Après les décisions défavorables à la participation aux acquêts de 2019 et 2021, la série noire se poursuit en 2023. L’ambulance se trouve à nouveau sous le feu. Et c’est encore un entrepreneur qui est la victime de la lecture que fait la Cour de cassation du régime ! A ce rythme, la participation aux acquêts va rapidement devenir la reine des attractions à sensations…
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Rappelons brièvement que la participation aux acquêts fonctionne comme une séparation de biens pendant la durée du mariage mais qu’à la dissolution du régime, comme l’affirment parfois rapidement certains, « le régime fonctionne comme une communauté légale ».
Si cette présentation a le mérite d’endosser l’habit de formule publicitaire, si elle a la cohérence de renvoyer à une logique générale voisine caractérisée par un partage égal de l’enrichissement réalisé pendant le mariage, elle n’en demeure pas moins inexacte en matière juridique.
Du régime des acquêts aux acquêts de la participation…
Plus précisément, en effet, « chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final » (C. civ., art. 1569).
Cela change-t-il quelque chose en pratique ? Oui, à plusieurs niveaux. Avec parfois quelques surprises qui renversent les analogies un peu rapides avec le régime légal.
Un contentieux s’est récemment fait jour à propos du calcul de créance de participation. L’épouse, pharmacienne, détenait son officine avant mariage et la possédait toujours lors du divorce. Pour quelle valeur ladite officine devait-elle figurer dans le patrimoine originaire et dans le patrimoine final de l’épouse pour mesurer l’enrichissement de celle-ci ?
La pharmacienne aux fourneaux…
Dans l’affaire qui nous intéresse, la cour d’appel de Grenoble avait constaté que « la plus-value de l’officine de pharmacie de [l’épouse] résultait de son activité déployée au cours du mariage et non de circonstances économiques fortuites ou d’investissements de fonds », avant de formuler son analyse du régime : « si, dans le régime de participation aux acquêts, les plus-values volontaires consécutives à des investissements financiers effectués pendant le mariage sont considérés comme des acquêts, les plus-values résultant de l’industrie personnelle d’un époux ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de la créance de participation, comme dans le régime de communauté où celles-ci ne donnent pas lieu à récompenses ».
En conclusion, elle avait écarté la plus-value relative à la pharmacie du le calcul de la créance de participation, révélant au passage le parallèle avec la communauté légale qu’établissent souvent les magistrats pour trancher en participation aux acquêts.
… et son ex-mari au comptoir !
La Cour de cassation produit une analyse opposée, sans référence, celle-là, à la communauté réduite aux acquêts : « lorsque l’état d’un bien a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d’un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’époux propriétaire » (Cass. 1e civ., 13 déc. 2023, n° 21-25.554).
La solution s’écarte effectivement de l’équilibre proposé par la communauté réduite aux acquêts, dans laquelle le fonds reste propre et les récompenses s’attachent uniquement aux flux financiers l’ayant affecté.
On notera néanmoins que, parfois, c’est le périmètre du fonds propre exploité que les magistrats utilisent comme variable d’ajustement, la force de travail nourrissant également la communauté tant dans ce qu’elle valorise que par ce qu’elle dégage : ainsi a-t-il été jugé que le stock d’eau de vie et de pineau, produit de l’industrie personnelle du mari pendant le mariage, doit figurer dans la communauté (Cass. 1e civ., 19 déc. 2012, n° 11-25.264).
Il n’empêche, l’entrepreneur qui s’est ensuite marié en communauté légale à quelques chances de s’en tirer à meilleur compte que celui qui a choisi la participation aux acquêts. Et nous l’écrivons à regret, tant cela interpelle pour des entreprises qui, si elles ne vivent pas, meurent – et ceci de plus en plus. Saisir l’état d’une entreprise, passé et présent, est une gageure, voire une chimère dangereuse.
Peut-on encore changer le cours de cette épopée malheureuse qui, comme dans la saga de Druon, mène tout droit ce régime vers le désastre et au musée ? Le problème est là. Peut-on lui trouver solution ? Dans les régimes existants, oui.
Inspiration allemande…
Il faudra aller du côté d’un régime confidentiel : le régime franco-allemand.
Régime participatif mêlant les versions allemandes et françaises de participation aux acquêts, il conserve le valorisme pour l’immobilier seulement et promeut l’indexation du patrimoine originaire pour le reste. Solution imparfaite mais facilitant les calculs et limitant les débats.
Sans partir aussi loin, pourrait-on sinon sortir quelque clause du chapeau afin d’agrémenter notre participation aux acquêts franco-française ?
Si la chose reste envisageable avec une certaine sérénité dans l’hypothèse d’un décès, elle apparaît compromise en cas de divorce, ce qui en général compromet l’ensemble – pour souvent un retour aride à la séparation de biens pure et simple.
Incorrigible ?
La Cour de cassation, à propos de la clause excluant les biens professionnels du calcul de la créance de participation, a malheureusement considéré que « les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial » et qu’« ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce », aux termes de l’article 265 du Code civil (Cass. 1e civ., 18 déc. 2019, n° 18-26.337). Et par deux fois (dans le même sens, Cass. 1e civ., 31 mars 2021, n° 19-25.903) !
Loi défavorable, liberté contractuelle réduite, noir c’est noir ! Le régime est accablé de toutes parts.
Complètement malade !
Michel Rocard nous invitait, avant l’heure peut-être, à ne pas voir partout des mains invisibles : « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare ». Comme le chante si bien Brassens, le temps ne fait rien à l’affaire. Le lieu alors ? Je n saurai l’affirmer, parole d’Auvergnat.
La participation aux acquêts a régulièrement la décembre sombre, tourmentée par la Cour de cassation. Au vent mauvais, quand le souffle glacé lui jette rageusement au visage les mauvaises nouvelles et lui fait courber l’échine, elle subit stoïquement les rafales. Oui, elle plie sous ces assauts. Rompra-t-elle ? Ou, d’aventure en aventure, de train en train, de port en port, pourra-t-elle fermer sa blessure ?
Tant compté le temps conté…
La cavalerie arrive toujours à temps, paraît-il. Et plus encore lorsqu’elle a donné sa parole, comme ce fut le cas voilà un peu moins de quatre ans avec la réponse rendue, à notre demande, au Sénateur Malhuret (JOS 28 mai 2020, p. 2446, n° 14362) dans laquelle un Ministère de la Justice pleinement dans son rôle s’affirmait « favorable à une clarification de ce texte dans le but de favoriser la prévisibilité juridique et de renforcer le principe de liberté des conventions matrimoniales ».
Noël, si près, si loin. De la hotte au sapin, le chemin est-il donc si long ? Quai de l’Horloge, le temps s’est arrêté. La place Vendôme est restée immobile, contrariée mais coite. Un vent nouveau pourtant part peut-être en ce moment-même de l’Assemblée nationale. Espérons qu’il agitera ensuite comme il se doit son monde aux Palais, pour parcourir enfin les offices notariaux de France et de Navarre – tout au moins ceux qui pratiquent.
Après des mois et des années à attendre, la lumière pourrait ne plus tarder à revenir.
Un nouvel espoir
Ainsi, une proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n° 1961) a été déposée le 5 décembre dernier et doit être examinée par l’Assemblée nationale le 18 janvier prochain.
Portée par les députés Hubert Ott et Perrine Goulet et s’appuyant notamment sur les travaux d’Alex Tani, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Lorraine, et les propositions du 116e congrès des notaires de France, cette proposition de loi vise principalement à priver des avantages matrimoniaux prévus en sa faveur le conjoint indigne – le sombre phénomène des violences conjugales ayant poussé à ces réflexions.
Dans le cadre des amendements déjà proposés, on notera, pour ce qui nous intéresse, que la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation en cas de divorce est adoubée comme le fut, en son temps, la clause de reprise des apports en cas de divorce, également par modification de l’article 265 du Code civil.
S’il ne faut pas bouder son plaisir, une remarque néanmoins : une formulation plus large aurait à notre sens été souhaitable – et vous l’aurez compris, elle peut encore faire son chemin.
Les bons états de service…
Plutôt que de cibler un et un seul point, aussi crucial fût-il, il serait judicieux à notre sens de s’appuyer sur ce qui a pu être écrit déjà, et en particulier du côté du Ministère de la Justice.
Les réponses ministérielles Huyghe (JOAN 26 mai 2009, p. 5148, n° 18632) et Delpon (JOAN 1er janvier 2019, p. 12457, n° 12382) avaient ainsi ouvert une voie plus simple encore – et que la Cour de cassation aurait à notre sens pu et dû retenir, contrairement à ce qu’elle a fait – en posant le principe selon lequel « la volonté des époux de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux (…) peut être manifestée dans le contrat de mariage ».
De la sorte, la balle serait rendue aux époux et à leurs conseils, notaires s’il vous plaît, pour assurer le maintien de toute clause à propos de laquelle lesdits époux se seraient mis d’accord afin qu’elle joue précisément ou notamment dans l’hypothèse d’un divorce. Un problème solutionné… dans les grandes largeures.
Alors si en ce mois de janvier nous vous adressons, chers lecteurs, nos vœux les meilleurs, vous comprendrez que nous portions aussi ces derniers vers le succès d’une réforme qui nous apparaît éminemment utile.