La stratégie est pour le moins bien connue : dans le dessein de transmettre dans le cadre d’une solution optimisée, le propriétaire d’un bien peut envisager de recourir à une donation de la nue-propriété de celui-ci. L’idée est évidemment, qu’à son décès, le nu-propriétaire devienne plein propriétaire en franchise de tout droit de mutation sur le fondement des dispositions de l’article 1133 du CGI. Au demeurant, cette absence de droits est souvent considérée, bien à tort, comme un cadeau extraordinaire. En effet, même sans disposition légale, toute application de droits de mutation serait exclue. Au décès de l’usufruitier, l’usufruit s’éteint. Aucun fait générateur de droits de mutation n’intervient. Comment appliquerait-on des droits de cette nature en l’absence de toute mutation, donc de tout fait générateur de l‘impôt ? L’usufruit ne rejoint pas la pleine propriété comme on l’a souvent lu. C’est simplement la pleine propriété qui est reconstituée enter les mains du nu-propriétaire.
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Maintenant, une fois cette pleine propriété reconstituée entre ses mains, le donataire initial de la nue-propriété est évidemment en droit de céder cette nue-propriété. En vérité, il cède alors une propriété grevée d’un usufruit. L’objet de la cession est bien constitué par la propriété. Juridiquement, comme le dit l’article 578 du Code civil, il n’y a qu’un seul propriétaire dans un démembrement, c’est le nu-propriétaire. Maintenant, cette cession peut à l’évidence faire apparaître une plus-value. Dans une affaire jugée par le Conseil d’état le 17 juin 2024, (req. n° 488488), une donation-partage de la nue-propriété avait été actée, le donateur prenant en charge les droits de donation correspondants. Lors de la cession, le prix avait été remployé dans l’acquisition de titres sur lesquels le démembrement de propriété se reportait par voie de subrogation réelle.
Dans une telle hypothèse, le Conseil d’Etat a jugé que seul le nu-propriétaire était redevable de l’impôt afférent à la plus-value (CE, 2 avril 2021, n° 429187). Cette imposition exclusive est justifiée par l’imposition au nom de l’usufruitier des revenus issus des nouveaux titres qui lui reviennent. Il n’en reste pas moins que, dans l’acte de vente constatant la cession, apparaissent aussi bien l’usufruitier que le nu-propriétaire. Sur ce fondement, le nu-propriétaire prétendait à l’imputation, sur le montant de la plus-value, des droits de mutation à titre gratuit acquittés lors de la donation de la nue-propriété. Ce dernier oubliait cependant un principe fondamental du droit fiscal qui veut que l’on ne peut accueillir en tant que charges déductibles que celles acquittées par le redevable de l’impôt. Or, comme on l’a fait observer plus haut, les droits de donation considérés avaient été pris en charge par le donateur de la nue-propriété et ce dernier n’était pas redevable de l’impôt dû à raison de la plus-value.
En vérité, à certains égards, la solution peut paraître rude. Quel qu’en soit le payeur, des droits de mutation ont bien été acquittés lors de la donation de la nue-propriété. Autrement dit le Trésor public est bien passé à la caisse lors de cette opération et l’équité voudrait qu’il en soit tenu compte lors de la cession du bien par le nu-propriétaire devenu plein propriétaire lors de l’extinction de l’usufruit. La neutralité de l’impôt est en quelque sorte mise à mal.
Pour autant, le rejet de la prétention du cédant était inévitable : dura lex, sed lex. Comme quoi, prendre en compte les droits incombant normalement au donataire peut ne pas s’avérer toujours judicieux. Mais il est tout aussi vrai que nombre de donations de la nue-propriété d’un bien immobilier interviennent alors que le donataire, bien souvent un enfant du donateur, ne dispose d’aucun revenu en raison de son âge. Comment faire alors autrement ?
Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, la solution aurait-elle différente si le donateur avait pris en charge les droits de donation tout en établissant un contrat de prêt aux termes duquel le donataire se serait engagé à rembourser les sommes en cause au donateur moyennant l’établissement d’un échéancier de remboursement, lui-même respecté par le donataire. Dans cette occurrence, au moment de la cession, on peut imaginer que le donataire aurait eu le temps de procéder au remboursement des droits de mutation. L’imputation des droits sur le montant de la plus-value aurait vraisemblablement été validée par le juge de l’impôt. Cette solution reste toutefois d’un emploi difficile à mettre en œuvre, particulièrement lorsque les donataires sont les enfants mineurs du donateur les enfants.
A défaut, une seule solution : attendre l’expiration du délai de détention de vingt-deux ans avant de procéder à la cession. L’abattement pour durée de détention de l’article 150 VC du CGI prend en effet naissance à la date de l’acquisition de la nue-propriété. Toutefois, si l’on veut éviter le paiement des prélèvements sociaux, un effort supplémentaire est nécessaire. Il faut en effet attendre l’expiration d’un délai de trente ans pour bénéficier d’une exonération de ces prélèvements.
Au conseiller d’adapter la solution à la situation de son client même si ce n’est pas toujours aisé.