C’est une évolution importante qu’a opéré très discrètement l’administration fiscale lorsqu’elle a publié sa dernière actualisation du Bofip-impôts consacré au régime d’exonération « Dutreil » applicable aux entreprises individuelles (CGI, art. 787 C).
Sans l’énoncer formellement elle rapporte nombre d’analyses que nous avions eu l’occasion de souligner de longue date comme étant à nos yeux illégales.
Le champ d’application du régime de faveur tel qu’il est aujourd’hui admis par l’administration fiscale dans sa doctrine s’en trouve accru de manière significative.
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Question n°1 : Ces changements d’analyses s’expliquent ils par une évolution de la législation ?
Réponse : Non.
C’est au prétexte des modifications réalisées par la loi de finances pour 2024, d’une jurisprudence et des résultats d’une consultation publique ayant expiré plus de trois ans en amont, que l’administration fiscale infléchit sur plusieurs points ses analyses (V. BOFIP Impôts, Actualité ENR-DMTG publiée le 30 mai 2024). En réalité, la plupart des questions concernées par ces revirements d’analyses ne sont nullement affectées par ces évolutions législatives et jurisprudentielles.
Question n°2 : Les analyses contestables retenues par l’administration fiscale rapportées à l’occasion de cette actualisation ont-elles un point commun ?
Réponse : Oui.
Ces prises de position à nos yeux erronées avaient en commun de transposer à l’exonération Dutreil des exigences inhérentes à d’autres régimes d’exonérations : ceux afférents à l’ exonération d’IFI et d’ISF au titre des biens professionnels.
Question n°3 : La définition même des biens pouvant bénéficier du régime de faveur est-elle concernée par cette évolution ?
Réponse : Oui.
Le critère que la doctrine administrative retenait jusqu’alors pour identifier les biens pouvant bénéficier de l’exonération de 75 % prévue par l’article 787 C du CGI était problématique. L’administration fiscale définissait les biens pouvant bénéficier de l’exonération comme ceux : « nécessaires à l’exercice de la profession » BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, 6 avril 2021, n° 10).
Le critère de nécessité retenu par l’administration conduisait à une délimitation trop restrictive du champ d’application du régime de faveur. Il était à nos yeux à la fois inapproprié et illégal (V. F. FRULEUX, Exonération Dutreil et retraitements extra-comptables, Revue de droit fiscal n° 28, 15 juillet 2022, 277, n° 2, p. 24 ; Exonération Dutreil et donations d’entreprises aux salariés : une réforme confuse et insuffisante, JCPN 9 février 2024, n° 6, 1030, n° 36 et 37 ; J.-Cl. Fiscal, fasc. 7715, n° 30).
Il s’écartait du texte fiscal (CGI, art. 787 C) régissant le régime d’exonération qui se réfère au critère de l’affectation des biens à l’exploitation en précisant que l’assiette de l’exonération partielle est constituée par l’ensemble des biens « affectés à l’exploitation de l’entreprise ». Il s’affranchissait également des dispositions civiles issues de la loi du 14 février 2022 (L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante). Ces dernières énoncent que le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est constitué des biens « utiles » à son activité (C. com., art. L. 526-22, al. 2).
Ce hiatus s’explique par un travers fréquent chez l’administration fiscale consistant dès ses premiers commentaires à transposer au régime d’exonération « Dutreil » les exigences requises pour bénéficier d’un autre régime d’exonération ciblant les biens professionnels : feue l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels. Les deux dispositifs présentent, certes, plusieurs points communs. Mais leur parenté est éloignée. Les deux régimes d’exonérations différent sur de nombreux points. C’est le cas de la question qui nous intéresse. Les biens professionnels exonérés d’ISF étaient en effet uniquement ceux étant « nécessaires » à l’activité professionnelle principale du contribuable (CGI, art. 885 N). Pour sa part, l’exonération Dutreil retient un critère plus large : celui de l’affectation du bien à l’exploitation de l’entreprise.
Question n°4 : L’administration fiscale risquait-elle de voir sa doctrine censurée ? Qu’en sera-t-il in fine ?
Réponse : Oui
L’administration fiscale s’exposait, de notre point de vue, à ce titre à une nouvelle censure jurisprudentielle de sa doctrine si elle ne l’amendait pas pour retenir un critère conforme au texte (V. F. FRULEUX, Exonération Dutreil et retraitements extra-comptables, préc; Exonération Dutreil et donations d’entreprises aux salariés : une réforme confuse et insuffisante, préc. ; J.-Cl. Fiscal, fasc. 7715, préc).
Ce ne sera pas le cas in fine, l’administration préférant rapporter elle-même ses analyses. Lors de l’actualisation du BOFIP opérée le 30 mai 2024, l’administration centrale abandonne le critère contestable de la nécessité du bien à l’exercice de la profession au profit de celui plus pertinent et conforme au texte de son affectation à l’exploitation d’entreprise individuelle (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, 30 mai 2024, n° 10 et 60).
Il est donc aujourd’hui acquis, tant au regard du texte que de la jurisprudence et à présent de la doctrine administrative, qu’un bien effectivement affecté à l’exploitation et simplement utile à celle-ci sans être strictement nécessaire à l’exercice de la profession peut bénéficier de l’exonération partielle. La nuance est importante. Elle est assez classique en droit fiscal, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer en matière d’impôt sur le revenu le résultat imposable d’une entreprise individuelle. On songe en particulier à la détermination du patrimoine professionnel en matière d’impôt sur le revenu pour calculer le résultat imposable aux bénéfices non commerciaux des professionnels indépendants ou encore apprécier si un gain relève du régime des plus-values professionnelles ou des particuliers (V. Th. SCHMITT, J.-Cl. Fiscal, fasc. 3360, BNC – Détermination du revenu imposable – Détermination du patrimoine professionnel. ; P. SERLOOTEN, J.-Cl. Fiscal, fasc. 2560 et F. DRACH, J.-Cl. Fiscal, fasc. 3380, BNC – Plus-values ou moins-values sur les éléments du patrimoine professionnel).
Question n°5 : Des signes avant-coureurs d’une telle censure pouvaient-ils être décelés ?
Réponse : Oui. Et l’administration l’a bien compris.
L’administration centrale justifie l’évolution de sa doctrine par un arrêt rendu par la Cour de cassation énonçant que « si l’inscription d’un bien au bilan ou sur le document en tenant lieu fait présumer le fait qu’il est affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci » (Cass. com., arrêt du 9 février 2022, n° 20-10.753).
Une telle justification semble de prime abord paradoxale. Cette décision a en effet accueilli favorablement les demandes de l’administration fiscale. Elle a validé une proposition de rectification écartant du bénéfice de l’exonération une trésorerie largement excédentaire. Ces fonds qui bien qu’inscrits à l’actif de son bilan ne se rattachaient pas à l’entreprise agricole exploitée par le défunt. Une lecture attentive de l’arrêt permettait cependant de déceler que la Haute juridiction y opérait quant à l’assise précise de sa décision une substitution fine et pertinente de fondement désavouant l’analyse soutenue par l’administration fiscale. En l’espèce, le service des impôts, reprenant la doctrine de son administration centrale soutenait que les régimes de faveur devaient être écartés au motif que la trésorerie litigieuse n’était pas « nécessaire » à l’exploitation.
La cour d’appel l’avait suivi sur ce terrain. Considérant que l’objet du litige résidait dans le « caractère nécessaire à l’exploitation des liquidités inscrites », elle avait confirmé les jugements « en ce qu’ils ont jugé que la preuve du caractère nécessaire des biens à l’exploitation n’était pas rapportée ».
Pour sa part, la haute juridiction retient une analyse et un critère très différents quand elle énonce qu’en ce qui concerne les entreprises individuelles si, l’inscription des biens au bilan, ou leur mention sur le document en tenant lieu, « en font présumer le caractère affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci ». C’est sur point précis que s’exprime la substitution réalisée par la Cour de cassation. Elle retient le critère de la nécessité de son affectation effective à l’exploitation de l’entreprise. Ce subtil artifice permet à la Cour dans cette affaire où l’abus des redevables était manifeste de valider la solution retenue par la cour d’appel tout en prenant, à juste titre, ses distances quant au fondement retenu ; sans avoir formellement à procéder à une substitution de motifs.
A bien y regarder, on pouvait donc voir dans cet arrêt un désaveu de la doctrine administrative (V. en ce sens, . F. FRULEUX, Exonération Dutreil et retraitements extra-comptables, art. préc., p. 24). Cette décision constituait certainement comme nous le pensions les prémices d’une invalidation ultérieure du BOFIP Impôts limitant en l’absence de tout fondement légal l’exonération aux seuls biens nécessaires à l’exercice de la profession de l’entrepreneur individuel. L’administration centrale l’a compris. Elle préfère rapporter sa doctrine plutôt que de risquer une nouvelle invalidation jurisprudentielle.
Question n°6 : L’administration fiscale rapporte-t-elle son analyse de manière explicite ?
Réponse : Non.
Le changement de doctrine n’est qu’implicite ; Bercy étant soucieux de ne pas se désavouer de manière trop ostensible.
Il s’exprime à deux égards :
– D’une part, dans le corps des développements consacrés aux entreprises individuelles, il se matérialise par la suppression des indications qui énonçaient que :« les biens affectés à l’exploitation sont les biens nécessaires à l’exercice de la profession » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 10, 6 avril 2021) ; ainsi, qu’à deux reprises par la substitution du terme « affectés » à celui de « nécessaires » (BOI préc. n° 60 et 110).
– D’autre part, dans le plan du BOFIP il se manifeste par cette même substitution réalisée deux fois (BOI préc., n° 30 et 40).
Question n°7 : Cette méthode minimaliste est-elle neutre et efficace ?
Réponse : Non.
Elle engendre des discordances qui ne doivent toutefois pas inquiéter le praticien. D’autres développements, plus anciens et maintenus par l’administration fiscale continuent d’énoncer que : « les biens affectés à l’exploitation s’entendent des biens nécessaires à l’exercice de la profession » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 10 qui reprend les termes de la réponse ministérielle PATRIAT n° 9222, JO Sénat 20 mai 2010, p. 1288).
Question n°8 : Cette affectation qui constitue le nouveau critère retenu par l’administration fiscale s’entend-elle dans son acception comptable ?
Réponse : Non.
L’administration fiscale précise d’ailleurs explicitement que l’inscription d’un bien au bilan de l’entreprise ou sa mention sur le document qui en tient lieu tel que le registre des immobilisations crée une simple présomption d’affectation à l’exploitation de l’entreprise qui supporte la preuve contraire.
Le critère servant à déterminer si un bien entre ou non dans le périmètre de l’exonération n’est pas celui comptable de l’inscription du bien à l’actif du bilan ou sur le registre des immobilisations. C’est celui, économique, d’affectation effective du bien à l’exploitation. Un bien inscrit au bilan ne peut pas bénéficier de l’exonération partielle s’il n’est pas effectivement affecté à l’exploitation de l’entreprise. Bien que la doctrine administrative révisée reste mutique sur ce point qui n’a pas été confirmée en jurisprudence, selon nous, l’inverse est tout autant vrai. Un bien affecté de manière effective à l’exploitation de l’entreprise peut bénéficier de l’exonération même s’il ne figure pas au bilan. De tels écarts ne sont pas exceptionnels en pratique.
Question n°9 : Une autre évolution de la doctrine administrative étend elle le champ d’application des entreprises éligible à l’exonération partielle ?
Réponse : Oui. Elle concerne les entreprises données en location gérance.
L’administration fiscale admet explicitement contrairement à ce à quoi conduisaient ces commentaires antérieurs qu’une transmission d’un fonds de commerce donné en location-gérance à l’un des donataires ou successeurs peut bénéficier de l’exonération partielle.
Selon la nouvelle version du Bofip : « le dispositif de faveur prévu à l’article 787 C du CGI s’applique, toutes autres conditions par ailleurs satisfaites, lors de la transmission du fonds de commerce préalablement donné en location-gérance à l’un de ses héritiers, donataires ou légataires » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, 30 mai 2024 §15).
C’était ici encore la transposition par l’administration fiscale des exigences requises au titre des exonérations d’IFI ou d’ISF pour les biens professionnels qui faussait l’analyse de l’administration fiscale dans sa doctrine antérieure.
L’affirmation suivant laquelle un fonds de commerce donné en location-gérance ne pouvait pas bénéficier de l’exonération partielle au motif que les actifs d’exploitation ne sont déjà plus affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle était à nos yeux erronée et illégale. En particulier, elle ne pouvait écarter du bénéfice de l’exonération partielle la transmission d’une entreprise individuelle préalablement donnée en location gérance à l’un des bénéficiaires (V. en ce sens, F. FRULEUX, J.-Cl. Fiscal, fasc. 7715, n° 38 ; Exonération Dutreil et exploitation personnelle de l’entreprise individuelle, JCPN n° 37, 15 septembre 2023, 1169, p. 68). Un tel aménagement non seulement remplit toutes les conditions requises par l’article 787 C, mais plus encore, s’inscrit pleinement dans sa logique. Il permet d’atteindre l’objectif de pérennisation de l’entreprise poursuivi en confiant dans un premier temps la gestion de l’entreprise au repreneur pressenti pour s’assurer ante transmissionem de son aptitude à gérer l’exploitation.
Si elle avait été maintenue, cette doctrine administrative qui refusait à ce type de transmission la possibilité de bénéficier de l’exonération partielle aurait été selon nous invalidée par la jurisprudence (V. F. FRULEUX, J.-Cl. Fiscal, fasc. 7715, n° 38 ; Exonération Dutreil et exploitation personnelle de l’entreprise individuelle, JCPN n° 37, 15 septembre 2023, 1169, p. 68). La Cour de cassation avait déjà posé des jalons en ce sens, en refusant d’admettre qu’en soi la cessation de l’exploitation personnelle d’une entreprise individuelle par l’auteur de la transmission suffise à faire échec au bénéfice de l’exonération partielle (Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-18226 ; F. FRULEUX, Confier la gestion d’une exploitation individuelle fait-il échec à l’exonération Dutreil ? Revue de droit fiscal, n° 30-34, 27 juillet 2023, 286).
Question n°10 : La nouvelle doctrine administrative consacrée à cette question est-elle totalement satisfaisante ?
Réponse : Non.
L’évolution est positive. Elle doit être saluée. En pratique, elle lève l’essentiel des obstacles qui entravaient indument les transmissions d’entreprises individuelles données en location-gérance.
Pour autant, la manière dont les services de Bercy procède à ce revirement est contestable et aboutit à un résultat insatisfaisant. Le BOFIP présente l’éligibilité des transmissions de fonds préalablement donnés en location-gérance à l’un des bénéficiaires de la transmission comme procédant d’une mesure de tempérament qu’il octroie. Le Bofip maintient l’affirmation suivant laquelle les biens donnés en location-gérance à une société à responsabilité limitée ne sont déjà plus affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle, ce qui selon elle constitue un obstacle au bénéfice de l’exonération : « Lorsque les biens faisant l’objet d’une donation sont loués (location-gérance pour le fonds de commerce) à une société à responsabilité limitée qui en assure déjà l’exploitation, les biens en cause, qui ne sont déjà plus affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 787 C du CGI et ne bénéficient donc pas de l’exonération prévue par cet article (rép. min. GIRO, n° 85780, JOAN 15 août 2006, p. 1563 » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, 30 mai 2024).
Cette affirmation se fonde elle aussi sur une transposition inadéquate des règles régissant l’exonération d’IFI au titre des biens professionnels. Pour l’application de cette dernière exonération, l’administration précise que : « les actifs donnés en location ou mis à la disposition d’un tiers ne peuvent pas, en principe, être regardés comme des actifs professionnels pour leur propriétaire, même s’ils sont affectés à l’exercice d’une activité professionnelle par le tiers en cause » (BOI-PAT-IFI-30-10-10-20, n° 20). Mais contrairement à l’exonération d’IFI, l’exonération Dutreil applicable aux entreprises individuelles n’est conditionnée par aucune exigence inhérente à l’exploitation personnelle de l’entreprise par le donateur ou le défunt lors de la transmission. La Cour de cassation a déjà confirmé ce point de manière explicite en désavouant l’administration fiscale qui soutenait l’inverse dans sa doctrine ou aux termes de propositions de rectification (Cass. com., 10 septembre 2013, n° 12-21140 ; 21 juin 2023, n° 21-18226).
Fondée sur un postulat et une assimilation erronés, cette indication devrait être expurgée du BOFIP Impôts.
Question n°11 : Un autre revirement d’analyse de l’administration fiscale peut-il être pointé, s’agissant des bénéficiaires de l’exonération ?
Réponse : Oui. Il concerne les modalités de poursuite de l’exploitation requises pour pouvoir bénéficier du régime de faveur.
On retrouve ici encore le travers de l’administration fiscale consistant à transposer à l’exonération Dutreil les exigences requises pour bénéficier de l’exonération d’IFI ou d’ISF au titre des biens professionnels. Le « c » de l’article 787 C du CGI impose comme condition requise pour bénéficier de l’exploitation que l’un des bénéficiaires de la transmission poursuive de manière effective l’exploitation de l’entreprise pendant un délai de trois ans à compter de la transmission. Selon l’administration fiscale cette condition impliquait que le bénéficiaire de la transmission « exerce à titre habituel et principal son activité au sein de l’entreprise » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 90, 6 avril 2021).
Les règles régissant l’IFI et feu l’ISF imposent, certes, dans la logique qu’ils poursuivent une condition inhérente à l’activité professionnelle principale du contribuable (CGI, art. 975). Mais ce n’est pas le cas de l’article 787 C qui impose uniquement que l’un des bénéficiaires de la transmission poursuive « effectivement (…) l’exploitation de l’entreprise » pendant les trois années suivant la transmission.
L’administration fiscale allait bien au-delà de cette exigence. Elle refusait ainsi à un conjoint survivant exerçant par ailleurs une autre activité professionnelle le bénéfice de l’exonération au motif que l’intéressé, bien qu’ayant obtenu une dérogation, à cet effet ne poursuivait l’exploitation familiale agricole qu’à titre d’activité secondaire, ce qui selon l’administration n’était pas suffisant pour appliquer l’exonération partielle (Décision de rescrit RES n° 2006/49 (ENR) du 24 octobre 2006 ; BOI 7G 6-01 n° 68).
Nous avions toujours tenu cette exigence pour illégale et inopposable au redevable (F. FRULEUX, J.-Cl. Fiscal, fasc. 7715, n° 64).
Plusieurs arrêts de cours d’appel à l’égard desquels l’administration fiscale n’avait formé aucun pourvoi en cassation avaient confirmé l’inopposabilité au contribuable de cette exigence, en précisant que l’exonération pouvait s’appliquer sans que l’un des bénéficiaires de la transmission soit tenu d’exercer son activité principale dans l’entreprise (CA GRENOBLE, 8 septembre 2015, n° 13/00609 ; CA PAU, 10 janvier 2013, n° 11/03410).
Il était à nos yeux acquis que la Cour de cassation suive le même chemin et invalide cette doctrine au motif qu’elle ne peut pas subordonner l’exonération partielle à des conditions n’étant pas expressément énoncées par le texte (V. en ce sens : F. FRULEUX, J.-Cl. préc., fasc. 7715, n° 64).
L’administration modifie son analyse lors de l’actualisation du BOFIP publiée le 30 mai 2024. Ce revirement est également opéré dans la plus grande discrétion. L’administration a supprimé purement et simplement les paragraphes du BOFIP imposant cette condition et détaillant les modalités d’appréciation de l’activité professionnelle principale du redevable. La subdivision concernée du BOFIP Impôts consacrée à cette question se limite à présent à énoncer que : « l’un des héritiers, donataires ou légataires doit effectivement exploiter l’entreprise pendant les trois années qui suivent la transmission à titre gratuit » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 90).
Il est donc acquis, ce qui est conforme à la logique de ce dispositif distinct de celle régissant l’exonération d’IFI au titre des biens professionnels que l’exonération Dutreil peut s’appliquer même si le bénéficiaire de la transmission n’exerce pas son activité professionnelle principale au sein de l’entreprise et poursuit l’exploitation à titre d’activité secondaire lorsque c’est juridiquement possible.