Par Jean-Denis Errard, ancien rédacteur en chef de la revue Gestion de Fortune
Le vendredi 19 juillet 2024, la holding allemande FWU AG s’est déclarée surendettée auprès du tribunal à Munich. Le même jour, sa filiale FWU Luxembourg a informé son superviseur, le Commissariat aux Assurances (CAA), qu’elle « ne satisfaisait plus aux exigences de capital de solvabilité requis et de minimum de capital requis ».
Photo de FlyD sur Unsplash
Afin de protéger les intérêts des assurés et des bénéficiaires, le CAA a décidé le 23 juillet 2024 de geler les avoirs représentatifs de FWU Luxembourg détenus auprès des établissements de crédit et de suspendre tous les retraits.
En France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a annoncé le 7 août l’insolvabilité de cet assureur vie luxembourgeois, une petite compagnie affichant 2 Md€ d’encours (2000 € d’encours moyen) et de nombreux assurés dans le monde dont précisément 35 425 contrats d’assurance vie pour des Français. Ce communiqué signale que le régulateur luxembourgeois « a décidé en date du 23 juillet 2024 de procéder au blocage des valeurs représentatives des provisions techniques auprès des établissements dépositaires afin de protéger les intérêts des preneurs et des bénéficiaires d’assurance ».
Un choc pour les Français
Un vrai séisme dans l’univers de l’assurance vie, cela alors que les tensions politiques en France ont convaincu ces dernières années bien des Français d’aller rechercher la sécurité tant vantée des assurances vie luxembourgeoises. En outre, nombreux sont ceux, sans doute éclairés par leur conseiller, qui redoutaient la mise en œuvre du dispositif « Sapin II » permettant en France au HCSF, le Haut conseil de stabilité financière, de bloquer les avoirs en cas de difficultés du secteur des assureurs du fait de la brusque remontée des taux longs sur les marchés (ce qui fait courir un risque systémique en cas de rachats massifs par les épargnants puisqu’en France l’essentiel des avoirs n’est pas en unités de compte comme au Luxembourg mais en euros).
Cette défaillance de FWU n’est pas une vraie surprise
1. Le 4 août 2022, l'autorité de surveillance du secteur des assurances au Luxembourg, le Commissariat aux assurances (CAA), lui avait infligé une sanction de 200 000 €pour «déficiences détectées dans le processus de surveillance des produits et exigences en matière de gouvernance ». Cette sanction avait engendré des doutes quant à la transparence et la solidité de l'assureur, d’autant qu’elle était assortie d’une interdiction de commercialisation notamment en France
2.
Des protections variables
Aussi curieux que cela paraisse il n’existe à ce jour aucune procédure harmonisée au niveau européen pour la résolution des crises des sociétés d’assurances, ce qui suscite des différences de fond entre les approches États membres, se traduisant par des degrés inégaux de protection. Ce qui explique le communiqué très sibyllin le 19 août de l’Autorité européenne des assurances (European Insurance and Occupational Pensions Authority, soit EIOPA) selon lequel « la meilleure marche à suivre pour que les assurés puissent prendre une décision financière éclairée dépend de divers facteurs, notamment la situation financière de l’entreprise (actuellement en cours de révision), les termes et conditions de leur contrat d’assurance, les dispositions spécifiques des lois sur les contrats et l’insolvabilité qui peuvent varier selon les États membres, ainsi que d’autres lois nationales pertinentes ».
Actuellement, un administrateur spécial indépendant nommé par le tribunal, le cabinet d’avocats Pluta Rechtsanwalts, est en charge de gérer temporairement la filiale et d’évaluer la situation financière de l’entreprise. Il devra dans les six mois identifier une solution, qui pourrait aller de la restructuration à la liquidation.
Juridiquement, un contrat distribué en France par une compagnie installée au Luxembourg relève du code des assurances français dès lors que la résidence habituelle du souscripteur est établie en France à la date de la souscription (2). Cependant, selon l’article 10 de la Directive 2002/83/CE 16 les règles applicables à la compagnie elle-même et donc aux actifs financiers qui sont sa propriété, sont celles de la loi de l’Etat d’origine. C’est cette règle qui permet aux souscripteurs français de se prévaloir des règles de gestion financières luxembourgeoises.
Une double protection
Le dispositif prudentiel au Luxembourg n’assure pas contrairement à ce que l’on croit souvent une « garantie » des capitaux confiés mais comporte deux avantages protecteurs:
- 1°) Les titres et unités de compte de l’épargnant sont séparés des actifs de l’assureur puisqu’ils se trouvent dans les comptes d’une banque dépositaire, laquelle doit isoler ces actifs au sein de ses propres livres. Donc actuellement, le régulateur, le CAA, a fait bloquer ces comptes afin de protéger les droits des souscripteurs. Les actifs des clients sont ainsi séparés juridiquement de ceux des actionnaires et des créanciers de la compagnie d’assurance. C’est ce qu’on appelle le « triangle de sécurité » entre l’assureur, la banque et le CAA.
- Cette règle de sécurité ne prémunit pas contre un défaut de la banque dépositaire. La faillite des deux banques islandaises Landesbanki et Kaupthing à la suite de la crise de 2008, par exemple, l’a montré puisque si les titres déposés ont été restitués, les liquidités ont été définitivement perdues.
- 2°) Les actifs d’une compagnie d’assurance luxembourgeoise sont séparés entre son patrimoine propre et les actifs sous-jacents aux contrats, qui constituent « le patrimoine distinct ». Si l’assureur ne peut honorer ses engagements, alors ses assurés peuvent se targuer d’un « super privilège » qui prime tous les autres droits y compris l’Etat sur ce patrimoine distinct. Si le patrimoine distinct n’est pas suffisant pour couvrir les engagements, alors les assurés sont créanciers privilégiés sur le patrimoine propre de la compagnie (Loi luxembourgeoise du 6 déc. 1991 sur le secteur des assurances, art. 39 et 40). Cette protection des assurés s’entend du nombre d’unités de compte (parts de fonds) au jour de la liquidation et non sur la valeur de l’épargne.
- Au final, les Français qui ont préféré un assureur luxembourgeois pour éviter le stress des menaces de la loi Sapin II se voient aujourd’hui de la même façon dans l’incapacité d’effectuer des retraits ! Les difficultés de FWU Life Insurance Lux S.A. vont mettre cette mécanique de protection à l’épreuve des faits ! En outre, cette affaire met en évidence l’importance de s’assurer de la qualité des contrats par rapport à ceux proposés en France, notamment sur la structure des frais car, en l’occurrence, FWU appliquait des frais élevés ayant provoqué de nombreuses procédures en France pour défaut d’information3.
- Ceci dit l’intérêt de l’assurance vie luxembourgeoise n’est pas dans cette double protection, dont on verra si elle est efficace ou non à la suite de cette défaillance, il est dans la sophistication financière. Un atout concurrentiel fort pour les grandes fortunes d’envergure internationale et non, comme FWU, pour de petits épargnants4.
- (1) Déjà, en 2011, la société Excell Life International avait fait défaut. Son portefeuille de contrats détenus en France s’est vu transféré vers un autre assureur, Atlanticlux SA. Laquelle changeait de nom en 2016 pour devenir FWU Life Insurance Lux SA. C’est cette société qui est aujourd’hui déclarée insolvable. ↩︎
- (2) De nombreuses procédures ont été lancées depuis la sanction de 2022 en invoquant le défaut d’informations pré-contractuelles reproché à FWU, un argument qui permet de prolonger le délai de prescription même plusieurs années après souscription. Par exemple la cour d’appel de Rennes, 29 mai 2024, RG n° 21/05562 invalide un contrat souscrit 16 ans avant auprès de cette compagnie en application du droit de renonciation prévu par l’article L 132-5-1 du code des assurances français. ↩︎
- (3) Des procédures ont été lancées aussi contre cet assureur FWU lorsque les souscripteurs se sont rendus compte que leur contrat comportait des précomptes de frais, par exemple Eurolux Epargne avec 7,5 % ponctionnés les trois premières années par tranche de 2,5 % et prélevés sur la somme totale des versements contractuellement prévus sur 20 ans. Plusieurs fois FWU est monté jusqu’en Cour de cassation pour défendre ses pratiques peu orthodoxes et a perdu : « le fait que le contrat proposé ne prévoie pas de frais de rachat, de taux d’intérêt garanti ou de valeurs de réduction était, pour l’assuré, des informations essentielles qui devaient figurer dans la note d’information » (Cass. civ. 2e 12 octobre 2023, pourvoi n°21-24.155) ↩︎
- (4) Cf. les explications de Marc Thomas-Marotel, responsable de l’ingénierie patrimoniale, BPCE Vie, « L’originalité des règles financières des assurances-vie luxembourgeoises », Gest. Fort. n°359 juillet-août 2024. ↩︎
Une absence de participation aux bénéfices !
C’est le reproche adressé par un souscripteur à la compagnie FWU Life Insurance Lux pour tenter de récupérer son argent ! L’assureur réplique qu’en application de l’article A.331-3 du code des assurances, il n’existe pas de participation bénéficiaire pour les contrats à capital variable au Luxembourg (en unités de compte), de sorte que le grief soulevé est sans portée. Elle estime ne pas être soumise – en sa qualité d’entreprise d’assurance de droit luxembourgeois – aux articles A. 331-1 et A. 331-5 du code des assurances.
Réponse du tribunal français : « S’il est exact que FWU Life Insurance Lux, en sa qualité d’entreprise luxembourgeoise, n’est pas soumise aux dispositions légales relatives à la participation aux bénéfices, il lui appartient néanmoins de délivrer une information conforme aux dispositions de l’article L. 132-5-1 du code des assurances et, le cas échéant, de préciser l’absence de participation aux bénéfices. Tel n’a pas été le cas » ! (Tribunal judiciaire de Versailles, 13 août 2024, RG n° 19/00399).
Pour se tenir informé de la suite : https://www.caa.lu/fr/consommateurs/insolvabilite-de-fwu-life-insurance-lux-sa