Acte anormal de gestion : la conformité d’une renonciation à recettes avec l’objet social de l’entreprise est insuffisante pour lui conférer un caractère normal
En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, la circonstance qu’une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l’objet social de l’entreprise n’est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l’intérêt propre de l’entreprise (CE, 9ème et 10ème ch., 22 juil. 2022, n° 444942) :
L’affaire concerne une société de droit suisse, assimilée à une société anonyme de droit français, dont l’objet social est l’acquisition, la vente et la location de tous biens immobiliers et notamment la mise à disposition gratuite de ses immeubles à ses actionnaires. Suite à une vérification de comptabilité engagée par l’administration fiscale, cette dernière a notamment estimé que la société avait commis un acte anormal de gestion en renonçant à percevoir des loyers en contrepartie de la mise à disposition gratuite, au bénéfice de son unique associé, de deux appartements situés à Cannes dont elle est propriétaire, et qu’elle était passible de l’impôt sur les sociétés en France à raison de ces bénéfices.
Par un jugement du 29 octobre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, retenue à la source et pénalités correspondantes ainsi mises à sa charge. Par un arrêt du 30 juin 2020, contre lequel elle se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.
Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi en ces termes :
« Sur la qualification de l’opération litigieuse :
6. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Au regard de ces principes, la circonstance qu’une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l’objet social de l’entreprise n’est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l’intérêt propre de l’entreprise, ni que satisfaire par cette gratuité l’un des objets pour lequel la société a été créée soit une contrepartie suffisante.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que c’est sans commettre d’erreur de droit ni inexactement qualifier les faits de l’espèce qui lui étaient soumis que la cour administrative d’appel de Marseille a jugé qu’en mettant à la disposition gratuite de son unique associé deux appartements situés à Cannes, la société Phoenix Union Co avait renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu’une gestion normale de ses biens eut procurées.
Sur la convention franco-suisse en vue d’éviter les doubles impositions :
8. Aux termes des stipulations de l’article 6 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée : » 1. Les revenus provenant des biens immobiliers (…) sont imposables dans l’Etat contractant où ces biens sont situés (…) / (…) / 4. Les dispositions des paragraphes 1 et 3 s’appliquent également aux revenus provenant des biens immobiliers d’une entreprise (…) « . Aux termes des stipulations de l’article 23 de la même convention : » 1. Les éléments du revenu d’un résident d’un Etat contractant, d’où qu’ils proviennent, dont ce résident est le bénéficiaire effectif et qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente convention ne sont imposables que dans cet Etat « .
9. Il résulte de ces stipulations que les revenus correspondant à la mise à disposition gratuite d’appartements sont assimilables à des revenus provenant de biens immobiliers au sens des stipulations de l’article 6 de la convention précitée et ne peuvent être regardés comme des revenus non spécialement traités par cette convention au titre de son article 23. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que cette société avait été imposée à bon droit à l’impôt sur les sociétés en France sur la base des revenus correspondant au prix normal de location qu’elle aurait pu tirer de ses appartements situés à Cannes durant la période d’occupation gratuite par son associé. »
Avis de l’AUREP : cette décision est parfaitement logique dès lors qu’une renonciation à percevoir des recettes, au profit de ses associés, est, pour une société de capitaux, contraire à son intérêt propre (sauf à pouvoir démontrer le contraire ce que l’objet social ne suffit pas à justifier).