Afin de bien identifier l’enjeu des débats, commençons par préciser le contexte de l’affaire. Une société par actions simplifiée que nous nommerons X, constituée par trois associés historiques a, émis courant 2017 des actions de préférence. Ces actions, en vertu d’une clause statutaire, donnaient droit « à un dividende prioritaire correspondant à 8 % du prix de souscription de ces actions ou à 50 % du bénéfice net consolidé par action ». En juin 2015, deux sociétés Y et Z se portèrent acquéreuses d’actions de préférence de la SAS X. A la fin de la même année, il a été décidé lors d’une décision prise en assemblée générale extraordinaire de réduire le montant du dividende prioritaire attaché aux actions de préférence, en modifiant l’article statutaire prévu à cet effet. Les sociétés Y et Z, titulaires des actions de préférence, assignèrent la SAS X et ses trois associés historiques en vue d’obtenir d’une part la nullité des résolutions de cette assemblée générale, d’autre part, le paiement de sommes à titre de complément de dividendes.
Le litige s’est articulé autour de deux enjeux que nous verrons successivement.
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Le premier, déterminer si la modification des droits attachés aux actions de préférence exigeait un consentement individuel et préalable des associés titulaires desdits titres.
Si, les juges d’appel ont pu rejeter les demandes d’annulation et de paiement des requérants, au motif qu’aucune disposition légale n’imposait un tel consentement individuel des associés à la modification de leurs droits particuliers, il en va différemment de la Chambre commerciale de la cour de cassation (Cass. com., 10 juil. 2024, n° 22-15.836). Au travers d’un moyen relevé d’office, les juges de la Haute juridiction s’appuyèrent sur des dispositions prévues en matière de droit des contrats pour imposer un tel consentement. Plus précisément, est visé explicitement l’article 1134 ancien du Code civil et, implicitement l’obligation prévue en son deuxième alinéa selon laquelle les conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. Appliquée aux faits de l’espèce la Haute juridiction juge que « lorsque les statuts d’une société par actions simplifiée ne prévoient pas les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés, le consentement individuel des titulaires de ces actions est requis pour procéder à une telle modification. »
Ainsi, le consentement individuel des titulaires des actions de préférence est requis pour procéder à une modification des droits attachés à leurs actions. Ce mode opératoire de principe est supplétive de la volonté des associés qui pourront encadrer statutairement les modalités (assemblée générale spéciale, quorum, majorité…) pour procéder à de telles modifications. Nous regrettons que l’arrêt ne fasse mention de précisions complémentaires. En pratique, il semble prudent de prévoir explicitement, dans les statuts, les modalités spécifiques pour procéder à une telle modification.
Le second enjeu, plus subtil, revenait à déterminer si la seule modification des droits attachés aux actions de préférence emporte création, conversion en une nouvelle. Dans le cas positif et conformément aux dispositions de l’article L. 228-15 alinéa 2 du Code de commerce, « les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie ». Plus spécifiquement, il était donc question de savoir si la modification des droits attachés à ces titres emportait « conversion » en une nouvelle action de préférence, avec les conséquences que nous venons de voir.
Dans notre affaire, les associés Y et Z titulaires des actions de préférence avaient pris vote à l’assemblée générale extraordinaire susvisée si bien qu’ils demandaient son annulation au regard des dispositions précitées.
Là encore les juges d’appel ont pu écarter l’application de l’article 228-15 précité au motif que la décision litigieuse portait sur la simple modification des modalités de rémunération attachés aux actions de préférence et non sur la création de ces dernières. Dès, lors tous les associés pouvaient procéder au vote écartant ainsi toute remise en cause de l’assemblée générale extraordinaire.
La chambre commerciale de la Cour de cassation écarte ce raisonnement en retenant une définition large de la notion de « conversion ». Ainsi, elle définit de manière inédite la conversion qu’il convient de retenir au sens de l’article 228-15 alinéa du Code de commerce comme « toute opération emportant modification des droits attachés aux actions converties. » Ainsi, toute modification quelle qu’elle soit, opérée sur les droits attachés aux actions de préférence opère un changement de catégorie de ces actions, autrement dit une conversion d’actions. Il est précisé que le seul fait que ces actions continuent d’être désignées sous le même intitulé ne saurait remettre en cause ce mécanisme.
Ainsi, et dans l’affaire qui nous intéresse, la réduction du montant du dividende attaché aux actions de préférence a converti ces dernières en une nouvelle catégorie d’actions si bien que leurs titulaires ne pouvaient prendre part au vote à l’assemblée portant sur cette modification, sous peine d’annulation des résolutions.