Une fameuse idée se louer à soi-même par le biais d’une SCI
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A vrai dire pour aller à la chasse au redressement fiscal, il n’y a pas mieux. Rappelons le contexte.
Les dispositions de l’article 15-II du CGI dispose que ″Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu″.
Au demeurant, à première vue, la formulation surprend. On parle de revenus d’un logement dont dispose le propriétaire et qui n’est évidemment pas donné en location. Elle paraît bien bonne si l’on ne connaît pas l’origine de cette mesure. Lors du vote de la loi de juillet 1914 instituant l’impôt sur le revenu, le législateur a considéré à l’époque que le propriétaire bénéficiait d’un avantage en nature par rapport au locataire car il disposait d’un logement sans avoir de loyers à débourser pour se loger. Le chose pouvait peut-être s’entendre à l’époque. Elle s’entendait encore lors de la réforme de l’impôt sur le revenu de 1959. Puis elle finit par exaspérer le législateur qui y mit fin lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1964. Puis, sous le Gouvernement en place dans les années 1974 et suivantes, d’aucuns ont songé à l’abrogation de cette disposition légale, besoin de recettes fiscales oblige. Ils y ont vite renoncé car admettre l’imposition au titre des revenus fonciers d’un revenu correspondant à la valeur locative réelle du logement aurait autorisé le propriétaire à prétendre à la déduction notamment des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration, sans parler des intérêts d’emprunt. Les simulations exécutées à l’époque montraient au demeurant que la mesure n’aurait pas été aussi favorable que cela. L’idée fut immédiatement abandonnée. On ne sait jamais, des fois qu’elle se révèle finalement favorables aux propriétaires occupants….
Une petite remarque avant d’aller plus loin dans le sujet. L’exonération ne concerne que les logements dont le propriétaire se réserve la jouissance. Et si ce n’est pas un logement ? Les dispositions de l’article 30 du même code s’en préoccupent. Le revenu est alors égal aux loyers que l’immeuble pourrait produire s’il était donné en location. Cela existe ? Et bien oui, notamment dans l’immobilier d’entreprise. Voici un exemple : imaginons un père dont l’enfant a satisfait aux épreuves de l’AUREP pour devenir Conseil en gestion de patrimoine. Il souhaite l’aider en mettant à sa disposition un appartement particulièrement bien situé pour installer son cabinet. Et pour lui faciliter la vie, il ne lui demande pas de verser un loyer. Pour autant, il devra déclarer un revenu foncier en retenant, au titre des loyers, la valeur locative réelle des locaux mis à disposition gratuite de son fils. Cette disposition gratuite laisse le bien à sa propre disposition. Il l’utilise comme il le souhaite. Au moins aura-t-il avantage de pourvoir prétendre à l’imputation sur le montant des loyers des dépenses travaux d’aménagement éventuellement nécessaires à l’adaptation des locaux à la profession de son enfant.
Dans ces conditions, face à l’impossibilité légale pour le propriétaire du logement qu’il occupe personnellement de pratiquer la moindre déduction, un certain nombre de conseillers -mais étaient-ce vraiment des conseillers- ont mis au point un schéma de nature selon eux à laisser pantois les agents de l’administration, le montage qui allait permettre au propriétaire de déduire les dépenses de travaux réalisés sur son habitation principale. Voyons, c’est simple : pourquoi le propriétaire ne créerait-il pas une SCI qui, devenue propriétaire du logement, le lui donnerait en location en sa qualité d’associé. La société imputerait les dépenses de travaux sur les loyers versés par l’associé. Et, dans l’hypothèse de l’apparition d’un déficit, il imputerait celui-ci sur ses autres revenus dans la limite de 10 700 € par an. Elle n’est pas bonne celle-là ?
Elle est tellement bonne qu’elle conduit directement, et sans passer par la case départ, à l’abus de droit. Pourquoi ? Comme l’écrivait Maurice Cozian : ″l’abus de droit est la sanction du surdoué de la fiscalité″. Et, dans notre affaire, le propriétaire n’échappe pas à la sanction. Le juge de l’impôt l’explique très bien depuis nombre d’années. Pour lui, la substance du montage est exclusivement fiscale. Il s’agit de contourner l’exonération des revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance. C’est la création d’une situation locative qui justifie, en elle-même, la mise en œuvre de l’abus de droit, et cela, même en présence d’un loyer normal (CE, 6 décembre 1978, n° 6803.- CE, 11 octobre 1991, req. n° 65144 « De Brion).
On constate que la sanction fondée sur l’abus de droit ne date pas d’hier. Et pourtant, cela n’a pas calmé les faiseurs de miracles. En témoigne un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 9 juill. 2024 (req. n° 23NT01346). Dans cette affaire, M. A avait créé une SCI pour acquérir un bien immobilier. Une partie de l’immeuble lui était donné en location, qui l’occupait en tant qu’associé gérant majoritaire à 98 % du capital de la SCI. On s’en doute, cette occupation nécessitait la mise en œuvre de travaux significatifs. Un délai de deux mois séparait l’acquisition de la mise en place du contrat de bail. Les travaux étaient ensuite réalisés et le montant en avait été acquitté par la SCI pour partie au moyen d’un emprunt, le reste étant financée directement par M. A. La location reprenait une fois les travaux réalisés sans que, pour autant, le montant du loyer initialement fixé avant travaux ne soit révisé en conséquence. Pour sa défense, l’associé faisait valoir que ce schéma avait été mis en place pour des raisons de commodité professionnelle et de vie privée et familiale.
Pour apprécier la validité de ce type de schéma au regard de l’abus de droit, le Conseil d’Etat s’appuie sur une grille de lecture à laquelle le conseiller peut au demeurant se référer pour apprécier l’existence, ou non, d’un abus de droit. Pour la Haute assemblée, il convient de prendre en compte :
– le contrôle exclusif ou quasi exclusif de la S.C.I. par l’occupant du logement ;
– le bref délai écoulé entre la création de la société et l’opération d’acquisition de la résidence ;
– le fait que celle-ci constitue le seul élément de patrimoine de la société ;
– le financement de la construction ou l’acquisition par les associés.
Si ces éléments sont bien présents, l’abus de droit est constitué et le contribuable est reçu en grande pompe à Bercy pour recevoir la médaille de grand bienfaiteur du Trésor public. Pourquoi grand, simplement parce que la pénalité de 80 % est à la hauteur de ses attentes.
Encore plus fort…
Certains, encore plus doués, ont cru ″noyer le poisson″ en créant une SARL de famille propriétaire du bien immobilier, mais, cette fois, donné en location meublée à l’associé créateur de la société. La ruse dans toute sa splendeur… De surcroît, la location relevait du régime de la location meublée professionnelle autorisant par conséquent l’associé à reporter les déficits sur son revenu global. Malheureusement, l’astuce n’a pas fait rire l’administration bien longtemps, prompte qu’elle fut à mettre en œuvre l’abus de droit pour sanctionner la poursuite d’un but exclusivement fiscal. Pour contredire cette prétention, l’associé peut toujours prétendre qu’il entend là poursuivre un intérêt patrimonial, c’est le caractère artificiel du montage qui est ici sanctionné par le Comité de l’abus de droit fiscal (Séance 2014, Aff. n° 2014-32). Le comité relève que le contrat de location meublée ″ne reflète pas la réalité de la situation des époux P lesquels entendaient se réserver la jouissance de cet immeuble à titre de résidence principale dont ils avaient l’entière disposition″.
En conclusion,
Pour contredire l’abus de droit on peut invoquer toutes les commodités que l’on veut, toute argumentation fondée sur la poursuite d’un but patrimonial, rien n’empêchera le Comité de l’abus de droit fiscal et le juge de l’impôt de s’interroger sur la raison de l’interposition d’une société de personnes de l’article 8 du CGI et surtout de la mise en place d’un bail si ce n‘est en vue d’éluder partiellement l’impôt. Au fond, on peut détenir son habitation principale dans une SCI, c’est parfaitement raisonné au plan patrimonial mais quelle est la justification, autre que fiscale du contrat de bail entre la société et l’associé ? On connait la réponse du surdoué de la fiscalité, c’est pour générer des revenus à l’associé. En voilà encore une qui est bien bonne.
Mais peut être le surdoué de la fiscalité dispose-t-il d’une autre explication justifiant la mise en place de ce montage. Demandons le lui, c’est encore le mieux…