L’arrêt rendu par la Cour de cassation concernant la durée de l’animation qui contredit la doctrine administrative peut déstabiliser le praticien. Un décryptage de cette décision s’impose pour en déterminer le fondement, cerner sa portée et in fine en inférer les enseignements que le professionnel peut en tirer en termes de préconisations.
Question n°1 : Est-ce la première fois que, s’agissant des holdings animatrices, la Cour de cassation s’intéresse à la chronologie de la transmission et à son impact sur le bénéfice de l’exonération partielle ?
Réponse : Non.
La Haute juridiction a déjà abordé cette question en présence d’une holding venant d’être constituée ou rendue animatrice de son groupe. Elle dut déterminer si une telle temporalité permettrait de revendiquer la qualification de holding animatrice et de bénéficier de l’exonération « Dutreil » lors de la transmission réalisée immédiatement après la constitution de la holding (V. Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19.770, F-P+B, Bernard, JurisData n° 2011-012356 ; Dr. fisc. 2012, n° 5, comm. F. Fruleux, Holding animatrice nouvellement constituée et éligibilité à l’exonération « Dutreil », JCPE n°28, 9 juillet 2020, 1283).
Dans l’arrêt du 25 mai 2022 c’est en quelque sorte la question inverse que doit trancher la Cour de cassation : celle de l’influence exercée par la cessation du rôle d’animation avant la fin des engagements fiscaux sur le bénéfice du régime de faveur.
Question n°2 : La qualification de holding animatrice joué par la société lors de la transmission était-elle contestée par l’administration fiscale dans cette affaire ?
Réponse : Non.
Le différend qui opposait l’héritière à l’administration fiscale ne portait pas sur le rôle d’animation joué par la holding lors de la transmission. L’animation était en l’espèce avérée et admise par l’administration fiscale.
Question n°3 : L’arrêt est-il néanmoins intéressant pour le praticien s’agissant de la qualification de holding animatrice ? Livre-t-il des informations au praticien s’agissant de la notion de holding animatrice et son appréhension par l’administration fiscale ?
Réponse : Oui.
L’analyse de l’arrêt rendu par la Cour d’appel dévoile qu’en plus des participations qu’elle détenait dans les filiales constituant son groupe de société intervenant dans le secteur du BTP (Bâtiment et de travaux publics), la holding possédait des participations minoritaires dans d’autres sociétés qu’elle n’animait pas. Contrairement à ce qu’elle a pu soutenir dans de nombreuses propositions de rectifications ayant été désavouées par la Cour de cassation (Cass. com. 19 juin 2019, n°17-20558 rendu en matière d’ISF mais transposable à l’exonération “Dutreil”), l’administration ne prétendait pas que cette circonstance était de nature à faire perdre à la holding sa qualification d’animatrice. Elle ne soutenait pas que cette qualification impliquait que la holding animât toutes les participations qu’elle possédait.
Question n°4 : Le différend qui opposait l’administration fiscale portait-il sur la durée de l’animation et les conditions mêmes requises pour que l’exonération puisse s’appliquer ?
Réponse : Oui.
Dans cette affaire une fille avait reçu par décès la nue-propriété de parts sociales d’une société holding animatrice de son groupe en bénéficiant de l’exonération « Dutreil ».
Les conditions de l’engagement collectif de conservation réputé acquis étaient remplies. L’engagement individuel de conservation souscrit par l’héritière dans la déclaration de succession débutait donc à compter du décès.
La holding céda rapidement de nombreuses participations détenues dans les sociétés commerciales constituant son groupe, sans remployer les prix de cession dans l’acquisition de nouvelles participations dans des filiales animées.
Ces cessions étaient massives. Elles portaient sur des titres représentant 83 % du chiffre d’affaires global du groupe et 84 % de ses effectifs salariés.
18 mois après le décès, la holding ne possédait plus qu’une seule des sept participations majoritaires dans les sociétés commerciales détenues lors de la transmission.
Ces aliénations n’étaient pas suivies de réinvestissement des prix de cessions dans l’acquisition de nouvelles participations animées ni dans une activité économique.
Elles conduisirent l’administration fiscale à remettre en cause le régime de faveur appliqué au décès. L’administration fiscale soutenait que l’activité purement financière exercée par la holding avant la fin des engagements fiscaux ne permettait plus à la transmission de bénéficier de l’exonération partielle.
Pour sa part, l’héritière soutenait que la condition relative à l’animation du groupe ne devait être remplie qu’à la date de la transmission et non postérieurement.
Question n°5 : Cette analyse était-elle celle retenue par l’administration fiscale dans sa doctrine en vigueur lors de la transmission ?
Réponse : Non.
A l’époque l’administration fiscale n’énonçait pas explicitement cette exigence. L’analyse retenue est en revanche celle qui aujourd’hui exprimée par l’administration centrale au sein du Bofip-impôts (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 15).
Question n°6 : La Cour d’appel a-t-elle validé l’analyse retenue par l’administration fiscale dans sa proposition de rectification ?
Réponse : Oui.
La Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08339) suivit l’administration fiscale.
Elle retint une interopération téléologique du texte (CGI, art. 787 B), en trois temps.
D’abord elle admit que certaines filiales pouvaient être cédées et d’autres acquises avant la fin des engagements fiscaux en raison des choix stratégiques opérés par les dirigeants ou des contraintes économiques affectant notamment le secteur d’activité ; qu’un changement d’activité économique peut de même être envisagé sous réserve que la holding conserve à l’égard de ses (nouvelles) filiales son rôle d’animation.
Ensuite elle énonça que, s’agissant d’une société holding, le bénéfice de l’exonération ne pouvait se concevoir que si ladite société conserve pendant la durée des engagements fiscaux sa fonction d’animation d’un groupe formé de filiales lesquelles doivent, sauf circonstances indépendantes de leur volonté, conserver une activité économique.
Enfin, elle conclut que l’administration fiscale était fondée à soutenir que la perte par la société de sa fonction d’animatrice de groupe avant l’expiration du délai légal de conservation des parts sociales rendait leur transmission inéligible à l’exonération partielle, faute de satisfaire aux conditions légales.
Question n°7 : La Cour de cassation valide-t-elle cette interprétation du texte ?
Réponse : Non.
La Cour de cassation invalide l’arrêt rendu par la Cour d’appel en retenant le fondement le plus sévère qui soit : la violation de la loi. En statuant ainsi, la Cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas et violé l’article 787 B du Code général des impôts.
Question n°8 : L’analyse différente retenue par la Cour de cassation est-elle difficile à cerner ?
Réponse : Non.
Elle est très claire. Elle est fondée sur une interprétation littérale du texte et un rappel des principes : l’administration fiscale ne peut pas subordonner le bénéfice de l’exonération partielle à une condition qui n’est pas prévue par le texte.
En l’espèce, en l’absence de condition imposée par le texte en ce sens, le bénéfice de l’exonération partielle ne pouvait pas être subordonné au maintien du rôle d’animation de son groupe de sociétés joué par la holding jusqu’à la fin des engagements fiscaux de conservation.
Question n°9 : Ce fondement est-il justifié dans son principe ?
Réponse : Oui.
Le principe rappelé par la Cour de cassation peut se prévaloir de la Constitution elle-même : la détermination de l’assiette de l’impôt relève de la compétence du seul pouvoir législatif (Constitution du 4 oct. 1958, art. 34) ; l’exécutif ne peut pas s’immiscer dans ce domaine par voie d’instruction.
Il se justifie également par l’impératif de sécurité juridique : le redevable ne peut pas se voir retirer rétrospectivement le bénéfice de l’exonération pour n’avoir pas respecté une exigence qui n’était pas imposée par le texte.
Question n°10 : D’autres raisons exogènes peuvent-elles expliquer la grande sévérité de cette décision et ce rappel au principe ?
Réponse : Oui.
L’attitude de l’administration fiscale. Bercy a pris l’habitude, spécialement pour l’application de ce régime de faveur, de prendre de grandes libertés avec le texte en rajoutant des contraintes qui vont bien au-delà des exigences légales. Cette attitude lui a déjà valu de voir sa doctrine annulée ou désavouée aussi bien par le Conseil d’Etat (CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 23 janvier 2020, n° 435562, Juris-Data n° 2020-000737) que la Cour de cassation (Cass. com., 10 septembre 2013, n° 12-21.140, Bull. 2013 IV n° 129).
L’administration semble toutefois réticente à prendre pleine acte de ces décisions pourtant univoques et solennelles.
Ainsi, l’arrêt du 25 mai 2022 reprend presque mot pour mot les motifs d’une précédente décision rendue dans le cadre du régime applicable aux entreprises individuelles ayant cassé pour violation de la loi une décision conditionnant le bénéfice de l’exonération à une exigence d’exploitation de l’entreprise personnellement par l’auteur de la transmission imposée par la doctrine administrative mais qui n’est pas prévue par la loi.
L’administration fiscale n’a pas totalement pris acte de cet arrêt pourtant publié au Bulletin. Elle n’a rapporté que partiellement son analyse pour la mettre en conformité avec la jurisprudence à l’égard des seules transmissions par décès. S’agissant des donations entre vifs, elle persiste à affirmer au Bofip-impôts (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 15) en dehors de toute exigence énoncée le texte que la mise en location-gérance du fonds de commerce avant la transmission constitue un obstacle au bénéfice du régime de faveur, ce qui revient bien à imposer au donateur de l’exploiter personnellement lors de la transmission.
Des Cours d’appels continuent d’affirmer qu’« il faut que l’entreprise individuelle soit détenue par le défunt, exploitée par ce dernier et que les biens affectés en cause soient affectés à cette entreprise », pour que l’exonération puisse s’appliquer (CA Grenoble, 1re ch., 11 mai 2021, n° 19/01583 : JurisData n° 2021-007709).
On comprend dans ces conditions la véhémence du rappel à l’ordre effectué par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 mai 2022.
Question n°11 : Face à la rudesse de sa décision, la Cour de cassation prend-elle des précautions particulières pour prévenir une éventuelle rébellion d’une cour de renvoi ?
Réponse : Oui.
Pour éviter toute velléité de résistance d’une Cour de renvoi, la Haute juridiction tranche la question au fond, ce qui est assez rare.
Question n°12 : Des enseignements peuvent-ils être tirés pour le praticien et les juridictions du fond de la manière dont la Cour de cassation tranche l’affaire au fond ?
Réponse : Oui.
La Cour de cassation fait également preuve de pédagogie à ce stade.
Constatant que la société était au jour du décès animatrice d’un groupe, que l’héritière a conservé les titres pendant la période de son engagement individuel de conservation de quatre années et que les dirigeants en place au décès ont continué à exercer une fonction de direction éligible pendant une durée de trois ans[1], elle énonce que l’héritière remplissait les conditions pour bénéficier de l’exonération partielle. L’administration ne pouvait donc pas remettre en cause l’exonération ayant été appliqué lors du règlement de la succession.
La Cour de cassation fournit ici aux juges du fond la méthode qu’ils doivent suivre pour résoudre ce type de contentieux en présence d’une proposition de rectification privant rétrospectivement le redevable du bénéfice du régime de faveur. Il leur appartient de vérifier si le contribuable a respecté les conditions imposées par le texte. Dans l’affirmative, la proposition de rectification doit être invalidée sans que l’administration puisse rajouter des exigences supplémentaires implicites qui n’étant pas été imposées par la loi.
Question°13 : Un autre élément attire-t-il l’attention dans cette décision ?
Réponse : Oui.
En reprenant mot pour mot sa jurisprudence antérieure (Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-17955), la Cour de cassation réaffirme dans l’arrêt du 25 mai 2022 l’assimilation de plein droit des holdings animatrices aux sociétés exerçant directement une activité éligible.
Un tel rappel est de prime abord surprenant. Il n’était en effet nullement nécessaire pour trancher le différend soumis à la Cour de cassation puisqu’en l’espèce le caractère de holding animatrice de la société au décès n’était pas contesté. La réitération n’est pourtant pas superfétatoire. Le message qu’entend délivrer ce faisant la Cour de cassation à l’administration fiscale semble également clair. Il s’explique aussi par l’attitude de l’administration fiscale et l’état de la doctrine administrative.
Cette dernière présente toujours l’éligibilité des holdings animatrices à l’exonération partielle comme une mesure de tempérament octroyée par l’administration fiscale : « Toutefois, il est admis d’appliquer les dispositions de l’article 787 B du Code général des impôts aux transmissions à titre gratuit de parts ou actions de sociétés holdings animatrices de leurs groupes (…) » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55).
Cette divergence d’analyses entre l’administration fiscale et la Cour de cassation induit d’importantes conséquences pratiques. L’affaire soumise à la Cour de cassation en fournit une illustration topique. Si l’extension de l’exonération partielle aux transmissions de parts sociales ou actions de sociétés holdings animatrices de leur groupe de sociétés procédait d’une mesure de tempérament résultant de la doctrine administrative, l’administration fiscale pourrait subordonner son octroi à des exigences spécifiques, comme elle le fait dans sa doctrine reprise au bofip-impôts. Ces exigences pourraient notamment résider dans le maintien de l’animation jusqu’à la fin des engagements fiscaux. La remise en cause de l’exonération partielle se fonderait sur la délimitation stricte des mesures de tempérament admises par l’administration fiscale dans sa doctrine. En ne respectant pas les conditions imposées par l’administration, le contribuable perdrait ainsi le bénéfice du tempérament octroyé par la doctrine administrative. Tel n’est pas le cas. Rappelant que cette assimilation joue de plein droit, la Cour de cassation dénie à l’administration fiscale le pouvoir de la subordonner à des conditions particulières n’étant pas prévues par la loi.
Question n°14 : La solution retenue par la Cour de cassation est-elle compatible avec la doctrine administrative actuelle telle qu’elle résulte de la dernière version du Bofip-impôts publiée le 21 décembre 2021 ?
Réponse : Non.
L’arrêt rendu le 22 mai 2022 désavoue nettement la doctrine administrative. Les indications du Bofip-impôts énonçant que le régime de faveur est subordonné à l’exercice par la holding à titre principal d’une activité d’animation de son groupe jusqu’à la fin de l’engagement individuel : « La condition du caractère de holding animatrice d’une holding de groupe (…) doit être remplie jusqu’au terme des engagements (…) individuel de conservation » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55) sont clairement contredites par la Haute juridiction et doivent être tenues pour caduques.
Question n°15 : L’arrêt du 25 mai 2022 tranche-t-il la question de la nécessité d’exercer un rôle d’animation durant toute la phase préparatoire à la transmission : dès la signature de l’engagement collectif de conservation ?
Réponse : Non. Du moins pas explicitement ni directement.
En l’espèce la Cour de cassation n’aborde pas la question de l’engagement collectif de conservation puisque cet engagement était réputé acquis.
La doctrine administrative consacrée à cette phase est très rigoureuse. Elle impose comme condition au bénéfice de l’exonération que le rôle d’animation de la holding doit être exercé dès le stade de la conclusion de l’engagement collectif de conservation et pendant toute sa durée. Si l’on suit cette analyse, l’exonération ne pourrait pas s’appliquer si la holding n’exerçait pas immédiatement un rôle d’animation lors de la conclusion de l’engagement collectif ou si elle n’avait pas ponctuellement exercé cette activité à titre principal, par exemple en raison de la composition de son actif à un moment quelconque du pacte d’associés. On perçoit l’insécurité induite et les vérifications peu réalistes devant être opérées sur de longues périodes recouvrant souvent plusieurs années.
Certes, le texte qui régit l’engagement collectif de conservation (CGI, art. 787 B a), à la différence de celui qui traite de l’engagement individuel (CGI, art. 787 B c) désigne les titres concernés comme ceux « mentionnées ci-dessus », c’est à dire « les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès, entre vifs » (CGI, art. 787 B in limine). Pour autant, cette désignation n’implique pas que l’activité éligible soit exercée continument par la société pendant toute la durée de l’engagement collectif, d’autant que le texte se place à la date de la transmission pour désigner les titres éligibles et viser l’engagement collectif. L’exigence de l’exercice d’une fonction d’animation dès le stade de la signature du pacte d’associés et pendant toute sa durée n’est au mieux qu’implicite. On peut douter dans ces conditions qu’en l’absence d’exigence expressément formulée par le texte en ce sens, l’administration fiscale puisse conditionner le bénéfice de l’exonération partielle, comme elle le soutient dans sa doctrine à l’exercice continu par la holding de son rôle d’animation dès la signature de l’engagement collectif. Dans l’arrêt du 22 mai 2022, la Cour de cassation s’en tient en effet aux seules conditions explicitement énoncées par le texte et dénie à l’administration le pouvoir de subordonner le bénéfice du régime de faveur à des exigences implicites.
Question n°16 : La solution énoncée par la Cour de cassation est-elle transposable aux sociétés autres que les holdings animatrices exerçant directement l’activité éligible ?
Réponse : De notre point de vue oui.
En l’espèce, le différend qui opposait le contribuable à l’administration fiscale portait la persistance du rôle d’animateur joué par la société. On sait que cette activité présente une spécificité marquée qui justifie à bien des égards d’adapter les règles de droit commun.
Pour autant, on doit bien constater que le fondement avancé par la Cour de cassation à l’appui de cette décision conduit à transposer la solution retenue aux autres activités éligibles, c’est à dire aux sociétés exerçant directement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. L’article 787 B du Code général des impôts n’énonce pas davantage formellement à l’égard de ces sociétés de conditions relatives à la poursuite de cette activité ou d’une autre activité éligible jusqu’à la fin de l’engagement individuel de conservation. C’est tout autant la cessation de l’activité opérationnelle éligible avant la fin des engagements individuel de conservation qui semble inapte en soi à remettre en cause l’exonération partielle lors de la transmission.
Les indications contraires énoncées dans d’autres paragraphes du bofip-impôts dont la rigueur avait été soulignée en doctrine : « Il est précisé que la société doit conserver son activité éligible au bénéfice de l’exonération partielle pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. Le changement d’activité pendant cette durée est possible lorsque l’activité nouvelle est exercée immédiatement après ou concomitamment avec l’ancienne et revêt une nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°17) sont à nos yeux également contredites par la Cour de cassation.
Question n°17 : La solution retenue par la Cour de cassation est-elle conforme aux objectifs poursuivis par le législateur dans le cadre du régime d’exonération « Dutreil » ?
Réponse : Non.
Au fond la solution dégagée par la Cour de cassation pose problème et nous doutons de son opportunité.
Le régime d’exonération partielle « Dutreil » est bien destiné, comme l’énonçait la Cour d’appel, à assurer la pérennité de l’entreprise qui s’entend ici d’une entité exerçant de manière effective une activité économique éligible. L’interprétation littérale retenue par la Cour de cassation ne permet pas d’atteindre ce but et induit un risque de dévoiement du régime de faveur.
Le simple respect des conditions expressément énoncées par l’article 787 B du CGI et rappelées par la Cour de cassation inhérentes à exercice d’une activité éligible lors de la transmission, à la conservation des titres jusqu’à la fin de l’engagement individuel et à la poursuite d’une fonction de direction au sein de la société ne sont nullement garantes de la pérennité de l’entreprise prise comme entité économique.
Les actifs affectés à l’exercice de l’activité éligible pourraient être cédés et l’activité réorientée vers un secteur purement patrimonial qui n’aurait pas pu bénéficier du régime de faveur ; le produit issu de ces cessions pourrait tout autant être distribué aux associés sans que l’exonération soit remise en cause.
Les objectifs poursuivis par le législateur semblent bien pris en défaut. L’approche statique retenue par la Cour de cassation conduit à des résultats qui ne sont pas satisfaisants au regard de la finalité du dispositif et peuvent aboutir à des résultats paradoxaux. La structure transmise et conservée par le donataire ou successeur pourrait in fine et à court terme exercer une activité principalement financière et patrimoniale de gestion d’actifs qui n’aurait pas pu bénéficier du régime de faveur si cette activité avait été exercée lors de la transmission.
Question n°18 : Un tel risque est-il réduit lorsque la transmission porte, comme c’était le cas en l’espèce, sur des titres d’une société holding animatrice de son groupe ?
Réponse : Non. Il est au contraire accru.
Il peut s’exprimer « par le haut » c’est à dire au niveau de la holding ou « par le bas » c’est à dire à l’égard de chaque filiale.
Le risque de désinvestissement et de réorientation de l’activité vers une sphère purement patrimoniale existe pour la holding qui possède les participations qu’elle peut cesser d’animer et exercer une fois la transmission réalisée une activité financière ou patrimoniale de gestion d’actifs. Il existe également à l’égard de chaque filiale.
D’ailleurs en l’espèce, ces deux réallocations étaient caractérisées.
La holding avait cédé la plupart des filiales qu’elle animait. Elle n’avait pas réinvesti les prix de cession dans l’acquisition de nouvelles participations animées. Les réinvestissements dont l’héritière faisait état correspondaient à des projets non concrétisés ou à des investissements dans des activités immobilières insusceptibles d’être animés en raison du très faible taux de participation détenu par la holding.
Certaines filiales conservées avaient elles-mêmes cédé les actifs professionnels jusqu’alors affectés à leur activité opérationnelle, sans remployer les prix de cession dans des actifs affectés à une activité économique.
Question n°19 : Cette jurisprudence risque-t-elle d’entrainer une nouvelle modification des textes par le législateur ?
Réponse : Oui.
Clairement, la réponse ne peut pas provenir de l’administration fiscale. Le législateur est pour sa part attentif à prévenir tout risque de dévoiement de ce régime de faveur dont l’utilité économique est avérée. Il l’a encore démontré lors de la dernière réforme du dispositif réalisée par la loi de finances pour 2019 en consolidant le régime applicable aux sociétés interposées. On peut donc s’attendre à une nouvelle réforme pour colmater cette brèche, à l’occasion d’une prochaine loi de finances.
Question n°20 : En attentant une telle réforme, le praticien peut-il préconiser des schémas fondés sur une cessation de l’animation ou activité éligible avant la fin de l’engagement individuel de conservation ?
Peut-il déduire de cette décision que la cessation de l’animation et la réorientation de la fonction de la holding vers une activité financière ou patrimoniale une fois la transmission réalisée est sans risque ?
Réponse : Non.
Cette démarche est familière au fiscaliste : le praticien doit dissocier respect des conditions objectives requises pour bénéficier de l’exonération partielle et risque subjectif de dévoiement du régime de faveur.
Dans son arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation confirme que faute de condition imposée par le texte, la cessation de l’animation du groupe (ou par transposition de l’activité éligible) avant l’expiration du délai légal de conservation des titres ne permet pas à l’administration fiscale de remettre en cause l’exonération en raison du non-respect d’une condition objective requise pour bénéficier du régime de faveur.
Cette jurisprudence ne signifie pas qu’aucune autre voie de contestation n’est ouverte à l’administration qui se fonderait sur une approche téléologique du texte et les objectifs poursuivis par le législateur. Dans un tel contexte, l’interprétation littérale du texte retenue par la Cour de cassation ne présenterait par définition ’aucune utilité au contribuable (LPF, art. L64 et L 64 A).
Le praticien conservera donc à l’esprit que l’absence de condition objective imposée par le texte quant au maintien de l’animation ou de l’activité consacrée par la Cour de cassation n’immunise pas le redevable contre un contentieux qui serait placé sur le terrain du dévoiement du régime de faveur. L’issue d’un tel contentieux semble bien incertaine et la préconisation maladroite pourrait se retourner contre le professionnel qui l’aurait formulée (V. spéc. CGI art. 1740 A bis).
[1]Bien que l’arrêt rendu par la Cour de cassation ne le précise pas explicitement, il ressort des indications fournies par la Cour d’appel qu’au décès, la holding était dirigée conjointement par le conjoint survivant et l’un des enfants de la défunte, frère de la redevable dont l’exonération partielle fut remise en cause par l’administration fiscale. L’engagement collectif étant réputé acquis, l’héritière remplissait donc les conditions requises pour bénéficier de l’exonération partielle de droits de succession sur la valeur des parts sociales.