La Cour de cassation sait, quand elle veut bien s’en donner la peine, faire preuve d’une belle qualité pédagogique. Un récent arrêt (Cass. 1e civ., 12 févr. 2020, n° 18-23.573) l’illustre parfaitement. Rendu à propos de la question du rapport des dettes, il traite d’un sujet intéressant et pas toujours suffisamment connu, aux conséquences pratiques importantes. Glissons-nous simplement dans les pas de la haute juridiction.
Depuis décembre 2019, la Cour de cassation a changé sa méthode de rédaction d’arrêt. Afin d’être plus accessible et persuasive, elle emploie un style plus direct et une structure en trois parties, partant des faits et procédure, passant par l’examen du moyen, et aboutissant enfin aux réponses et à leurs motifs. S’agissant des décisions importantes, la motivation doit par ailleurs en être enrichie.
Dans l’arrêt qui nous intéresse, nous allons compter jusqu’à neuf, comme la Cour elle-même – c’est ainsi qu’elle procède désormais, autre nouveauté. Et, comme par magie, nous aurons la solution aux questions posées…
Les faits vite fait
Prenons tout d’abord connaissance de la situation : une femme est décédée fin 2009, laissant pour lui succéder ses deux enfants, son testament prévoyant par ailleurs divers legs, notamment à ses petits-enfants.
L’un des enfants a assigné ses cohéritiers en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession. Avec notamment un désaccord persistant à propos d’une dette…
Moyen de fortune
Un enfant reproche en effet à la cour d’appel de Paris de dire qu’il est tenu au rapport à la succession d’une somme de plus de 90 000 € au titre d’un prêt de 600 000 francs.
Or, selon lui, « il appartient aux cohéritiers qui en demandent le rapport, de prouver l’existence au jour de l’ouverture de la succession des dettes envers leurs auteurs dont ils se prévalent ».
Et tel n’a pas été la règle appliquée par la cour d’appel lorsqu’elle a fait peser sur le débiteur « la charge de démontrer le remboursement de la dette qu’il avait reconnue devoir à sa mère selon un courrier du 27 novembre 1993 ».
Revenons sur la genèse de cette dette et exposons les règles de preuve, sans confondre – de bonne ou mauvaise foi – vitesse et précipitation. Il s’agit de décomposer, temps par temps, pour découvrir les exigences qui incombent à chacun.
Bon plan !
Pour s’y retrouver, rien de tel qu’un bon plan. Et celui du Code civil devrait au cas particulier nous être d’une grande utilité. D’ailleurs, la Cour de cassation ne fait rien d’autre que le suivre, s’autorisant simplement à marquer le temps, temps de la succession s’entend, et à en tirer les conclusions dans l’affaire qui nous intéresse.
Dans le chapitre consacré au partage, elle distingue, d’une part, le rapport des libéralités (section 1 ; C. civ., art. 843 à 863), qui « intéresse la composition de la masse partageable et constitue une opération préparatoire au partage » et, d’autre part, le rapport des dettes (section 2, paragraphe 1, s’agissant des dettes des copartageants ; C. civ., art. 864 à 867), qui « concerne la composition des lots et constitue une opération de partage proprement dite ».
En peu de mots, nous avons affaire à l’« avant » et au « pendant ». La spécificité du rapport des libéralités, opération préliminaire au partage, braque souvent sur lui les projecteurs : enjeu récurrent, source inépuisable de contentieux, il ne doit pas nous faire oublier la question, plus prosaïque, mais non moins importante, du rapport des dettes.
En cette dernière matière, foin des règles d’exception : c’est le droit commun de la preuve qui s’applique sans coup férir.
La mère joue les bonnes fées
Il faut ici préciser que l’enfant « ne conteste pas le prêt que lui a fait sa mère » ; il reconnaît bien volontiers, et la nature de l’opération, et le montant concerné. Le courrier susmentionné l’aura sans doute suffisamment trahi pour qu’il ne cherche pas davantage à dissimuler l’origine du débat.
Il n’abdique pas cependant et reporte la question du côté du remboursement ; il laisse notamment à sa sœur la charge d’y répondre, c’est-à-dire la charge de démontrer qu’il n’a pas réglé ladite dette, considérant que la cour d’appel « a violé l’article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ».
Mise à jour
Rappelons opportunément qu’avec l’Ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations du 10 février 2016 (art. 4), l’article 1315 du Code civil est devenu article 1353 du même Code.
Nonobstant, le débat ne se trouverait pas modifié dans la configuration actuelle. Et il faudrait agir de la même manière, avec ordre et méthode. Comme l’a fait la cour d’appel. Comme le rappelle pédagogiquement la Cour de cassation, en nous livrant la combinaison gagnante.
Qui allègue une dette en prouve l’existence…
La combinaison en question est celle, en l’occurrence, de deux textes, et elle ne vaut donc que dans l’ordre : les articles 864, alinéa 1er, et 1315 ancien (devenu 1353) du Code civil.
Premier temps : « il appartient à l’héritier qui demande le rapport d’une dette par l’un de ses copartageants de prouver son existence… »
… et qui refuse de payer prouve avoir remboursé !
Deuxième temps : « …, une fois cette preuve rapportée, le copartageant qui prétend s’en être libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation », en application du droit commun de la preuve (C. civ., art. 1353, al. 2).
Le tout en suivant, donc, l’ordre d’apparition à l’écran des textes susvisés. Transcrit à notre affaire, la mécanique implacable de notre moteur à deux temps trace sereinement son chemin.
Les faits sont têtus !
La Cour de cassation rappelle que l’héritier « ne contestait pas que sa mère lui avait prêté 600 000 francs », et que, « l’existence de sa dette étant établie, il lui appartenait de prouver qu’il l’avait remboursée et que, dès lors qu’il n’apportait aucun élément en ce sens, il devait rapporter cette somme à la succession de sa mère » (Cass. 1e civ., 12 févr. 2020, n° 18-23.573).
Arrivée au point 9, la Cour de cassation aboutit à la conclusion qui entraînera le rejet du pourvoi : « le moyen n’est donc pas fondé ».
Pour notre part, nous allons pousser un peu plus loin, en nous intéressant à la cuisine interne, lors d’un partage de succession, en présence dans la masse partageable d’une créance à l’encontre de l’un des copartageants.
Extinction par confusion
Fort logiquement est privilégiée la solution de l’extinction de la dette par confusion, le copartageant débiteur en étant alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse. Si néanmoins le montant excède ses droits dans la masse, il doit le paiement du solde sous les conditions et délais qui affectaient l’obligation (C. civ., art. 864). Le copartageant qui a une créance à faire valoir n’est alloti de sa dette que si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la masse indivise (C. civ., art. 867).
En matière d’exigibilité, la créance n’est, en principe, pas exigible avant la clôture des opérations de partage, l’héritier débiteur gardant la possibilité de s’en acquitter volontairement à tout moment (C. civ., art. 865).
Les intérêts courent depuis l’ouverture de la succession lorsque l’héritier était débiteur envers le défunt, au taux légal, sauf stipulation contraire (C. civ., art. 866).
Fondre sans confondre
La dette de l’héritier copartageant doit naturellement trouver sa place dans le partage. Elle y a naturellement sa place, et en plein cœur. Si elle n’est pas contestée, elle répond alors au droit commun de la preuve, et le débiteur a la charge d’en prouver le remboursement. C’est ce que vient de rappeler opportunément la Cour de cassation.