Préciput et droit de partage : affaire à suivre…

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On assiste depuis quelques années à une certaine discordance entre les juges du fond sur la question de l’exigibilité au droit de partage du préciput. Pour cause, l’Administration a, dans de nombreuses propositions de rectification, considéré le préciput comme une opération de partage soumise à l‘impôt de partage.

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La majorité des jugements, confortés par des arrêts d’appel, avaient jusque-là écarté l’application de la fiscalité du partage à cet avantage matrimonial faute d’existence d’un partage. Précisons à cet égard que la doctrine administrative conditionne l’exigibilité de l’impôt de partage à la réunion de cette condition à trois autres : l’existence d’un acte, l’existence d’une indivision entre les copartageants et la justification de l’indivision. En ce sens, nous commentions l’an dernier, l’arrêt remarqué de la Cour d’appel de Poitiers (CA Poitiers, 4 juil. 2023, RG n°22/01034) qui écartait l’imposition en raison de l’absence d’un partage, condition nécessaire à l’exigibilité.

L’année 2024, ne déroge pas à cette profusion du contentieux, plusieurs juridictions ayant déjà été confrontées au sujet.Plus précisément, en mars dernier, la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 19 mars 2024, n° 21/03418) venait sanctionner le raisonnement du tribunal judiciaire de la même ville qui, assimilait l’avantage matrimonial en une modalité de partage taxable.

Les juges du fond ne manquèrent pas ici de faire allusion aux nombreuses décisions contraires correspondant à tout point de vue à notre position doctrinale. En ce sens, ils reprenaient l’argument selon lequel, « l’exercice de la clause de préciput n’a donc qu’une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non d’allotissements entre plusieurs copartageants ». Autrement dit, le préciput constituerait une restriction de la masse successorale à partager, le conjoint venant, par l’exercice de sa faculté réduire les biens communs formant la masse indivise. Les juges voyaient dans cette solution une certaine cohérence avec la prescription de l’article 1515 du Code civil qui vise un prélèvement sur la communauté avant tout partage.

Pour autant, ce syllogisme d’apparence logique, ne fit pas l’unanimité. En témoigne un récent arrêt de la Cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 24 sept. 2024, n°23/01411) qui soumit le prélèvement au droit de partage.

Selon les juges, l’existence d’un acte ne faisait nul doute au regard de l’acte notarié portant la modification du régime matrimonial des époux et, la stipulation du préciput. Ensuite, ils estimèrent que le décès d’un époux conduisait de plein droit à la dissolution immédiate de la communauté et à une indivision successorale. L’indivision entre copartageant trouverait ainsi son existence dans la loi, chaque copartageant voyant ses droits définis selon, d’une part le préciput conventionnel, d’autre part des règles légales de la dévolution successorale. Enfin, la Cour considéra que l’exercice du préciput, rendant le conjoint survivant seul propriétaire du bien prélevé, constituait une transformation d’un droit général et abstrait d’un copartageant, sur la masse commune, en un droit exclusif sur le ou les biens attribués.

Cette logique au rebours du texte et ambiguë, voit dans ce prélèvement préciputaire d’origine conventionnelle une forme d’attribution constituant une opération de partage et mettant fin aussi bien à l’indivision post-communautaire qu’à l’indivision successorale.

En conséquence la position de la Cour de cassation était attendue sinon nécessaire. L’affaire susvisée jugée par la Cour d’appel de Poitiers fit récemment l’objet d’un pourvoi de l’Administration devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com, 16 oct. 2024, n°23-19.780). Cette dernière, non coutumière de ces thématiques, vient de renvoyer l’examen du dossier à la Première chambre civile pour avis. La question transmise est simple : « Le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant en application de l’article 1515 du code civil constitue-t-il une opération de partage ? ».

Il faudra donc s’armer de patience pour obtenir une réponse claire à cette question conflictuelle.

Avis de l’AUREP : On ne peut qu’espérer une réponse négative de la Première chambre civile. Selon nous, l’article 1515 du Code civil prévoyant un prélèvement avant tout partage, écarte, aussi bien le partage communautaire que successoral. Dès lors, il nous semble que cet avantage matrimonial échappe à toute fiscalité.
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Communication AUREP

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