Notre sujet a fait l’objet dernièrement de deux newsletters de l’AUREP1 et la Cour de cassation, à l’occasion d’une décision inédite (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 21-12.732), vient de se prononcer en la matière. Aussi ne lâchons pas notre fil d’ariane et poussons plus avant notre exploration d’un domaine labyrinthique où règles fiscales s’entrechoquent d’autant plus volontiers que les renvois s’enchaînent.
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Pour un débat fleuve, rien de tel qu’endosser le ciré du navigateur, sachant le gros temps à proximité. Simplement, plus qu’au fil de l’eau, nous irons sur le fil incertain de la fiscalité.
Il s’agira notamment d’identifier la place du quasi-usufruit, car suivant qu’il apparaîtra en amont ou en aval du contrat d’assurance, l’histoire s’en trouvera changée. Tantôt nouée, tantôt dénouée sur un air de démembrement de propriété, l’assurance vie suivra une voie pour mieux en tracer une autre.
Chemins de rencontre
En naviguant au gré des méandres de la fiscalité, nous croiserons les droits de succession, qui s’immisceront dans le zig comme dans le zag, avec un tarif partagé en dépit du droit civil et des compartiments distincts par application du droit des assurances. Plat indigeste au menu, donc. Et plat du jour dernier aussi, parfois, pour l’assurance vie.
Pourtant, droits de succession et assurance vie ne se fréquentaient pas les premiers temps de cette dernière. Pour le plus grand bonheur de ceux, encore rares, qui savaient tirer profit de la chose.
Ce contexte, par trop favorable, ne pouvait qu’évoluer avec la démocratisation d’un système d’abord confidentiel. Et ça n’a pas manqué !
Ainsi naquit l’article 757 B du CGI…
Début des années 1990. L’assurance vie prenait de plus en plus de place… et attirait de plus en plus les regards. Face au développement de l’outil, le législateur souhaita limiter le périmètre exorbitant de ses faveurs et intervint une première fois (Loi de finances rectificative pour 1991, 30 déc. 1991, n° 91-1323, art. 26).
A propos de l’exonération qui profitait aux bénéficiaires, il fut alors affirmé que « ces règles offrent une possibilité d’évasion fiscale, en permettant notamment à des personnes âgées de souscrire, moyennant une prime proche du capital, un contrat d’assurance-décès au profit d’un tiers ; les sommes ainsi versées lors du décès de l’assuré, ne faisant pas partie de la succession, ne sont normalement pas soumises aux droits de mutation ».
C’est donc « pour limiter de telles pratiques, [que] l’article 757 B du CGI prévoit l’imposition aux droits de mutation par décès ».
Certes, produits du contrat et, via un abattement global, prime de 200 000 F (devenus 30 500 €) échappent encore à la vindicte. Mais pour le reste, la fiscalité successorale a repris ses droits.
Jeunisme avant l’heure ?
Il fallait un seuil : il fut fixé à 70 ans. Début officiel de la vieillesse pour les versements en assurance vie. La barre n’est pas bien haute ! Et le message peu aimable, avec une forme avant-coureuse d’écriture inclusive : vieux (?!) donc puni (?!).
L’hiver fut précoce, en 1991, et le couperet tomba sur les contrats souscrits à partir du 20 novembre. Seuls les anciens contrats allaient donc continuer à faire fi de l’âge de l’assuré au moment du versement.
Passée ses jeunes années, l’assurance vie fut donc bel et bien rattrapée par la fiscalité successorale, à la marge haute d’abord. Il faudrait ensuite attendre 1998 pour voir surgir une nouvelle taxation, pour les assurés plus jeunes cette fois-ci, avec la taxe sui generis de l’article 990 I du CGI.
Ça s’en va…
Lors d’une succession, l’épouse a hérité de l’usufruit d’obligations d’Etat, et la fille de leur nue-propriété. Les titres sont d’abord déposés sur un compte-titres « ouvert (…) avec mention de leur démembrement ». Le démembrement est donc clairement identifié.
Dans un premier temps, du moins, puisqu’à l’arrivée du terme, le produit de la liquidation des obligations est placé, à concurrence de 350 000 €, sur « un contrat d’assurance-vie non démembré (…) souscrit (…) par [l’épouse] seule, alors âgée de plus de 70 ans ». Sans plus d’attention.
Au décès de l’épouse, qui laisse pour lui succéder sa fille, l’administration fiscale notifie une proposition de rectification portant sur les droits de mutation par décès.
… et ça revient !
La Cour d’appel de Douai annule l’avis de mise en recouvrement sous prétexte que « la somme de 350 000 euros versée sur le contrat d’assurance-vie (…) ne peut être imposée au titre de l’article 757 B du code général des impôts » dès lors qu’« en imposant la prime de 350 000 euros versée sur ce contrat après l’avoir imposée au titre de la succession de [la mère], l’administration fiscale a pratiqué une double imposition ».
Devant un tel embrouillamini, la Cour de cassation décide de statuer au fond… pour revenir à la première décision, en l’occurrence celle rendue par le tribunal de grande instance de Lille.
Une Cour de cassation au four et au moulin !
Après avoir écarté une éventuelle intention qu’aurait eue l’usufruitière de souscrire un « contrat d’assurance vie lui aussi démembré », elle reprend à son compte le constat selon lequel la mère « jouissait d’un quasi-usufruit » sur la somme reçue en remboursement des obligations d’Etat.
Une fois la situation posée, il ne reste qu’à en tirer les conséquences, en distinguant les voies empruntées pour mieux exposer les effets fiscaux de chacune. Elle parvient ainsi aisément à démonter qu’« il n’en découle pas pour autant une double imposition ».
Il existe bien une taxation côté face : « en application de l’article 757 B du code général des impôts, [la fille] est imposable aux droits de mutation par décès sur la somme de 319 500 euros en sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance-vie souscrit par [sa mère], dès lors que ladite somme de 350 000 euros a été versée sur ce contrat sous forme de primes par [l’assurée] après ses 70 ans ».
350 000 – 30 500 = 319 500 €. Le compte est bon. Direction les droits de succession.
Côté pile, la Cour de cassation rappelle que la fille « détient, en sa qualité de nue-propriétaire des fonds reçus en remboursement des obligations d’Etat arrivées à échéance, une créance de restitution de 350 000 euros sur la succession de [sa mère], laquelle vient en déduction de l’actif successoral » (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 21-12.732).
Si au cas particulier, la taxation est neutralisée et les vertus fiscales du démembrement conservées. Attention néanmoins à ne pas conclure trop rapidement.
Une affaire dans l’affaire !
Il peut arriver en effet que nos deux vases communiquent mal et que passent sous les fourches caudines de droits de succession une somme… anormalement élevée, en équité sinon en droit.
L’article 757 B du CGI pose un mécanisme dont la parenté avec le principe de l’écluse est notable. Il s’agit de changer de niveau, aussi harmonieusement que possible.
La chose est technique, et quelques secousses ne sont pas à exclure. Surtout quand les marins d’eau douce sont à la barre.
Orienté vers un tarif, pas vers un actif !
Déboucher sur un barème identique ne signifie pas qu’en amont les débits peuvent se compenser : ainsi, un passif successoral ne pourra en aucun cas absorber des sommes soumises à l’article 757 B du CGI.
Rappelons à ce propos que les capitaux décès « ne font pas partie de la succession de l’assuré » (C. ass., art. L 132-12).
Cette dichotomie est profonde, à défaut d’être parfaitement évidente, puisqu’il arrive même que le tarif soit différent de part et d’autre, dès lors notamment que « le mécanisme de la représentation ne s’applique pas en matière d’assurance-vie, il y a lieu de procéder à une « double liquidation » » (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20, n° 250 et s.).
On ne peut que constater qu’il n’est guère possible de remonter le courant… à moins que n’aient été aménagées au préalable quelque passe susceptible de contourner le barrage de principe posé par le droit des assurances. A moins bien sûr de ne pas user de la voie bénéficiaire.
Bascule totale
Ainsi, « lorsque l’assurance en cas de décès a été conclue sans désignation d’un bénéficiaire, le capital ou la rente garantis font partie du patrimoine ou de la succession du contractant » (C. ass., art. L 132-11).
Confirmation du côté de l’administration, « l’indemnité stipulée au contrat fait partie de la succession du défunt et elle est soumise aux droits de mutation à titre gratuit dans les conditions de droit commun » (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20, n° 30).
Cette proposition, monolithique, n’est fort heureusement pas la seule. La succession pourrait être fréquentée par d’autres créanciers que le titulaire d’une créance de restitution, perspective évidemment inquiétante.
Une autre solution existe alors. Bien qu’imparfaite, elle permettra de limiter les dégâts d’investissements peu inspirés.
Du gratuit à l’onéreux
S’appuyant sur la pratique courante de la désignation d’un bénéficiaire à titre onéreux en matière de prévoyance décès (au profit d’une banque créancière le plus souvent), le Doyen Jean Aulagnier explique qu’il est « parfaitement admis qu’il soit possible de réaliser une même opération avec des contrats de prévoyance vie », évidemment à concurrence des sommes restant dues.
Au cas particulier, il s’agira tout simplement du montant de la créance de restitution. Les sommes ainsi réglées échapperont à la taxation au titre de l’article 757 B du CGI mais éteindront concurremment la dette successorale.
Les surplus éventuels retrouveront une taxation classique : fiscalité bénéficiaire pour ce qui ne servirait pas au remboursement de la créance de restitution côté assurance vie, et passif successoral déductible pour la créance de restitution résiduelle. Dans tous les cas, l’essentiel sera sauf.
Nonobstant, la voie de la sagesse serait de mieux planifier les choses en amont afin d’éviter de devoir recourir finalement à des expédients pour sauver alors ce qui peut l’être encore.
Tout est question d’équilibre…
Il s’agit donc d’avancer précautionneusement. Bien jauger le fond pour ne pas échouer l’embarcation. Cet œil averti, certains ne l’ont pas. Si de surcroît ils avancent main lourde et pied au plancher, il est fort possible qu’il y ait de la casse.
Avoir les yeux de Chimène pour l’assurance vie comme pour le démembrement ne dispense pas de les utiliser avec mesure. Comme dans beaucoup d’autres domaines, l’excès nuit. Et l’on ne peut en conclusion qu’en appeler à la vigilance – et la mesure donc – des conseillers.
- [1] Remploi de capitaux soumis au quasi-usufruit dans un contrat d’assurance vie et paiement de la dette de restitution, Jean AULAGNIER, Newsletter AUREP n° 450, 18 nov. 2022 & Quasi-usufruit et assurance vie : la possibilité du tout gratuit, Pascal PINEAU, Newsletter AUREP n° 462, 3 mars 2023. ↩︎