Assurance vie, primes manifestement exagérées ou donation indirecte : des démonstrations pratiques toujours aussi complexes

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L’arrêt objet de nos observations aujourd’hui, s’il n’apporte aucune nouveauté s’agissant de la détermination du caractère manifestement exagéré d’une prime versée sur un contrat d’assurance vie, apparait en revanche surprenant sur le plan de la requalification du contrat en donation indirecte.

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Commençons par dresser le contexte de l’affaire. Ici, un Monsieur X s’était marié en secondes noces avec Madame B. A la suite de son décès, il laissa pour lui succéder son épouse ainsi que ses six enfants issus de sa première union avec Madame A. Le de cujus avait souscrit un contrat d’assurance vie recueillit intégralement par Madame B.

Madame B faisant par la suite l’objet d’une mesure d’habilitation familiale, deux de ses enfants ont été désignés habilités pour la représenter de manière générale. Madame A assigna ainsi ces derniers aux fins de rapport des capitaux décès reçus. Ses prétentions s’appuyaient sur deux fondements juridiques afin de faire valoir la prise en compte de l’assurance-vie dans la masse de calcul des droits successoraux de son ex-époux

D’une part, elle invoquait le caractère exagéré des primes versées au regard de son âge et de sa situation familiale et patrimoniale.  A cet égard, la Cour d’appel de Lyon saisie du litige (CA Lyon, 11 juin 2024, n° 22/02710), approuva le jugement des juges de première instance déboutant Madame A de sa demande de réintégration à l’actif successoral des primes versées. Pour cela, ils rappelèrent le principe déjà bien établi selon lequel le caractère manifestement exagéré s’apprécie au moment du versement en considération de l’âge, des situations familiales et patrimoniales du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat par le souscripteur.

Ainsi, les juges du fond ont pu considérer que les versements pris individuellement n’étaient constitutifs d’aucune exagération au regard de ces éléments. Également, ils soulignent le fait que le souscripteur avait conservé dans cette période de versements la faculté de rachat à tout moment, traduisant une certaine utilité.

D’autre part, Madame B demandait la requalification du contrat en donation indirecte et la réduction des primes à hauteur de la quotité disponible. Elle invoquait la volonté de dépouillement irrévocable de Monsieur X et, de contournement des règles de la réserve héréditaire au profit de son épouse.

Ici, la Cour s’appuie, pour écarter la demande, sur une lecture restrictive de l’article L 132-13 du Code des assurance, qui prévoit que « les règles du rapport et de la réduction spécifiques au droit des successions n’ont vocation à s’appliquer que lorsque les primes présentent un caractère manifestement exagéré, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »

Avis de l’AUREP : La Cour semble cantonner l’action de la requérante à la démonstration de l’existence de primes manifestement exagérées. Cette position apparait surprenante et diverge aussi bien d’une jurisprudence que de plusieurs réponses ministérielles reconnaissant aux héritiers s’estimant lésés deux moyens pour obtenir la prise en compte de l’assurance-vie dans la masse de calcul des droits successoraux que la loi leur garantit : faire valoir le caractère manifestement excessif des primes ou, démontrer que le contrat est constitutif d’une donation indirecte.
En tout état de cause, cette décision illustre une fois encore la difficulté liée à ces démonstrations en pratique.

Droit civil
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche