Calcul d’une plus-value immobilière

Eclairage du 31 mai 2024 - N°509

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Le forfait travaux de 15 % est-il automatique ?

Un jugement du Tribunal administratif de Pau du 21 avril 2024 (n° 2201290) vient jeter une ombre sur le mode de calcul d’une plus-value immobilière lorsque la cession intervient dans les vingt-deux ans suivant l’année de l’acquisition. Il ne fait mystère à personne que la plus-value nette est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition. Toutefois, doit notamment être ajouté à ce prix d’acquisition le montant des dépenses de travaux de construction, reconstruction, agrandissement et amélioration relatives au bien cédé. Et, aux termes des dispositions de l’article 150 VB-II-4° du CGI, celles-ci peuvent être évaluées au moyen d’un forfait de 15 % du prix d’acquisition lorsque le bien cédé est détenu depuis plus de cinq ans. Le législateur a de la sorte voulu permettre de retenir, forfaitairement, des dépenses effectuées par le propriétaire à raison desquelles il ne dispose pas nécessairement de factures. On rappelle en effet, qu’avant l’intervention du législateur, les travaux réalisés par le propriétaire étaient retenus en multipliant par trois le montant des matériaux, multiplication destinée à prendre en compte le travail personnel du propriétaire. 

Pour l’application de ce pourcentage de 15 %, le conseiller droit reporter toute son attention d’abord sur les années antérieures. Les locaux cédés peuvent en effet avoir été donnés en location et certains de ces travaux peuvent avoir fait l’objet d’une imputation sur les revenus fonciers correspondants. Certes les dispositions de l’article 31-I-1°-b du CGI écartent de toute déduction des revenus fonciers les dépenses de construction, reconstruction et agrandissement. Mais elles autorisent l’imputation des dépenses d’amélioration. On se doute bien que ces mêmes dépenses ne peuvent faire l’objet d’une double déduction, des revenus fonciers d’une part, au titre du calcul d’une plus-value immobilière, d’autre part. Le conseiller doit se transformer en archéologue afin de rechercher si celles-ci ont fait l‘objet d’une précédente imputation lors de la déclaration des revenus fonciers des vingt-deux années antérieures. Le propriétaire a-t-il pris soin de conserver ces déclarations ou les copies de celles complétées par voie informatique ? La pratique montre que c’est rarement le cas sauf si le conseiller y a lui-même veillé. Malheureusement, l’administration, elle, grande conservatrice, est en mesure d’effectuer cette recherche beaucoup plus facilement en consultant ses dossiers. Elle est dans ces conditions en mesure de vérifier que les dépenses en cause ne font pas l’objet d’une double déduction.

La seconde préoccupation concerne l’application même de ce pourcentage. Le texte de l’article 150 VB-II-4° du CGI dispose que ″Lorsque le contribuable, qui cède un immeuble bâti plus de cinq ans après son acquisition, n’est pas en état d’apporter la justification de ces dépenses, une majoration égale à 15 % du prix d’acquisition est pratiquée″. La disposition paraît à tel point favorable que le propriétaire peut penser qu’il n’a même pas l’obligation de démontrer l’existence même des travaux. C’est à cet endroit précisément que le jugement du Tribunal de Pau interpelle. En effet, dans cette affaire, le cédant entendait bénéficier du forfait de 15 % sans détenir la preuve de l’exécution effective de travaux. L’administration refusa cette déduction et sa position fut validée par le tribunal.

 

L’interrogation porte alors sur l’interprétation des termes de l’article 150 VB-II-4° précité. Celui-ci admet en effet la pratique du forfait en cause même lors que le contribuable ne peut apporter la ″justification des dépenses de travaux″. Mais que faut-il donc entendre par ″justification des dépenses de travaux″ ? Cela vise-t-il la situation dans laquelle le propriétaire ne dispose pas des factures correspondantes ou cela signifie-t-il que le contribuable peut en bénéficier même s’il ne justifie pas de l’exécution même des travaux ?

Le Tribunal interprète le texte dans le premier sens évoqué. Pour lui, la déduction suppose que le contribuable démontre préalablement l’existence même de travaux dont il ne peut justifier le montant au moyen de factures. Apparemment, dans cette affaire, le propriétaire avait reconnu n’avoir effectué aucun des travaux susceptibles d’être admis à titre de complément du prix d’acquisition. En vérité, cette jurisprudence se situe dans le droit fil de celle du Conseil d’Etat du 25 mars 2019 (arrêt n° 422943, ″Davanture″). Dans cette espèce en effet, l’inexécution de travaux résultait de l’examen de la situation de fait elle-même. En l’occurrence, dans l’acte de cession, le vendeur précisait, d’une part, qu’il n’avait pas effectué sur le bien vendu de travaux nécessitant la délivrance d’un permis de construire ou une déclaration préalable, d’autre part, ne pas avoir réalisé sur l’immeuble vendu, de travaux nécessitant la souscription d’une assurance dommage-ouvrage dans les dix dernières années. Le juge suprême refusa de donner gain de cause au cédant qui prétendait là aussi bénéficier du forfait de 15 %.

Sur le fondement de ces jurisprudences, l’administration pourrait donc demander au contribuable qui soutient avoir réalisé des travaux de justifier précisément de cette exécution. Ne serait-ce pas alors lui demander de rapporter la preuve impossible ? Ne serait-ce pas inverser la charge de la preuve ? En effet si le cédant indique avoir réalisé lui-même des travaux, par exemple, une douzaine d’années avant la date de la cession la difficulté tient à la démonstration correspondante. Et l’administration ne devrait-elle pas rapporter la preuve contraire pour refuser l’application du forfait de 15 % ?

En vérité, cet entrelacs de questions s’avère dans bien des cas hors sujet. Et effet, des travaux de construction, reconstruction ou d’agrandissement donnent lieu à la délivrance d’un permis de construire et le cédant est alors en mesure d’apporter la justification lui permettant de bénéficier du forfait de 15 % à défaut de disposer des factures correspondantes, ce qui serait au demeurant particulièrement étonnant. Mais la problématique est plus délicate pour le propriétaire particulièrement bricoleur qui réalise, par lui-même, des travaux d’amélioration, installation d’une salle de bains par exemple. Comment peut-il justifier de la réalisation effective des travaux ? Et les a-t-il déduits de ses revenus fonciers ?

Que de questions pour lesquelles une seule réponse est satisfaisante : le propriétaire cédant doit impérativement conserver les factures d’achats des matériaux nécessaires aux travaux ou les factures établies par des entreprises. Maintenant, en ce qui concerne le passé, savoir si ces dépenses ont déjà été déduites des revenus fonciers, la charge de la preuve reviendrait à l’administration qui entendrait en refuser l’imputation pour les besoins du calcul de la plus-value au prétexte d’une double déduction.

Terminons sur deux bons conseils : déjà lors de l’établissement des déclarations de revenus fonciers, le conseiller doit veiller impérativement à la conservation des justificatifs des dépenses d’amélioration déduites. Et, c’est d’autant plus important si, dans un souci de prudence, un doute existant sur la déductibilité des travaux eux-mêmes, aucune déduction n’est opérée sur les déclarations de revenus fonciers, déclarations dont il importe de conserver soigneusement la copie. Leur imputation à l’heure du calcul de la plus-value ne fera pas débat si le cédant dispose de ces éléments de preuve. Ensuite, si la discussion vient à s’installer entre le client et l’administration lors de la cession : interdire au client de reconnaître l’absence de travaux comme cela a été le cas dans les jurisprudences précitées, confiant qu’il peut être que, de toutes façons, il est en droit de prétendre au bénéfice du forfait de 15 %, sauf si l’administration démontre précisément cette absence de travaux. C’est en effet à elle qu’incombe alors la charge de la preuve contraire. On peut aisément imaginer que pour elle, la preuve contraire paraît plus que très compliquée s’agissant de travaux d’amélioration. Comment démontrer que le propriétaire n’a pas installé une salle de bains dans les locaux cédés ?

Moralité : il faut savoir intelligemment renverser la charge de la preuve….

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal