En pratique, il est fréquent qu’un acte soit conclu au nom d’une société, par l’un de ses fondateurs, avant son immatriculation, et ce que les statuts aient été signés ou non. Il peut en aller ainsi d’une promesse de vente d’un immeuble, de la conclusion d’un bail ou même d’un prêt bancaire.
Or les sociétés ne jouissent de la personnalité morale qu’à compter de leur immatriculation (C. civ., art. 1842), laquelle n’est pas concomitante à la signature des statuts. Jusqu’à cette date, la société n’est donc qu’en formation1. Cette dernière est donc à distinguer de la société en participation pour laquelle les associés font le choix de ne pas l’immatriculer (C. civ., art. 1871).
Pour cette raison, différents textes prévoient les modalités de reprises des engagements conclus.
D’une part, l’article 1843 du Code civil dispose que :
« Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci ».
D’autre part, l’article 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 prévoit que2 :
« L’état des actes accomplis pour le compte de la société en formation avec l’indication, pour chacun d’eux, de l’engagement qui en résulterait pour la société est présenté aux associés avant la signature des statuts.
Cet état est annexé aux statuts, dont la signature emportera reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci aura été immatriculée.
En outre, les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l’un ou plusieurs d’entre eux, ou au gérant non associé qui a été désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société. Sous réserve qu’ils soient déterminés et que les modalités en soient précisées par le mandat, l’immatriculation de la société emportera reprise de ces engagements par ladite société.
La reprise des engagements souscrits pour le compte de la société en formation ne peut résulter, après l’immatriculation de la société, que d’une décision prise, sauf clause contraire des statuts, à la majorité des associés ».
Même si ces textes sont clairs, la jurisprudence applicable en la matière est pour le moins foisonnante. Pour cette raison, il nous a paru opportun de rappeler les conditions de reprises des actes accomplis au nom d’une société en formation (I), puis les modalités des actes (II), ainsi que les conséquences fiscales applicable (III).
I – Les conditions de reprise des actes accomplis pour le compte d’une société civile en formation
Un acte accompli par une société en formation ou par un de ses fondateurs la représentant est n’est pas valable, dans la mesure où, à cette date, la société ne dispose pas de la personnalité morale3. Pour la Cour de cassation, l’acte en question, même authentique, est nul dès lors qu’il a été conclu au nom de « la société elle-même »4. Cette nullité est absolue, de sorte que l’acte est insusceptible de confirmation (C. civ., art. 1180, al. 2).
Par exemple, une SARL en formation représentée par ses fondateurs ne peut valablement conclure une promesse bail commercial et une promesse de vente d’un immeuble5. Cette solution rendue au sujet d’une société commerciale est transposable aux sociétés civiles.
Dès lors, pour être valable, l’acte en question doit avoir été conclu « pour le compte » de la société en formation6. Certes, l’article 1843 du Code civil vise l’acte conclu « au nom » de cette société. Toutefois, il est préférable, sur le plan juridique, de viser la mention « pour le compte » de la société, laquelle sera suivie de la dénomination, du siège social, du montant du capital, et du lieu du Registre du commerce et des sociétés compétents7. Par conséquent, l’acte conclu au nom des fondateurs de la société prévoyant une faculté de substitution est nul8.
II – Les modalités de reprise des actes accomplis pour le compte d’une société civile en formation
Lorsque l’acte est conclu pour le compte de la société en formation, il sera par la suite repris par celle-ci dans les conditions prévues par l’article 6 du décret du 3 juillet 1978 précité, c’est-à-dire9:
- Soit par un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation et annexé dans les statuts ;
- Soit par un mandat donné par les associés dans les statuts ou par acte extra-statutaire ;
- Soit par une reprise par une décision collective postérieure à l’immatriculation.
Le reprise des engagements conclus pour le compte de la société en formation prend généralement la forme d’un état des actes annexé aux statuts. De cette manière, la signature des statuts par tous les associés vaut également reprise des engagements. Ce procédé est celui utilisé par la pratique lorsque les statuts n’ont pas encore été signés. En revanche, une clause des statuts prévoyant une reprise automatique des actes accomplis pour le compte de la société est inefficace10.
Selon l’article 6, alinéa 3, du décret précité, la reprise des engagements peut résulter d’un mandat donné par les associés. Les conditions d’application de ce texte sont strictes 11:
- Le mandat doit être confié à un associé ou à un gérant non associé, de sorte qu’il ne pourrait être donné, selon la Cour de cassation, à un gérant associé12, ce qui paraît pour le moins contestable ;
- Les associés doivent consentir unanimement au mandat, dans les statuts ou par acte séparés, raison pour laquelle ce procédé est utilisé lorsque les statuts ont déjà été signés13 ;
- Le mandat doit être précis et donc définir la nature de l’opération en cause et ses modalités (ex. pour un prêt : montant emprunté, taux maximum, durée, nature de la garantie, etc.).
Enfin, à défaut d’état des actes annexés aux statuts ou de mandat donné par les associés, il est toujours permis aux associés de reprendre les engagements par décision collective (D. n° 78-707, 3 juill. 1978, art. 6, al. 4)14. Cette décision collective doit être prise à la majorité des associés. En revanche, même si la solution est contestable, le reprise des engagements par la société ne peut être tacite15. Par exemple, elle ne peut résulter de l’approbation des comptes du premier exercice social16.
La reprise des actes par la société a pour effet de libérer l’associé s’étant engagé pour son compte17, la société étant réputée être une partie à l’acte dès l’origine (C. civ., art. 1843).
Lorsqu’aucune des modalités précédentes n’est respectée, les engagements conclus pour le compte de la société en formation ne sont pas repris par elle. Dès lors, l’associé contractant est tenu personnellement de l’engagement sans solidarité en présence d’une société civile (C. civ., art. 1843). Dans le cas où un mandat avait donné par les associés, ces derniers sont tenus de l’engagement en l’absence de reprise des engagements.
Par conséquent, dans le cas où un associé, marié sous le régime légal, contracte un prêt pour le compte d’une société en formation, alors que cet engagement n’est pas repris, il est tenu à titre personnel du prêt, mais il n’engage que ses biens propres et revenus par application de l’article 1415 du Code civil18. En effet, les biens communs ne peuvent pas constituer le gage du créancier prêteur puisque le conjoint de l’associé n’y a pas donné son consentement exprès.
III – Les conséquences fiscales de la reprise
Selon l’administration fiscale, les engagements translatifs de propriété conclus pour le compte de la société en formation sont parfaits dès leur conclusion, peu importe qu’ils soient repris ou non par la société par la suite19.
Lorsque la société reprend les actes conclus pour son compte, cette reprise des engagements emportant la substitution rétroactive de la personne morale à l’associé contractant ne donne ouverture à aucun droit d’enregistrement si la ratification est pure et simple. En revanche, si la convention est affectée d’une condition suspensive, les droits ou taxes éventuellement exigibles ne sont perçus que lors de la réalisation de la condition (CGI, art. 676). Il en va ainsi en présence d’une promesse unilatérale de vente simplement acceptée en tant que telle par la personne agissant pour le compte de la société en formation dès lors que la levée de l’option est faite par la personne morale postérieurement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés20.
Lorsque la société ne reprend pas les actes conclus pour son compte, l’associé contractant est considéré comme le teneur définitif du droit ou bien concerné, à moins que la réalisation de la convention n’ait été expressément subordonnée à la ratification ultérieure de la société21.
En revanche, l’administration fiscale considère qu’une société en formation est une société dont les statuts ont été signés, mais qui n’a pas encore été immatriculée22. En conséquence, lorsqu’un acte est conclu par un fondateur pour le compte d’une société, alors que les statuts ne sont pas encore signés, la reprise ultérieure de l’acte est de nature à emporter une double mutation23.
- [1] M. Storck, St. Fagot et Th. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières, 2ème éd., Lextenso 2019, n° 172. ↩︎
- [2] L’article L. 210-6, alinéa 2, du Code de commerce reprend le même principe pour les sociétés commerciales. ↩︎
- [3] V. A.-S. Lucas-Puget, « La reprise des actes de la société en formation », Defrénois 2012, n° 20, p. 1009. ↩︎
- [4] Cass. 3ème civ., 5 oct. 2011, les arrêts suivants : n° 10-12.073 ; 10-15.079 ; n° 10-12.072 ; 10-15.076 ; 10-12.071 ; 10-15.078 ; 10-12.070 ; 10-15.071 ; 10-12.069 ; 10-15.073 ; 10-12.067 ; 10-15.072 ; 10-12.064 ; 10-15.074 ; 09-70.571 ; 09-72.855 ↩︎
- [5] Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-22.428, Dr. sociétés 2025, n° 2, comm. 23, obs. R. Mortier. ↩︎
- [6] Il s’agit de l’expression consacrée par la jurisprudence (v. par ex., Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-10.006, JCP E 2021, n° 26, 1329, note. R. Mortier). ↩︎
- [7] V. Mémento pratique Sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre 2023, n° 2572. ↩︎
- [8] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-16.069. ↩︎
- [9] M. Storck, St. Fagot et Th. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, n° 185. ↩︎
- [10] Cass. 3ème civ., 23 mai 2019, n° 17-31.463, Dr. sociétés 2019, n° 8-9, comm. 146, obs. H. Hovasse. ↩︎
- [11] M. Storck, St. Fagot et Th. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, n° 188 et s. ↩︎
- [12] Cass. 3ème civ., 13 mars 1996, n° 93-18.900, Defrénois 1996, n° 10, p. 666, note H. Hovasse. ↩︎
- [13] Mémento pratique Sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre 2023, n° 2587. ↩︎
- [14] M. Storck, St. Fagot et Th. de Ravel d’Esclapon, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, n° 193 et s. ↩︎
- [15] Cass. com., 20 févr. 2019, n° 17-14.242 ; v. égal. Cass. 3ème civ., 30 mars 2023, n° 21-25.920, JCP N 2023, n° 29, 1144, spéc. n° 3, obs. M. Storck. ↩︎
- [16] Cass. 1ère civ., 26 avr. 2000, n° 98-10.917. ↩︎
- [17] Mémento pratique Sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre 2023, n° 2595. ↩︎
- [18] Cass. 1ère civ., 9 juill. 2014, n° 13-20.356, Defrénois 2015, n° 12, p. 682, note G. Champenois. ↩︎
- [19] BOI-ENR-AVS-10-40, 12 sept. 2012, § 70. ↩︎
- [20] BOI-ENR-AVS-10-40, 12 sept. 2012, § 90. ↩︎
- [21] BOI-ENR-AVS-10-40, 12 sept. 2012, § 100. ↩︎
- [22] BOI-ENR-AVS-10-40, 12 sept. 2012, § 120. ↩︎
- [23] Mémento pratique Sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre 2023, n° 2421. ↩︎