Si elle ne bouleverse pas la matière, la loi de finances pour 2020 contient plusieurs dispositions intéressant directement ou indirectement la fiscalité des donations, successions et de l’assurance-vie. Elle ouvre également plusieurs pistes qui seront suivies aux termes de dispositions législatives ou réglementaires à venir.
Question 1 : Les dispositions de la loi de finances pour 2020 concernant la fiscalité des donations, succession et de l’assurance-vie sont-elles importantes ?
Réponse : Non.
Elles ne bouleversent pas la matière. Elles sont avant tout ponctuelles.
Question 2 : Quels sont les points à retenir ?
Réponse : Avant tout, les orientations suivies par le législateur qui marquent un réel changement de cap.
Deux pistes sont suivies, les sillons tracés étant destinés à être creusés aux termes de dispositions ultérieures, règlementaires ou législatives.
Tout d’abord, le législateur souhaite moderniser la matière, tant au fond qu’en termes de procédures, ce qui se manifeste ici à deux égards :
-> La formalité obligatoire de l’enregistrement et les droits fixes dont le rendement fiscal est jugé faible sont supprimés pour de nombreux actes concernant les règlements successoraux (inventaires, acceptations, renonciations, testaments…art. 21 de la loi de finances), de manière d’ailleurs assez maladroite.
-> Mais surtout, les dispositions sont prises pour que la télédéclaration des dons manuels et déclarations de succession et le télépaiement des droits afférents à ces opérations soient mis en place.
Ensuite, la loi de finances pour 2020 marque également la volonté du législateur de lutter contre les « niches fiscales » qui sont nombreuses dans le domaine des droits de mutation à titre gratuit en ayant recours à une nouvelle technique.
Question 3 : Quelles sont ces téléprocédures ? Sont-elles applicables à compter du 1er janvier 2020.
Réponse : Elles sont distinctes et leur application effective a été repoussée.
– La télédéclaration est la procédure qui permet au contribuable de remplir ses obligations déclaratives par voie électronique, sans produire de formulaire papier.
– Le télérèglement consiste à régler l’impôt en ligne ou par voie dématérialisée.
L’article 150 I 3° de la loi de finances modifie les articles 1649 quater B quater et 1681 septies du CGI pour permettre au Gouvernement d’étendre par décret la liste des obligations fiscales devant être souscrites par télédéclaration et des impositions devant faire l’objet d’un télérèglement.
L’enregistrement des dons manuels et des déclarations de succession sont concernés par cette extension. Selon les travaux parlementaires, un décret à venir devrait prévoir un calendrier d’entrée en vigueur de cette extension.
Les premières procédures de télédéclaration et télérèglement devraient concerner les déclarations de dons manuels et être effectives à compter du dernier trimestre de l’année 2020 (V. en ce sens, Rapp. Sénat, n°140, t. III, p. 313).
Cette évolution nécessite d’adapter les textes législatifs, afin de les expurger de toute référence aux formulaires papier.
L’article 150 de la loi de finances contient ces mesures.
A l’égard de l’enregistrement des dons exceptionnels de somme d’argent (CGI, art. 790 G IV), ce texte supprime l’indication mentionnant que l’obligation déclarative afférente à l’enregistrement de ces dons est accomplie par la souscription d’un formulaire administratif souscrit en double exemplaire.
S’agissant des déclarations de succession (CGI art. 800), il supprime de l’article 800 du CGI, toute référence aux formulaires papier (imprimés administratifs n° 2705-SD, n° 2705-S-SD, n° 2709-SD et n° 2651-1-SD ou 2651-2-SD).
Il abroge également la nécessité de souscrire la déclaration en deux exemplaires ainsi que l’obligation de produire un formulaire spécial dit « forain » (imprimé n° 2709-SD CERFA n° 10820) lorsque la succession comprend des immeubles situés en dehors de la circonscription du service des impôts auprès duquel la déclaration de succession est souscrite.
En l’absence d’indication particulière, ces modifications sont applicables à compter du 1er janvier 2020 (L. fin. 2020, art. 1er, II, 3°).
Question 4 : L’administration fiscale est-elle prête à franchir ce cap ?
Réponse : Non
La télédéclaration des dons manuels et successions nécessite matériellement la création des plateformes qui lui seront dédiées et juridiquement la publication d’un décret.
La gestion de cette phase transitoire a conduit le gouvernement à publier dans l’urgence un décret publié le 31 décembre 2019 (D. n° 2019-1565, 30 déc. 2019 relatif aux modalités de déclaration en matière d’enregistrement JO 31 déc. 2019) qui adapte les dispositions réglementaires à la dématérialisation à venir, mais surtout, restaure (CGI, ann. 3, art. 281 E III, 281 N et 281 O applicables à compter du 1er janvier 2020) les obligations déclaratives « papier » abrogées par la loi de finances.
Donc, à compter du 1er janvier 2020, en dépit de la nouvelle rédaction des articles 800 et 790 G du CGI, l’enregistrement des déclarations de dons manuels (ordinaires ou exonérés en vertu de l’article 790 G du CGI) et des déclarations de succession continue à s’effectuer au moyen de la souscription en double exemplaire des formulaires papiers dédiés (respectivement n° 2735-SD et n° 2705-SD et suivants). Il en ira ainsi tant que les plateformes de souscription dématérialisée de ces déclarations n’auront pas été mises en place par l’administration.
En revanche, à nos yeux, l’obligation de souscrire une déclaration spéciale (n° 2709-SD) « foraine » pour les immeubles situés hors du ressort du service qui reçoit la déclaration de succession est supprimée à compter du 1er janvier 2020. Elle n’est plus énoncée à l’article 800 du CGI et n’est pas non plus imposée par l’article 281 O de l’annexe 3 au CGI.
Question 5 : Pour sa part, la volonté de lutter contre les « niches fiscales » dans ces domaines est-elle novatrice ?
Réponse : Oui, elle emprunte une nouvelle méthode : le bornage temporel.
Elle est le fruit d’un rapport de force, entre le Parlement et l’exécutif. Suivant nombreuses recommandations émanant notamment de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires, le parlement a marqué sa volonté de supprimer les « niches fiscales » inefficientes. Mais il semble se heurter aux carences informatives de l’exécutif.
De nombreux « trous noirs fiscaux » ont été détectés suite à l’évaluation systématique des « niches fiscales ». Il s’agit de dispositifs dans lesquels s’engouffrent les recettes publiques, sans qu’existent d’informations fiables relatives à leur efficience, ni même d’évaluation de leur coût ou du nombre de bénéficiaires.
Pour enfin obtenir ces informations et « forcer le Gouvernement à sortir du bois » (sic) le législateur a décidé de recourir au « bornage temporel » des régimes considérés et a posé le principe de la cessation de leur effet à compter d’une date précise.
Les niches fiscales dont l’efficacité n’est pas prouvée faute de documentation ont vocation à disparaitre à une date fixée par le législateur, sauf à être pérennisée si leur utilité peut être démontrée aux termes de rapports d’évaluation fiables.
La volonté exprimée est ferme et la démarche retenue. La détermination des parlementaires semble cependant s’éroder rapidement, la plupart des régimes initialement visés ont finalement été écartés de cette mesure.
L’article 136 de la loi de finances applique ce bornage à l’exonération totale de droits de donation et de succession prévue par l’article 794 du CGI dont bénéficient certaines collectivités territoriales et organismes publics ou assimilés sur les biens qu’ils affectent à des activités non lucratives. Cette exonération a vocation à cesser de s’appliquer à compter du 1er janvier 2024.
Pour rappel, elle bénéficie aux régions, départements, communes, à leurs établissements publics, aux établissements publics hospitaliers (CGI, art 794 I), ainsi qu’aux organismes d’administration et de gestion de la sécurité sociale (CGI art. 794 II).
Question 6 : Est-ce à dire que tous les dispositifs faisant l’objet d’un tel bornage cesseront de s’appliquer ?
Réponse : Non.
Le bornage temporel ne signifie pas que le dispositif visé est inéluctablement voué à l’abrogation. Le régime pourra subsister au-delà du terme prévu si son utilité est avérée.
Question 7 : Qu’en est-il de l’assurance-vie ?
Elle n’est pas concernée, même si sa pérennité du dispositif prévu par l’article 990 I est discutée.
Une proposition de loi récente d’initiative sénatoriale, préconisait l’abrogation pure et simple de tout régime de faveur et l’intégration pure et simple les sommes perçues par les bénéficiaires dans l’assiette des droits de succession (V. Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle ; Doc. Sénat, n° 710, 9 sept. 2019, art. 7 de la proposition de loi).
Evoqué lors des travaux préparatoires, le bornage temporel de l’article 990 I du CGI a été écarté en raison du risque de « déstabiliser le secteur » qu’il aurait engendré.
Les parlementaires ont préféré lui substituer la rédaction d’un rapport d’évaluation destiné, à évaluer ce régime pour pouvoir décider de « la poursuite de la réduction, voire de la suppression, de l’avantage successoral de l’assurance-vie en fonction des résultats de l’évaluation demandée par le présent amendement ».
L’article 180 de la loi de finances précise ainsi que le Gouvernement devra remettre au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2021, « un rapport sur l’évaluation du dispositif prévu à l’article 990 I du code général des impôts, présentant notamment l’impact économique de ce dispositif, l’évolution de son coût et du nombre de ses bénéficiaires ainsi que les éventuelles perspectives d’évolution permettant d’en renforcer l’efficience ».
Question 8 : A l’inverse des exonérations ont-elles été créées ou étendues ?
Réponse : oui.
L’article 17 de la loi de finances étend l’exonération totale de droits de mutation prévue par l’article 1040 du CGI en faveur d’établissements publics de recherche.
Il rationalise ce régime d’exemption en précisant que l’exonération s’étend à la taxe de publicité foncière ainsi qu’à la contribution de sécurité immobilière et abroge l’article 1040 bis du CGI devenus sans objet en raison de son périmètre plus restreint.
Cette exonération étonne, s’agissant de l’objectif poursuivi. D’après les travaux parlementaires, il s’agit de faciliter en en réduisant le coût fiscal, les fusions ou regroupements de ces établissements.
Il reste que cette exonération s’applique également aux droits de mutation à titre gratuit.
L’exonération s’applique donc bien aux dons et successions reçus par les établissements publics de recherche à compter du 1er janvier 2020.
Voici une curieuse niche fiscale créée, qui semble inefficiente au regard de l’objectif poursuivi….
Question 9 : D’autres dispositions de la loi de finances sont-elles susceptibles d’interférer dans le domaine des droits de mutation à titre gratuit ?
Réponse : oui.
L’article 13 de la loi de finances énonce un nouveau critère de domiciliation en France applicable à certains dirigeants de grandes sociétés ayant leur siège en France. Ces dirigeants sont considérés comme exerçant en France leur activité professionnelle à titre principal, à moins qu’ils ne rapportent la preuve contraire (CGI art. 4 B al. 2 et 3). Ce texte domicile donc fiscalement les intéressés en France, sauf preuve contraire au titre de l’imposition de leurs revenus.
En l’absence de convention internationale, ce nouveau critère est susceptible d’interférer sur les règles de territorialité applicables en matière de donation, succession, trusts mais aussi d’assurance-vie, y compris pour ce qui concerne le prélèvement spécifique prévu par l’article 990 I du CGI.
Les textes qui régissent ces impositions renvoient en effet à l’article 4 B du CGI pour déterminer le domicile fiscal du défunt, donateur, de l’assuré, du bénéficiaire, du donataire ou successeur (V. CGI, art. 750 ter – CGI, art. 990 I).