LA CONVERSION DE L’USUFRUIT EN RENTE UN DISPOSITIF DÉLAISSÉ !

Eclairage du 27 octobre 2023 - N°485

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Le législateur imagine des dispositifs dans le souci de répondre aux préoccupations patrimoniales des citoyens. C’est le cas par exemple des dispositions contenues dans l’article 759 du Code civil qui organise la conversion de l’usufruit en rente viagère introduite dans le code civil le 3 décembre 2001[1] contenant un ensemble de disposition destiné à améliorer la qualité de vie du conjoint survivant.

Ce dispositif devait permettre à un usufruitier « vieillissant » de ne plus subir les affres de la gestion des biens usufruités sans pour autant perdre les ressources générées par ce bien. Oublier la peur de gérer, sans aggraver la peur de manquer.

Selon l’article 759 du Code civil : « Tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rente viagère, à la demande de l’un des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint successible lui-même ».

Le mécanisme repose donc sur la faculté bilatérale[2], d’une part pour le conjoint survivant, d’autre part, pour l’un des héritiers nus-propriétaires de demander son application. La conversion pourra en cas d’entente entre toutes les parties résulter d’un accord amiable ou, faire l’objet d’un recours judicaire en cas de désaccord. Dans ce dernier cas, le juge appréciera souverainement l’intérêt de la conversion pour les parties et en déterminera les conditions le cas échéant.

Ce droit, de nature successorale réciproque, ne peut faire l’objet d’une renonciation anticipée par l’une des parties (C. civ., art. 759-1) selon le principe même de prohibition des pactes sur succession future. De même, le de cujus ne pourra en priver ses héritiers. On y voit ici, une protection des enfants qui verraient d’un mauvais œil leur réserve grevé d’un usufruit. Par syllogisme, on peut supposer que le conjoint survivant pourrait être dessaisi de l’option. Le fait qu’il puisse être exhérédé par ailleurs, renforce ce point de vue.

Le législateur a entendu prévoir une limitation du périmètre de la conversion dans l’objectif de protéger le conjoint survivant. Le juge saisi en cas de désaccord des parties, ne pourra sans le consentement du conjoint survivant, faire porter la conversion sur le logement constituant sa résidence principale (C. civ., art. 760). Dans le cas contraire, cela reviendrait en effet à négliger les droits au logement inhérents au statut de conjoint.  

Bien que ce dispositif se veuille flexible car supplétif de la volonté des parties en cas d’entente familiale, il apparait relativement peu utilisé en pratique.

Force est de reconnaitre que si ce dispositif est « enseigné » il est peu « appliqué ». Est-il à classer au rang des dispositions inadaptées qu’il convient d’oublier purement et simplement ?

Cette étude, à partir d’un cas pratique, imagine les conditions de mise en œuvre pour vérifier son intérêt pour les parties en cause, conjoint et enfants.

Situation de LA FAMILLE Germe

Madame Germe, aujourd’hui âgée de 83 ans (EV 9 ans), a hérité de l’usufruit de tous les biens de son défunt mari, (décédé en 2008 à l’âge de 65 ans), en application des dispositions contenues dans leur donation entre époux (C. civ., art. 1094-1).

Cette libéralité universelle en usufruit était la bienvenue dans la mesure ou, s’étant consacrée à l’éducation de ses trois enfants elle n’a jamais cotisé à un quelconque régime de retraite. Depuis le décès de son époux, elle vit d’une part avec la pension de réversion de son mari (3.000,00 euros) d’autre part avec les revenus fonciers des immeubles ayant constitué le patrimoine de son défunt mari dont elle a l’usufruit.

Sa situation familiale : ses rapports avec ses enfants sont excellents. Ils sont attentifs à la situation de leur mère et à son écoute.

Le patrimoine, de son défunt mari, essentiellement immobilier, était composé de la manière suivante (évaluation au 31 décembre 2022) :

Patrimoine immobilier :

  • Résidence principale, estimation 600.000 euros
  • Résidences locatives (3 appartements), valeur globale de 1.000.000 euros
  • Appartements loués pour un montant global net de charges de 3.000 euros mensuels.

Patrimoine monétaire :

Le patrimoine monétaire de son mari était composé de livrets d’épargne pour un montant de 200.000 euros, sur lesquels elle a exercé (en total accord avec ses enfants) un quasi-usufruit, constituant pour elle aujourd’hui « son épargne de précaution ».

Son patrimoine personnel est composé exclusivement de 300 parts de la SCPI Immorente, valeur unitaire 340 euros, soit 102.000 euros

Elle est éligible à l’IFI dans la mesure ou la partie immobilière (dont elle ne détient pourtant que l’usufruit) de ses biens s’élèvent à :

  • Usufruit de la Résidence principale, valeur en PP      420.000 euros
  • Usufruit de la Résidence locative, valeur en PP          1.000.000 euros
  • Propriété de ses SCPI                                                         102.000 euros
  • Soit                                                                                          1.502.000 euros

Elle paye un impôt à l’IFI au taux de 0,50% pour la fraction de son patrimoine imposable supérieur à 800.000 euros, soit 3.510 euros.

Son impôt, au titre de l’IR, s’élève à 12.000 euros environ, plus les prélèvements sociaux pour 5.000 euros., soit un prélèvement IR global + IFI de l’ordre de 19.000 euros.

Le CGP de sa banque a pu constater que la gestion de la résidence locative lui « pesait » lourdement. Il lui a proposé de simuler une stratégie patrimoniale reposant sur la possible conversion d’usufruit en rente.

Utiliser cette possible conversion d’usufruit en rente serait-elle globalement satisfaisante tant pour elle-même que pour ses enfants ?

A – Avantages de la stratégie pour Madame

Convertir l’usufruit des résidences locatives en rente viagère aurait pour elle plusieurs conséquences favorables :

  • D’abord et surtout ne plus avoir à gérer ces appartements dont ses trois enfants se partageraient alors la pleine propriété[3] et qui en assureraient « les contraintes d’administration et de gestion »[4].

Des soucis en moins… de la qualité de vie en plus.

  • Ne plus prendre en compte la valeur de ces appartements dans sa déclaration IFI lui permettrait ainsi d’échapper à cette taxation du capital immobilier, soit une économie de 3.500 euros.

Des impôts en moins… des moyens de vie en plus.

  • Conserver des ressources en substituant des revenus monétaires (rente) au flux net de revenus immobiliers, rente bénéficiant d’un régime fiscal nettement plus favorable imposable pour 30% de son montant compte tenu de son âge plus de 79 ans au jour du premier versement de la rente.

En discutant avec ses enfants et sur proposition du conseiller patrimonial il pourrait être convenu d’une rente de 30.000 euros, soit 10.000 euros annuels à la charge de chacun des enfants. Le montant de la rente négociable entre les parties doit être équivalente au revenu foncier généré par l’immeuble. L’équivalence de la rente doit pouvoir s’apprécier aux choix des parties entre le revenu avant ou après impôt.

Pour tenir compte des effets de l’érosion monétaire, la rente pourra être indexée sur un ou plusieurs indices que les parties auront tout loisir de choisir. En effet, assimilée à une dette d’aliments, la rente ne sera pas soumise dans le choix de son indexation, au cantonnement d’un indice en relation directe avec son objet, restriction prévue par le Code monétaire et financier[5] ici inapplicable.

La qualité des relations familiales est une garantie suffisante pour Madame Germe, si ses enfants signent l’acte de conversion elle a une totale confiance en chacun d’eux. Elle a plus confiance en ses enfants qu’elle n’a confiance dans des locataires qui parfois lui ont procurés quelques soucis

On peut résumer ainsi les conséquences patrimoniales pour Madame d’abord ses enfants ensuite.

  • Nous préciserons qu’il serait tout à fait légitime pour l’ancien usufruitier de se questionner sur la capacité des héritiers à assumer dans le temps le paiement la rente. S’ils jouissent d’une situation stable à l’instant présent, rien ne justifie de leur solvabilité dans plusieurs années. Pour ces raisons, il est opportun de s’assurer que le conjoint dispose de garanties suffisantes, d’autant plus que la lettre de l’article 1978 du Code civil interdit au crédirentier la demande en restitution du capital en cas de non-paiement des arrérages. Ce texte n’étant pas d’ordre public, les parties pourront pallier ce risque par l’insertion d’une clause résolutoire.
  • L’article 762 du Code civil assimile la conversion en rente viagère à une opération de partage n’emportant pas d’effet rétroactif, sauf convention contraire[6]. En conséquence, la conversion en rente viagère est susceptible de faire l’objet d’une action en complément de part[7]. Son paiement est garanti par l’hypothèque légale du copartageant (C. civ., art. 2402, 4°). Cette conversion en rente met donc fin au démembrement de propriété.
  • En présence d’un ou plusieurs immeubles, la conversion devra être publiée au service de la publicité foncière compétent (D. n° 55-22, 4 janv. 1955, n° 28, 4°).

Le tableau ci-après permet d’apprécier les effets pour Mme Germe de cette conversion. Elle disposera d’environ 15.000 euros en plus (Hyp.1) pour financer ses dépenses de fin de vie

Des impôts en moins … des moyens de vie en plus

Chacun de nos calculs présentés ci-après et inhérents à une imposition sur des revenus perçus en 2022, résulte de l’utilisation du simulateur de l’Administration fiscale. Par simplification, nous avons arrondis les résultats obtenus.

tab1

En stipulant une rente de 20.000 euros, le gain pour Madame germe est faible (+ 1.700 euros), certes mais elle se dégage des contraintes de gestion. Ce gain est évidemment plus conséquent pour une rente de 30.000 euros (+10.000 euros)

B –  INTÉRETS DE LA STRATÉGIE POUR LES ENFANTS ?

Ils deviennent plein propriétaire de l’immeuble locatif, avec pour contrepartie le versement d’une rente annuelle minimale de 6.600 euros chacun si l’on se place dans l’hypothèse n° 1, 10.000 euros hypothèse 2.

Deux possibilités alors s’offrent à eux :

  • Conserver l’immeuble, le gérer, partager les revenus fonciers, payer les charges, évidemment supporter l’impôt fonction de la somme reçue (avec la possibilité de bénéficier éventuellement du régime du micro foncier). On peut légitimement faire l’hypothèse de l’indexation de la rente sur un indice des loyers et qu’en conséquence rente et revenus évolueront de manière identique.
  • Vendre l’immeuble et se partager le prix soit 330.000 euros chacun.

Ils devront supporter le paiement de la rente d’une part et s’ils ont conservé l’immeuble l’impôt sur les revenus fonciers nets encaissés soit 10.000 euros chacun d’autre part. L’inconvénient majeur résidera ici dans la non-déductibilité fiscale de la rente versée.

Pour simuler les conséquences de l’opération de conversion, on retient les hypothèses suivantes :

Enfant A :

Age : 50 ans, Célibataire

Revenu brut imposable : 35.000 €

Revenu foncier : néant          

Enfant B :

Age de Mr 48 ans, âge de Mme 45 ans, contrat de PACS, un enfant à charge

Revenu brut imposable de la famille : 50.000 € (Mr 40.000 €, Mme 10.000 €)

Revenu foncier net : 10.000 €

Enfant C

Age 45 ans, âge Mme 45 ans, marié communauté légale : deux enfants à charge

Revenu brut imposable de la famille : 70.000 € (Mr 50.000 €, Mme 20.000 €)

Revenu foncier net : 12.000 €

Quel sera le supplément d’impôt résultant de l’encaissement pour chacun du 1/3 des loyers ?

tab2
tab3

Les trois enfants sont perdant en termes de revenus disponibles s’ils décident de conserver la résidence locative tout en servant la rente à leur mère. La perte de revenu disponible est relativement modeste lorsque la rente à partager est par équivalence avec le revenu net d’impôt de 6.600 euros pour chacun d’eux.

Ils peuvent éventuellement y consentir malgré tout par solidarité à l’égard de leur mère qui n’aura plus à « subir » des locataires plus ou moins agréables.

Reste l’autre solution, c’est-à-dire vendre l’immeuble, partager le prix. Si le prix de vente est calé sur la valeur estimée soit 1.000.000 euros, ils recevront 330.000 euros. Il conviendra toujours de convenir du montant de la rente.

L’acte constatant la conversion de l’usufruit du conjoint en rente viagère est taxable au droit fixe des actes innommés prévu par l’article 680 du Code général des impôts[8].

S’agissant de la liquidation des droits de succession, il convient de distinguer deux hypothèses :

  • Soit la conversion rétroagit à une date postérieure au décès, ou ne rétroagit pas, et n’a alors aucun impact sur la liquidation des droits. Cette solution résulte du fait qu’au jour du décès, le conjoint était usufruitier des biens ;
  • Soit la conversion rétroagit au jour du décès et les droits de mutation doivent être assis sur la valeur de la rente viagère ou du capital, précision étant ici faite que le conjoint survivant est exonéré de droits de succession (CGI, art. 796-0 bis). Cette valeur se déduit de l’actif en pleine propriété reçu par les héritiers. L’assiette de perception ainsi obtenue sert de base à l’établissement de la déclaration de succession lorsqu’elle est établie postérieurement à l’acte de conversion. En revanche, si la déclaration de succession est établie antérieurement à l’acte constatant la conversion, une « révision est effectuée au vu d’une déclaration complémentaire à déposer dans le délai de six mois à compter de la conversion ; la différence est, selon le cas, versée par les redevables ou restituée sur réclamation présentée dans le délai fixé par l’article R*. 196-1 du LPF (jusqu’au 31 déc. de la deuxième année), qui prend cours à compter de la date de la conversion »[9].
Comment conclure :

Il peut se trouver des situations patrimoniales qui justifient l’intérêt d’un dispositif qu’il ne faut pas rejeter systématiquement mais qu’il convient de simuler en tenant compte des préoccupations du conjoint d’une part, des enfants d’autre part.

[1] Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001

[2] M. Grimaldi, Droit des successions, 8ème éd., LexisNexis, 2020, n° 200 et s.

[3] Elle aurait pu éviter ses soucis de gestion en renonçant (ou en donnant) l’usufruit à ses enfants, mais elle aurait d’une part perdu les revenus fonciers et d’autre part probablement supporté (pour le compte de ses enfants) les droits de donation sur la valeur de l’usufruit donné, ou consommé à hauteur de 200.000 la base d’exonération de ces droits.

[4] Elle s’est renseignée sur le montant des honoraires d’un administrateur de biens à qui elle aurait pu confier la gestion, de l’ordre de 7 à 8% du montant des loyers bruts… coûteux !

[5]Art. L. 112-2, al. 3 et 4, Code monét. fi.

[6] D. Montoux et V. Zalewski-Sicard, JCl. Notarial Formulaire, v° Conversion d’usufruit, Fasc. 10, 2013, n° 34.

[7] Cass. 1ère civ., 24 mars 1964, n° 61-13.523.

[8] BOI-ENR-DMTG-10-50-10, 11 avr. 2016, § 140.

[9] BOI-ENR-DMTG-10-50-10, 11 avr. 2016, § 130.

Droit civil Droit fiscal
Jean AULAGNIER

Jean AULAGNIER

Président de la Commission Pédagogique et Scientifique de l'AUREP

Coresponsable pédagogique du certificat CCP

Responsable pédagogique du certificat GPS

Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche

Jean AULAGNIER

Jean AULAGNIER

Président de la Commission Pédagogique et Scientifique de l'AUREP

Coresponsable pédagogique du certificat CCP

Responsable pédagogique du certificat GPS