu, comme ils peuvent tout aussi bien être dans l’impossibilité de les encaisser en raison de la situation de l’entreprise.
Revenons d’abord sur le principe posé par les dispositions de l’article 12 du CGI. Celles-ci veulent que le contribuable soit imposable à raison des revenus dont il dispose au cours de l’année d’imposition. Et la déclinaison de ce principe est bien connue : un revenu est disponible lorsqu’il ne dépend que de la volonté du bénéficiaire d’en disposer. L’administration rappelle dans sa documentation (BOFIP-IR-BASE-10-10-10-40-§ 20.-12/09/2012) un principe bien loin d’être nouveau. Il remonte à l’article 10 de la loi fondatrice de l’impôt sur le revenu du 15 juillet 1914. La doctrine administrative en faisait état dans son instruction générale du 30 mars 1918 (n° 162).
Ainsi, MM. Allix et Lecerclé peuvent-ils écrire dans leur savant ouvrage (L’impôt sur le revenu ; Librairie Arthur Rousseau, 1926) : ″le revenu à déclarer, c’est le revenu réalisé. Le revenu est considéré comme réalisé le jour où il est échu, c’est à dire où il est possible d’en toucher le montant, même si on ne le fait pas″. Ce principe fut de nouveau énoncé par l’article 5 du décret de 1949 pris en application de la réforme fiscale de 1948.
C’est par conséquent au regard de ce principe que la question des dividendes portés en compte courant doit être réglée. Et dans l’affaire précitée soumise au Conseil d’Etat, les faits à juger étaient les suivants. M. et Mme R. avaient constitué une SAS en vue de la reprise d’un groupe de sociétés dans le cadre d’un LBO. Mettant en œuvre une vérification de comptabilité, l’administration constata, le 25 juin 2012, la distribution par la société, à la suite d’une résolution de l’assemblée générale du même jour, de dividendes prioritaires, inscrits au compte courant d’associés des époux R. Estimant qu’il ne dépendait que de la volonté de M. et Mme R d’en disposer, le service a en conséquence estimé imposables les sommes en cause en tant que revenus distribués sur le fondement de l’article 109-I-1° du CGI. Les époux ne partagèrent pas cette analyse estimant être dans l’impossibilité d’en disposer en raison d’une convention intervenue antérieurement à la décision de distribution des dividendes et organisant l’indisponibilité de ceux-ci.
Face à ce genre de problématique, la jurisprudence opère traditionnellement une distinction entre ce qui relève de l’indisponibilité en droit et la situation dans laquelle l’associé a donné son accord aux décisions ou opérations ayant conduit à cette indisponibilité (CE, 23 février 1977, req. n o 97450, concl. Lobry). Ainsi, une indisponibilité en droit peut ressortir de l’inscription des dividendes sur un compte courant bloqué par décision d’un administrateur judiciaire. L’indisponibilité peut tout autant être de fait lorsque le bénéficiaire rapporte la preuve que l’extrême difficulté de l’entreprise aux plans économique et financier interdisait tout prélèvement des dividendes portés en compte courant. Il a été jugé dans ce sens à propos de sommes portées en compte courant sans pour autant être disponibles au sens de l’article 12 du CGI parce que les difficultés financières de la société en interdisaient le prélèvement (CAA Nancy, 18 décembre 1990, req. n° 1185). Dans cette affaire, le juge constata au demeurant que la trésorerie de la société présentait un solde négatif pendant plusieurs années.
Dans une autre affaire, le Conseil d’Etat jugeait que des dividendes à payer portés dans un compte collectif d’associés ne pouvaient être considérés comme disponibles donc imposables au nom des associés (CE, 15 janvier 1992, req. n° 310272). Le juge considéra qu’une telle écriture comptable n’a pas, par elle-même, pour effet d’autoriser les bénéficiaires des distributions à prélever la part des dividendes qui leur revient.
Maintenant, lorsque l’on n’est pas en présence d’une indisponibilité en droit, il importe de déterminer si l’associé a participé, ou non, à la décision de rendre les sommes indisponibles. Et lorsque c’est le cas, l’imposition des dividendes est, selon le juge, parfaitement justifiée.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat qui nous occupe ici, il appartenait par conséquent aux époux de démontrer qu’ils avaient été dans l’impossibilité de disposer des dividendes portés en compte courant. A l’appui de leur prétention, ils invoquaient une convention de subordination conclue avec les banquiers et les porteurs d’obligations mezzanine senior et d’obligations mezzanine junior, aux termes de laquelle toutes les dettes privilégiées seraient payées ou remboursées aux parties financières, sous réserve de la possibilité de verser aux investisseurs, en l’occurrence M. et Mme R. un montant annuel de dividendes de 50 000 €. Mais, cette convention comprenait des dispositions qui faisaient juridiquement obstacle au retrait de ces sommes au cours de l’année de leur attribution.
Pour autant, le juge ne s’en tint pas à cette constatation. Approfondissant les circonstances de mise en place de la convention en cause, il releva que les investisseurs, M. et Mme R… avaient eu un rôle décisionnaire pour être à l’origine de l’ensemble de l’opération économique considérée. Pour le juge, l’indisponibilité des dividendes avait été organisée par les époux, eux-mêmes décisionnaires dans l’établissement de la convention. Ce faisant, ils avaient de la sorte accompli un acte de disposition, et cela peu importait que la convention ait été antérieure à l’opération de distribution, Les dividendes constituaient donc bien des revenus disponibles au sens des dispositions de l’article 12 du CGI précitées ce qui justifiait l’imposition à laquelle prétendait l’administration. Autrement dit, au regard de la loi fiscale, les sommes étaient disponibles mais les époux en faisant en sorte qu’ils soient inscrits en compte courant ne faisaient qu’accomplir un acte de disposition du revenu considéré.
La décision ne souffre d’aucune critique. Comme on l’a expliqué plus haut, un revenu est disponible lorsqu’il ne dépend que de la volonté du bénéficiaire d’en disposer. Et c’était bien le cas en l’espèce. On doit toujours distinguer l’acquisition du revenu de son utilisation.
Points essentiels :
Le principe à retenir : le revenu disponible doit être considéré comme imposable avant tout emploi, lorsqu’il ne dépend que de la volonté de son bénéficiaire d’en disposer..