A propos d’un arrêt :
Cass. civ., 1ère, du 16 décembre 2020, n° 19-17517, dans lequel nous puisons des recommandations pratiques importantes.
Une nouvelle fois, les juges de la Cour de cassation ont été confrontés à l’application des dispositions de l’article L. 132-13 du Code des assurances relatives à l’exagération des primes versées sur un contrat d’assurance-vie
L’exagération manifeste conduit au rapport des primes concernées, et non des capitaux-décès, à la masse à partager dans le cadre des opérations de partage.
La bénéficiaire, fille du défunt, est condamnée à rapporter, sur la demande de ses neveux venant en représentation de l’autre enfant du défunt la totalité des primes versées. Primes d’une particulière importance : plus d’un million d’euros a été en effet versé entre les années 1995 et 1998, soit dix ans avant la survenance du décès de l’assuré, âgé de moins de 70 ans lors de ces versements.
Prenant en compte les circonstances dans lesquelles les primes ont été versées, la Cour de cassation partage la conclusion des juges de la Cour d’appel de Douai considérant les primes « exagérées », tout en critiquant les juges du fond d’avoir exigé le rapport non pas des primes mais des capitaux issus des contrats dénoués au jour du décès.
Une nouvelle fois la Cour de Cassation rappelle qu’il convient de se placer, non au jour du dénouement des contrats, mais au jour du versement de chaque prime pour en apprécier l’exagération, c’est-à-dire l’utilité.
Il est particulièrement intéressant de considérer la définition que donne la Cour suprême de l’’utilité des versements :
«… ces placements, effectués principalement sous forme de prime unique pour des montants particulièrement conséquents, représentant 61 % de l’actif successoral, ne s’inscrivaient pas dans un projet particulier tel que le financement de frais d’hébergement en maison de retraite et ne présentait aucun intérêt personnel ni économique mais avaient pour seul but de soustraire l’essentiel de l’actif de la succession au profit d’un seul héritier réservataire, de sorte que la preuve du caractère manifestement exagéré des primes versées est rapportée ».
La Cour de cassation rappelle, ce faisant, que l’utilité du contrat s’inscrit dans une démarche de prévoyance, totalement légitime et justifiée lorsque l’assuré (qui ne saurait le faire) prend acte que l’allongement de durée de vie peut justifier un hébergement en maison de retraite ; ou encore lorsqu’il anticipe que cet allongement peut s’accompagner d’une altération des capacités cognitives et du développement de maladies chroniques, de type Alzheimer, Parkinson, nécessitant soit la présence d’aidants, soit l’admission dans des établissements spécialisés. Dans ces situations, l’assuré anticipe ainsi le futur engagement de soins de plus en plus couteux.
Anticiper une possible vulnérabilité, un éventuel accompagnement à domicile, un hébergement en établissement médicalisé de qualité, doit se traduire par l’accumulation d’un capital parfois très significatif pour procurer des ressources afin de faire face à ces dépenses induites, alors que les revenus de remplacement (retraite) sont contraints par l’augmentation constante du nombre de retraités.
Supposons que le reste à charge pour l’assuré soit de 5.000 euros par mois, soit 60.000 euros par an, il faut avoir accumulé, donc épargné, 3 millions d’euros pour un taux de rendement de 2% c’est-à-dire pour un placement sans risque, totalement disponible, parfaitement divisible. Verser des primes significatives sur son où ses contrats d’assurance vie, est dans cette perspective parfaitement « utile » au sens donné par la Cour de cassation.
Il est donc d’importance qu’au moment du versement des primes, l’assuré exprime de manière claire qu’il inscrit sa démarche dans cette perspective. Si par chance il n’est pas confronté aux dépenses anticipées alors le solde disponible pourra être transmis aux bénéficiaires désignés sans craindre une qualification d’exagération.
RECOMMANDATION PRATIQUE
EXEMPLE DE COURRIER ADRESSÉ PAR UN CGP A SON CLIENT
Monsieur…..
Vous m’avez sollicité pour alimenter par des versements successifs vos contrats d’assurance, en fonction de vos disponibilités financières, présentes et futures. Vous vous interrogez : d’une part, sur la pertinence de placements supplémentaires en assurance vie ; et, d’autre part, sur l’existence de limites quant aux versements effectués.
Vos interrogations sont liées au constat que vous faites de l’allongement de la durée de vie probable de chacun d’entre nous. A ce propos, compte tenu de votre âge actuel, 70 ans, votre espérance de vie est proche de vingt années. Vous avez noté que cet allongement s’accompagne, malheureusement parfois, d’une dégradation possible des conditions de vie et de survie. Vous n’avez pas tort. Les maladies chroniques, type Parkinson, Alzheimer peuvent nous atteindre, peuvent vous atteindre.
Vous me dites avoir fait le constat que dans votre entourage même, plusieurs personnes en raison d’une santé défaillante ont dû être hospitalisés dans des établissement spécialisés. Vous avez été surpris par l’importance du coût de ces hébergements médicalisés ou non.
Vous m’avez clairement exprimé votre désir d’anticiper la survenance de ces événements aux conséquences coûteuses en versant sur votre contrat d’assurance, d’une part, une partie de vos réserves monétaires, et d’autre part, une partie du prix de la vente d’un immeuble de rapport réalisé récemment.
Nous ne pouvons que vous encourager dans cette démarche, l’assurance vie présente des qualités parfaitement adaptées à vos préoccupations patrimoniales : un niveau de risque « choisi et maitrisé », grâce à un adossement diversifié (contrats en euros en tout ou partie, contrats en unités de compte à risques), des capitaux totalement disponibles et parfaitement divisibles sur le fondement de l’article L 132-21 du code des assurances.
Nous avons simulé au vu des exigences que vous exprimez, notamment quant à la qualité d’un hébergement médicalisé, que le reste à charge pourrait être de l’ordre de 50.000 à 60.000 euros annuel, difficile à financer parce que largement supérieur à vos retraites actuelles. Or pour dégager un rendement annuel de cet ordre il faut avoir accumulé dans vos contrats, à risque très modéré, de l’ordre de 2.000.000 à 3.000.000 d’euros. Cette épargne sera à votre totale et parfaite disposition pour faire face à ces dépenses éventuelles.
Il n’y a pas d’autres limites aux sommes investies en assurance que celles provenant des dépenses à financer par les revenus du capital accumulé. Prévoir la survenance d’événements désagréables et les coûts pouvant en résulter est parfaitement légitime.
Vous avez parfaitement compris qu’au terme de votre vie le capital non consommé, constituera un capital décès revenant aux bénéficiaires que vous aurez désignés.
Vous m’avez précisé vouloir désigner votre épouse comme bénéficiaire, sachant que d’une première union vous avez eu deux enfants dont les rapports avec leur belle-mère sont loin d’être cordiaux.
Ceux-ci pourraient-ils contester cette attribution du capital décès ? Il pourrait le faire certes sur le fondement de l’article L 132-13 du code des assurances, mais avec des chances de succès fort limités dans la mesure ou l’accumulation des primes dans votre contrat sont, eu égard à vos sages préoccupations clairement exprimées, d’une parfaite « utilité », au sens donné par les juges suprêmes dans l’arrêt de la Cour de cassation en date du 16 décembre 2020 (n° 19-17517), dont je vous ai remis une copie.
Je me tiens à votre disposition pour satisfaire aux formalités de versement sur votre contrat.
Merci de me régler mes honoraires dont je vous avais indiqué le montant probable, à savoir ….
Fait à ………….., le …………..