Quand certains sujets intéressent naturellement, d’autres sont moins attirants. Parmi ces derniers, difficile de ne pas faire figurer cautionnement et privilège de prêteur de deniers. C’est dommage, mais c’est ainsi. Aussi essaierons-nous d’être sobres et efficaces pour que l’enchaînement des principes récemment mis à l’honneur ne laisse pas même le temps à l’ennui de s’installer. Je crois qu’en cela au moins nous emboîterons le pas au droit des sûretés.
Commençons donc sans transition par le cautionnement, en cheminant notamment d’un régime matrimonial l’autre. L’engagement de caution dépend en effet du régime choisi.
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Rappelons tout d’abord la règle en matière de cautionnement : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Auparavant posée par l’article L 341-4 du code de la consommation, elle a été déplacée par l’ordonnance du 14 mars 2016 (C. consom., art. L 332-1 et L 343-4 désormais) et la solution rendue par la Cour de cassation que nous allons évoquer tantôt reste en conséquence applicable et conserve toute sa logique.
Perdu par son épouse
Un homme est condamné en appel à payer, outre intérêts, plus de 35 000 €, engagement représentant tout de même deux années et demi de ses revenus professionnels. Parfaitement acceptable – sans disproportion manifeste au sens des dispositions du code de la consommation – pour la cour dès lors que « son épouse, séparée de biens, perçoit un revenu fixe et est propriétaire d’un bien immobilier, ce qui lui permet de contribuer dans de larges proportions à la subsistance de la famille et d’assurer son logement ».
Pourquoi s’engager dans des calculs d’apothicaire quand un principe simple doit s’appliquer : « la disproportion éventuelle de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels ». Tout est dit. Et la Cour de cassation reste ferme en considérant que la cour d’appel « ne pouvait déduire que l’engagement de la caution était proportionné à ses biens et revenus du fait que son conjoint séparé de biens était en mesure de contribuer de manière substantielle aux charges de la vie courante » (Cass. com., 24 mai 2018, n° 16-23.036, publié au bulletin).
Fondamentaux de la séparation de biens
Si la solution est très logique et ne peut se prévaloir des atours de la nouveauté (en ce sens déjà, Cass. 1e civ., 25 nov. 2015, n° 14-24.800), elle a le mérite de convoquer le Code civil à l’appui du Code de la consommation, et plus précisément l’article 1536 dudit Code qui pose les principes de la séparation de biens entre époux (à l’actif, « chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels » ; au passif, « chacun d’eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220 »).
S’il est besoin de le préciser, quelques mots sur la prise en compte des biens indivis au cas particulier : évidemment, seule la quote-part indivise de l’époux qui a souscrit le cautionnement doit être retenue.
Qu’en est-il alors en régime de communauté légale ? Nous allons l’étudier dans le détail. En commençant par la question du patrimoine pris en compte pour une éventuelle disproportion manifeste de l’engagement.
Pas engagée, mais sur les rangs
La question a pris une importance toute particulière pour un homme marié en communauté et doublement caution solidaire d’une société finalement mise en redressement puis liquidation judiciaires. En effet, il doit près de 260 000 €, outre intérêts.
Après avoir considéré un cautionnement à durée indéterminée (précisément « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues ») comme licite, la Cour de cassation a rappelé que la disproportion manifeste de l’engagement de la caution devait s’apprécier « par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction », ce dont elle a tiré la même conclusion que la cour d’appel, à savoir que le patrimoine de la caution « dépendant de la communauté devait être pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l’absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l’article 1415 du code civil » (Cass com., 15 nov. 2017, n° 16-10.504, publié au bulletin).
Il est temps de rappeler les règles protectrices de ce dernier texte, dont nous préciserons d’emblée qu’outre le cautionnement, objet de notre étude, il concerne aussi l’emprunt.
Texte d’exception
L’article 1415 du Code civil se veut protecteur des intérêts des époux communs en biens : ainsi « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ».
Il s’agit de n’engager qu’a minima la communauté – ce qui est fait avec les revenus de la caution, évidemment partie de la communauté en régime légal. Et en la matière, le législateur ne badine pas.
En effet, il faut noter, même si cela dépasse le thème de notre article, que « les dispositions de l’article 1415 du code civil sont impératives et applicables aux époux mariés sous un régime de communauté universelle » (Cass. 1e civ., 5 oct. 2016, n° 15-24.616, publié au bulletin).
Des dispositions impératives, donc, mais également très précises… et n’ouvrant donc pas la porte à l’interprétation.
Tous pour un…
Ainsi, une femme a été condamnée à payer diverses sommes à une banque en sa qualité de caution des engagements souscrits par une société créée avec son fils puis placée en liquidation judiciaire.
Pour recouvrer sa créance, la banque a engagé une procédure de saisie immobilière portant sur un immeuble dépendant de la communauté, que les époux ont tenté de stopper en invoquant l’absence de consentement du mari au cautionnement contracté par son épouse.
… et deux en un ?
La cour d’appel a bondi sur l’existence d’un acte sous seing privé de cautionnement solidaire établi au nom du mari pour accueillir la demande de la banque, considérant que cela « équivaut à un consentement donné par lui à l’engagement de caution de son épouse ».
Seul regret : l’absence de production de cet acte, puisque du coup la cour « n’est pas en mesure d’en apprécier la validité ».
Mais la Cour de cassation va bien vite le faire passer au second plan.
Simple effet miroir !
En effet, elle considère que le consentement exprès… doit être expressément un consentement, et donc que les cautionnements souscrits unilatéralement par les époux, chacun de son côté, « n’établissaient pas à eux seuls le consentement exprès de chacun d’eux à l’engagement de caution de l’autre » (Cass. 1e civ., 13 juin 2019, n° 18-13.524).
L’occasion est trop belle pour ne pas faire la part des choses en distinguant obligation et contribution à la dette. Nous aurons ainsi fait la différence entre ce qui se passe sur la route et ce qui advient au bout du chemin.
Définitions dans le temps
L’obligation à la dette renvoie au gage des créanciers. L’obligation est donc associée à l’idée d’un danger immédiat, et l’est d’autant plus que, par principe, « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs » (C. civ., art. 1413).
A l’inverse, mais selon un processus très complémentaire, la contribution à la dette répond à la question de savoir lequel des trois patrimoines, propres et commun, supporte la charge définitive de la dette. La contribution prend donc tout naturellement place… à la fin, c’est-à-dire à la dissolution du régime.
Les récompenses à l’œuvre
Comment passer de l’un à l’autre ? La bascule s’opère régulièrement par le biais du mécanisme des récompenses, qui concerne au premier chef la communauté qui a acquitté durant le mariage une dette personnelle et a alors droit à récompense – c’est le cas le plus courant, que le règlement ait été libre ou contraint. Bien sûr, logique symétrie, la communauté devra récompense si des deniers propres ont permis d’éteindre un passif qui lui incombait.
Tout récemment, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser la notion de dettes de communauté s’agissant de prêts à la consommation contractés par un seul époux. La solution viendra compléter notre brève étude.
Remboursés par la communauté
Dans le cadre d’un divorce, un notaire a effectué des remboursements au titre de crédits à la consommation souscrits par l’époux, sans le consentement de son épouse. Contrairement à la cour d’appel, la Cour de cassation valide le choix du notaire, considérant les dettes comme des passifs de communauté.
L’article 1409, qui inaugure la partie du Code civil consacrée au passif de la communauté et auquel l’arrêt se réfère, explique notamment que la communauté se compose passivement des dettes nées pendant la communauté, à titre définitif ou sauf récompense selon les cas. Or « celles résultant d’un emprunt contracté par un époux sans le consentement exprès de l’autre doivent figurer au passif définitif de la communauté dès lors qu’il n’est pas établi qu’il a souscrit cet engagement dans son intérêt personnel » (Cass. 1e civ., 17 oct. 2018, n° 17-26.713, publié au bulletin).
La présomption de communauté, expressément posée pour l’actif de communauté (C. civ., art. 1402), joue tout naturellement au passif : une dette née pendant le mariage est commune jusqu’à démonstration, incombant à qui prétend le contraire bien sûr, de son caractère propre, c’est-à-dire de l’intérêt personnel du conjoint dans l’affaire.
Profitons de la jurisprudence récente pour étendre notre champ d’investigation et voyons comment une pluralité d’engagements de caution par une même personne doit être envisagée.
Caution pour une société auprès de plusieurs banques
Un homme qui s’est rendu caution envers une banque d’un prêt consenti par cette dernière à la société mise ensuite en liquidation judiciaire. Assigné alors en paiement par la banque, il a opposé la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, d’abord sans succès puisque condamné à payer plus de 230 000 €, outre intérêts.
Oséo protège sans exclure
Si aux termes de l’acte de prêt, la résidence principale est mise à l’abri d’une procédure d’exécution forcée grâce à la garantie Oséo dont la banque a bénéficié, il n’empêche que ladite résidence doit être incluse « dans le périmètre de l’actif de celui-ci permettant de faire face à son engagement », car « l’appréciation de sa capacité à faire face à son engagement au moment où elle est appelée n’est pas modifiée par les stipulations de la garantie de la société Oséo » (Cass. com., 17 oct. 2018, n° 17-21.857, publié au bulletin).
Mais après la pluie vient le beau temps : en effet, l’homme était également caution pour la même société auprès d’un autre établissement bancaire, pour une note cette fois de plus de 135 000 €, intérêts de retard compris.
Moins par moins font trop
Alors que la cour d’appel a simplement considéré que le patrimoine immobilier de l’homme « lui permettait, au jour où il a été appelé, de faire face à son engagement », la Cour de cassation lui fait grief d’avoir ignoré la demande de prise en compte de la dette envers l’autre établissement financier formulée par le débiteur alors que « la capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s’apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d’autres engagements de caution » (Cass. com. n° 17-21.857, cité supra).
Il serait dommage de ne pas profiter de l’actualité pour ajouter une petite précision qui, n’en doutons pas, fera date…
Même sans date
Ainsi, quand bien même « elle a une incidence sur le point de départ de la durée déterminée de l’engagement », il faut savoir que « l’absence de date sur l’acte de cautionnement ou dans la mention manuscrite n’est pas une cause de nullité de cet acte » (Cass. com., 15 mai 2019, n° 17-28.875, publié au bulletin).
La solution, rendue au vu des articles 2292 du Code civil et L 341-2 du code de la consommation, reste valable dès lors que ce dernier a seulement été « transféré » à l’article L 331-1 du même code par l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.
Après ce tour d’horizon, il est temps de quitter le cautionnement pour le privilège de prêteur de deniers, que nous allons découvrir dans une configuration assez exotique.
Solution patrimoniale complexe
Commençons donc par évoquer le contexte général, qui mérite quelques mots ne serait-ce qu’en raison de la rareté du schéma retenu.
En effet, en 2003, une femme et un homme ont acquis en indivision la nue-propriété (62 % pour elle et 38 % pour lui) et en tontine l’usufruit d’un ensemble immobilier.
La tontine portant sur l’usufruit seulement d’un bien, et non la toute propriété, fait l’objet d’un débat doctrinal. Les services du ministère de la Justice se sont montrés pour le moins dubitatifs à son égard, en proposant plutôt aux concubins de « se conférer réciproquement l’usufruit de leur quote-part de propriété par donation ou par legs » (sans évoquer d’aucune manière les inconvénients civils et fiscaux de la solution) et en livrant une explication lacunaire : « le caractère temporaire de l’usufruit, droit réel de jouissance lorsqu’il est dissocié de la nue-propriété, n’apparaît pas compatible avec un pacte de tontine ayant pour objet ce seul usufruit » (Rép. min. Hellier, JOAN 14 juin 1999, p. 3692, n° 23836).
La solution, présentant un risque certain, n’est donc que rarement mise en pratique. Il faut néanmoins lui reconnaître un mérite : celui de ne pas opposer frontalement les intérêts du survivant des tontiniers aux héritiers du prédécédé, comme le ferait une tontine traditionnelle.
Solution osée, donc, mais ce n’est pas là que le bât blesse dans notre affaire. En effet, le point épineux réside dans le financement de l’opération par l’homme, artisan, au moyen d’un prêt bancaire garanti par un privilège de prêteur de deniers et l’évolution défavorable de sa situation personnelle, à savoir un placement en liquidation judiciaire en mars 2010.
Inscription tronquée
Problème : le privilège de prêteur de deniers n’a été inscrit par le notaire que sur la seule quote-part de l’homme, ce qui a amené la banque, après avoir déclaré sa créance et assigné les concubins en partage de l’indivision existant sur l’immeuble, à se retourner également contre le notaire en responsabilité et indemnisation. Essayons de comprendre pourquoi.
Pour ce faire, commençons, comme l’a fait d’ailleurs la Cour de cassation (Cass. 1e civ., 9 janv. 2019, n° 17-27.411, publié au bulletin), par définir le périmètre naturel de cette garantie dans le cas qui nous occupe.
Partie emporte le tout !
Rejoignant en cela la position dominante, la Cour affirme que « même dans l’hypothèse où un prêt est souscrit par l’un seulement des acquéreurs d’un bien immobilier, pour financer sa part, l’assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble ».
La raison justifiant cette solution est que le prêteur est « titulaire d’une sûreté légale née antérieurement à l’indivision » (en tant que privilège immobilier spécial, cette sûreté prend rang au jour de la naissance de la créance et non à sa date d’inscription). La chose est tout sauf anodine concernant le positionnement et les droits dudit prêteur.
En effet, cela le positionne dans la première des catégories, celle de ceux qui sont qualifiés de « créanciers de l’indivision », bien que la formule soit réductrice – ce dont atteste d’ailleurs le cas que nous observons. En pratique, cela signifie que la banque aurait dû pouvoir poursuivre la vente forcée de l’immeuble dont elle avait partiellement financé l’acquisition sans engager une procédure préalable de partage et sans que puissent lui être opposés les démembrements de la propriété convenus entre les acquéreurs (C. civ., art. 815-17, al. 1er).
Pourquoi le conditionnel ? Parce qu’elle a dû se contenter d’une place moins enviable !
Déclassement implacable
Du fait de l’inscription du privilège de prêteur de deniers sur la seule part de son débiteur, la banque se trouvait déclassée puisqu’elle avait désormais seulement, « à l’égard des tiers, la qualité de créancier personnel du coïndivisaire emprunteur, de sorte qu’elle ne pouvait exercer son droit de poursuite sur l’immeuble indivis » (C. civ., art. 815-17, al. 2 et 3).
La fin des privilèges et une sûreté qui rentre dans le rang. Voilà un déclassement certain subi par la banque, qui n’a donc plus que « la faculté de provoquer le partage au nom de [son] débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui » (C. civ., art. 815-17, al. 3). Et il est inutile d’en rechercher bien loin le responsable…
Erreur et conséquences
Par principe, et c’est heureux, le notaire est « tenu d’assurer l’efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu’il a reçu mandat d’accomplir, doit (…) veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution ».
Cela a conduit la Cour de cassation à exiger la prise en compte de la demande de dommages-intérêts formée par la banque à l’encontre du notaire dès lors que l’inscription erronée réalisée par le premier et considérée comme une faute, réduit sensiblement la sûreté de la première.
« On dit souvent que l’on craint ce que l’on ne connaît pas. Je crois plutôt que la peur naît quand on apprend un jour ce que la veille, on ignorait encore » (Philippe Claudel, Les Ames grises). Nous espérons que ce tour d’horizon de l’actualité des garanties (et ces rappels à propos des règles de passifs) sera une aide pour demain, quelles qu’aient été vos craintes du jour.