Le Conseil constitutionnel vient de prendre position contre la position de l’administration fiscale en matière de traitement de la prestation compensatoire (Décision n° 2019-824 QPC, 31 janvier 2020). La solution, favorable aux contribuables, apparaît cohérente et devrait permettre d’envisager plus sereinement certaines articulations en matière de modalités de règlement. Nous profiterons de l’occasion pour rappeler succinctement les principes civils et fiscaux applicables non seulement en cas de divorce, mais également en présence de séparations de fait ou de corps.
Il apparaît utile tout d’abord de rappeler les principes de détermination et de paiement de la prestation compensatoire, avant d’en évoquer les grandes lignes en matière de fiscalité.
Pour ce faire, il convient de revenir au préalable sur le régime primaire, car tout part de là.
Devoirs, de l’aube au crépuscule
Le régime primaire, applicable du seul fait du mariage, expose les devoirs et droits respectifs des époux. D’ordre public, il prévoit notamment que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » (C. civ., art. 212).
En droite ligne, les textes imposent également une contribution des deux époux aux charges du mariage, en principe à proportion de leurs facultés respectives (C. civ., art. 214, al. 1er).
Ces éléments vont constituer l’objet de notre brève étude, s’exprimant chacun en son temps. Et nous nous occuperons aujourd’hui des temps mauvais : le divorce, en premier lieu, mais aussi la séparation qui précède, qu’elle soit de fait ou liée à une séparation de corps.
Certains – peut-être pas sans intérêt ni arrière-pensée – peuvent sans doute s’interroger sur la raison de l’existence d’une prestation compensatoire en cas de divorce.
Fondement de la prestation
Nous pouvons dire qu’à l’origine de la prestation compensatoire se trouve la rupture précoce d’un mariage dont le terme aurait dû être le décès : « le divorce met fin au devoir de secours entre époux » (C. civ., art. 270, al. 1er). Et la chose se paie…
La prestation compensatoire, instaurée par la loi du 11 juillet 1975 pour mettre un terme au contentieux lié au maintien du devoir de secours, a été conçue d’emblée comme une indemnité forfaitaire. Alors qu’elle aurait dû prendre la forme d’un capital, les conditions économiques mais aussi fiscales (absence de dispositif incitatif) ont fréquemment conduit au choix de la rente.
La loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 a renforcé le principe d’un versement forfaitaire en capital (avec possibilité de paiement fractionné ou encore d’abandon d’un bien en pleine propriété) et assoupli les conditions de révision des rentes (pour celles fixées avant le 1er juillet 2000, il a été prévu une faculté supplémentaire de révision, de suspension ou de suppression lorsque leur maintien en l’état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif).
Depuis cette même réforme, le juge ne peut plus fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère qu’à titre exceptionnel, et « par décision spécialement motivée, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins » (C. civ., art. 276, al. 1er).
Déformation capitale
La prestation a donc désormais un caractère forfaitaire affirmé et prend très généralement la forme d’un capital. La mission est définie, même si elle n’a rien d’évident : la prestation compensatoire est « destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ». Après l’idée générale, dirigeons-nous vers les aspects pratiques.
« La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible » (C. civ., art. 271, al. 1er). Ajouter, au-delà du moment de la rupture, une dimension supplémentaire à la compensation rend cette dernière encore moins évidente. L’avenir, même relativement proche, n’est que rarement prévisible…
En pleine réforme des retraites – et dans une situation difficilement lisible –, certaines exigences du législateur deviennent particulièrement savoureuses : prendre en considération les situations respectives en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les conséquences de ses choix professionnels pendant la vie commune pour l’éducation des enfants (et du temps qu’il faudra encore y consacrer) ou pour favoriser la carrière du conjoint au détriment de la sienne. Rien que ça ? Voilà qui relève de la gageure.
Quant à la prise en compte de la durée du mariage, j’ai quelque mal à la rationaliser dans une formule mathématique – sérieuse s’entend. Entre autres difficultés.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se tromper sur l’objectif visé.
Respect du régime !
La Cour de cassation considère, fort légitimement au regard des précisions apportées supra, que « la prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger les effets du régime de séparation de biens » (Cass. 1e civ., 15 janv. 2014, n° 13-10.337 ; Cass. 1e civ., 8 juill. 2015, n° 14-20.480).
Si bien sûr le calcul dépend nécessairement du choix réalisé en la matière, puisque « le juge prend en considération notamment (…) le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial », il ne s’agit en aucun cas d’aligner les ex-époux sur le résultat qui aurait été obtenu si l’histoire du couple s’était écrite en communauté légale. Respect pour le choix du régime et, en conséquence, responsabilisation de ceux qui effectuent ce choix.
Malgré un contexte délicat, le capital s’est imposé… notamment en se transformant. Paiement en nature, paiement étalé, les solutions ne manquent pas.
La bonne paye !
Au-delà d’un principe de versement en somme d’argent, il est également possible de se libérer par l’attribution de biens en propriété ou de droits temporaires ou viagers d’usage, d’habitation ou d’usufruit (C. civ., art. 274, l’accord de l’époux débiteur étant exigé pour l’attribution en propriété de biens qu’il a reçus par succession ou donation).
Les modalités de paiement du capital peuvent également être fixées, dans la limite de huit années, sous forme de versements périodiques indexés, le débiteur pouvant se libérer à tout moment du solde du capital indexé, et le juge pouvant, à titre exceptionnel et par décision spéciale et motivée, autoriser le versement du capital sur une durée totale supérieure à huit ans (C. civ., art. 275).
Il s’agit donc de trouver la bonne solution, économique… et fiscale.
Fiscalité : frein ou accélérateur !
La Loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 a d’ailleurs piloté ce dernier critère plutôt que de s’en tenir exclusivement aux aspects civils. Le législateur savait qu’une partie de l’efficacité de son dispositif en dépendait.
Rappelons les principes ayant trait à chacun des mécanismes et voyons comment les combinaisons ont conduit le Conseil constitutionnel à censurer une position rigide… et injustifiée.
Vite une réduction…
Le débiteur de la prestation qui s’acquitte de son obligation en capital dans les 12 mois bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 25 % du montant retenu dans la limite de 30 500 €, soit une réduction maximale de 7 625 € (CGI, art. 199 octodecies), alors que, pour le bénéficiaire, la prestation n’est pas soumise à l’impôt.
La forme des paiements peut varier sans remettre en cause la réduction d’impôt sur le revenu : ainsi l’attribution de biens en propriété, de droits temporaires ou viagers d’usage et d’habitation, ou encore d’usufruits est parfaitement possible (BOI-IR-RICI-160-20, n° 120 et s.).
Si la solution est favorable, elle ne doit pas faire oublier que payer par la remise d’un bien ou d’un droit peut générer une imposition au titre des plus-values (Rép. min. Moyne-Bressand, JOAN 29 août 2006, p. 9083, n° 83591).
Quoi qu’il en soit, le plafond de la réduction constitue un véritable frein pour nombre de clients patrimoniaux qui pourraient lui préférer un autre système.
… et loin une déduction !
Les rentes sont admises en déduction du revenu imposable du débiteur (CGI, art. 156, II, 2°) et imposables chez le bénéficiaire (régime des pensions, avec application d’un abattement de 10 %).
Les versements de sommes d’argent sont assimilées aux pensions lorsqu’ils sont effectués sur une période supérieure à douze mois mais n’excédant pas huit ans (BOI-RSA-PENS-10-30, n° 70).
En cas de libération anticipée du capital dont le règlement était échelonné, et même sans l’intervention du juge, les sommes versées sont déductibles du revenu global du débiteur et imposables entre les mains du créancier avec, le cas échéant, application du système du quotient prévu à l’article 163-0 A du CGI (BOI-IR-RICI-160-20, n° 230).
Au passage, il n’est pas inutile de rappeler le traitement de l’obligation alimentaire qui s’exprime en cas de séparation de fait notamment.
L’obligation alimentaire en passant…
La contribution aux charges du mariage définie à l’article 214 du Code civil est assimilée à une pension alimentaire lorsque son versement résulte d’une décision de justice et que les époux font l’objet d’une imposition distincte (BOI-RSA-PENS-10-30, n° 70).
Il est utile de signaler ici que, par dérogation au principe d’imposition par foyer fiscal, les époux sont obligatoirement soumis à imposition distincte lorsqu’ils sont mariés sous le régime de séparation de biens et ne vivent pas ensemble, lorsqu’étant en instance de séparation de corps ou de divorce, ils ont été autorisés à résider séparément, et lorsque, l’un des époux ayant abandonné le domicile conjugal, ils disposent l’un et l’autre de revenus distincts (l’exécution de l’obligation de secours entre époux n’étant pas considérée au cas particulier comme un revenu).
Par ailleurs, sont imposables entre les mains de celui qui les reçoit les pensions alimentaires qui sont déductibles du revenu global de celui qui les verse (et il en est de même pour la revalorisation, même si elle n’est prévue expressément). Dans le cas contraire, elles ne sont en principe pas imposables (BOI-RSA-PENS-10-30, n° 80), lot de consolation en cas de versement spontané dont la déduction serait refusée.
Mais voyons en quoi le Conseil constitutionnel a récemment œuvré dans ce domaine.
Panaché injustement pénalisé !
Tout d’abord, il faut savoir qu’un versement en capital sur une durée supérieure à douze mois accompagné d’une rente ouvre droit à une déduction fiscale de l’intégralité des sommes. Mais que jusqu’à présent une combinaison assez proche était maltraitée… et pour tout dire se voyait appliquer des dispositions qui pouvaient peut-être même être regardées comme contraires aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
En effet, lorsque la prestation compensatoire prenait la forme d’un capital versé dans un délai inférieur à douze mois à compter du divorce, complété par une rente, les versements en capital ne bénéficient ni de la réduction d’impôt, ni de la déduction du revenu imposable. Un cas malheureusement unique quand toutes les autres modalités de versement de cette prestation permettaient au débiteur de bénéficier, sur l’intégralité des sommes versées, de l’un ou l’autre de ces avantages fiscaux.
A ceux qui soutiendraient que la solution envisagée ne favorisait pas un règlement rapide des conséquences financières du divorce comme doit le faire justement la réduction d’impôt prévue à l’article 199 octodecies du CGI, le Conseil constitutionnel a fait remarquer qu’un versement en capital sur une durée supérieure à douze mois accompagné d’une rente ouvrait droit à une déduction fiscale de l’intégralité des sommes alors même qu’il ne pouvait être considéré comme incitatif au regard de l’objectif affiché.
La conclusion de ce débat, frappée au coin du bon sens, ne faisait guère de doute : « en privant le débiteur d’une prestation compensatoire du bénéfice de la réduction d’impôt sur les versements en capital intervenus sur une durée inférieure à douze mois au seul motif que ces versements sont complétés d’une rente, le législateur ne s’est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi » (Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-824 QPC).
La décision est également intéressante en ce qu’elle expose que « le simple fait qu’un versement en capital dans un délai de douze mois s’accompagne d’une rente ne saurait suffire à identifier une stratégie d’optimisation fiscale ». Voilà qui est clair.
Application immédiate…
Si les dispositions déclarées contraires à la Constitution ne sont plus en vigueur à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, il faut ajouter que la déclaration d’inconstitutionnalité peut même être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la décision et non jugées définitivement.
Voilà qui devrait inciter les praticiens qui accompagnent cet épisode si délicat de la séparation à explorer des solutions jusqu’alors freinées par une fiscalité inappropriée. En gardant à l’esprit bien sûr que l’équilibre économique reste l’élément primordial.