Photo de Towfiqu barbhuiya sur Unsplash
Les dernières décisions rendues par le Comité d’abus de droit fiscal ont récemment été publiées (CADF/AC n° 3/2023, séance n°3, 24 nov. 2023).
La décision objet de notre commentaire traite de la question de l’éventuelle existence d’un abus de droit en présence d’une réduction de capital non motivée par des pertes afin d’appréhender les réserves d’une société unipersonnelle.
En l’espèce, un contribuable avait créé une EURL pour exploiter son fonds de commerce. Les capitaux propres s’élevaient fin août 2017 à 694 526 euros constitués pour la majeure partie par les réserves et un report à nouveau. L’associé unique décida en octobre 2017 de procéder à une réduction de capital non motivée par des pertes sous la condition suspensive d’absence d’opposition formée par les créanciers. La condition suspensive levée, le contribuable procédait en novembre 2017 à la réduction définitive du capital à hauteur de 50%, passant de 7 622 euros à 3 811 euros. L’acte prévoyait en outre le versement d’une somme de 335 000 euros représentative du rachat, somme inscrite sur le compte courant d’associé du contribuable. Dans le même temps, l’associé unique augmentait le capital social de la société pour le porter à 4000 euros, augmentation financée par prélèvement sur les réserves.
Au titre de l’imposition des revenus 2017, le gérant avait ainsi placé une partie des sommes représentative de la plus-value réalisée, sous le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières prévu à l’article 150-0 A du CGI avec le bénéfice de l’abattement renforcé de 85%.
C’est ainsi, que l’Administration mit en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal en invoquant « une application littérale des dispositions du 6° de l’article 112 du même code dans le but exclusivement fiscal d’éluder l’impôt frappant les distributions de dividendes ». En somme, elle entendait écarter la qualification de plus-values aux sommes perçues et l’imposition qui en découlait, en vue de soumettre les capitaux à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (dividendes), avec application de l’abattement de 40%.
Il appartenait donc au Comité de l’abus de droit saisi, de donner son avis sur la question. Le Comité a ici écarté l’existence d’un abus de droit au moyen d’une casuistique intéressante.
Il a d’abord rappelé que l’opération consistant en la réduction de capital non motivé par des pertes était autorisée au visa de l’article L225-207 du Code de commerce. Il a en outre précisé que le régime des plus-values s’appliquait depuis 2015 aux sommes attribuées aux actionnaires ou aux associés au titre du rachat de leurs titres dont la réduction de capital non motivée par des pertes fait partie.
« La voie la moins onéreuse fiscalement insuffisante pour caractériser seule un abus de droit »
Le Comité rappelle en outre, un principe déjà établi selon lequel « l’appréhension par cet associé des sommes qui lui sont versées à raison de ce rachat ne caractérise pas un abus de droit au seul motif qu’il aurait ainsi choisi la voie la moins imposée pour bénéficier de la mise à disposition de sommes issues des réserves de la société ». La voie la moins onéreuse fiscalement n’étant à elle seule pas suffisante pour caractériser un abus de droit, l’Administration aurait dû apporter la preuve d’éléments additionnels traduisant l’existence d’un montage artificiel et permettant de justifier de la recherche du bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.
Le Comité reçoit également positivement l’argument avancé par le contribuable et non-contredit selon lequel cette réduction de capital s’inscrit dans le cadre de la préparation de la transmission à terme de son entreprise.
Enfin, le Comité « considère que l’administration, qui ne conteste pas que les liquidités détenues par l’entreprise étaient excessives au regard de ses besoins, ne lui soumet pas d’éléments circonstanciés permettant d’estimer qu’une telle opération ponctuelle de réduction de capital, qui ne contrevient à aucune disposition sociale ou commerciale, constitue un montage artificiel ayant eu pour seul but de permettre à M.Y de bénéficier, pour les gains qu’il a réalisés, du régime des plus-values prévu par le 6° de l’article 112 du code général des impôts, ainsi que de l’abattement pour durée de détention et d’éviter l’imposition, selon les règles applicables aux revenus de capitaux mobiliers, de distributions effectuées par la société ».
Pour toutes ces raisons, le Comité estime infondée la mise en œuvre de la procédure d’abus de droit par l’Administration.
L’avis précise cependant que l’Administration a refusé de se ranger à cet avis estimant que l’opération ne répond à aucun autre motif que celui d’appréhender les réserves sous un régime fiscal plus favorable et qu’une distribution de dividendes aurait entrainé une réduction de valeur de la société identique.
Avis de l’AUREP
En clair, le Comité relève une insuffisance d’argumentation de l’Administration pour qualifier l’existence d’un abus de droit.
Il est intéressant de noter ici que le Comité s’appuie sur une solution antérieurement retenue, à savoir l’existence d’un montage artificiel pour satisfaire la première condition de validité de l’abus de droit pour fraude à la loi.
Enfin, il est intéressant de préciser que l’Administration n’est pas tenue de se ranger à l’avis du Comité mais qu’en cas de réclamation, la charge de la preuve lui incombe.
Affaire à suivre donc !