Un important arrêt du Conseil d’Etat du 3 mars 2022 (req. n° 447962) permet de revenir sur deux questions importantes en matière de revenus fonciers :
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la notion de dépenses d’amélioration dont la déduction est prévue par les dispositions de l’article 31-I-1-b du CGI.
le risque de dénaturation des faits par l’administration et par le juge de l’impôt.
Venons-en d’abord à la question des dépenses de travaux dont le montant est déductible des loyers encaissés. Deux problématiques y sont attachées : la qualification juridique des dépenses, leur déductibilité qui oblige le juge à ne pas les dénaturer.
La qualification juridique des faits vise à rechercher si les faits matériellement constatés sont justement qualifiés au regard du texte fiscal. La décision du 3 mars 2022 donne un parfait exemple de cette nécessité. En matière de revenus fonciers, les dispositions de l’article 31-I-1° a et b du CGI autorisent l’imputation sur les loyers des dépenses d’entretien de réparation et d’amélioration. Et à propos de ce dernier poste, la plus extrême précision s’impose. Les dépenses d’amélioration s’entendent de celles nécessitées par l’adaptation des locaux aux conditions modernes de vie, telles que l’installation d’un chauffage, d’une salle de bains, d’un WC par exemple.
De surcroît, ces dépenses ne doivent pas aboutir à une construction, reconstruction ou un agrandissement des locaux. De la même manière, si les travaux d’amélioration sont réalisés en relation avec des dépenses de construction, de reconstruction ou d’agrandissement, les dépenses d’amélioration, normalement parfaitement déductibles sur le principe, peuvent être considérées comme accessoires à des premières citées, ce qui interdit alors toute imputation sur les loyers (CE 10 juillet 1996, req. n° 137789.- CE 30 avril 1997, n° 152391.- CE 8 juillet 2005 n° 253291). C’est assez fréquemment le cas, par exemple, lorsque le propriétaire entend aménager des combles pour les transformer en locaux d’habitation. Cette transformation est alors synonyme d’un agrandissement de la surface habitable et les dépenses d’installation d’un chauffage, d’une salle de bains etc… pourtant nécessaires à l’adaptation de ces nouveaux locaux aux conditions modernes de vie ne sont alors pas déductibles des revenus fonciers.
Quelquefois d’ailleurs, un agrandissement peut à cet égard prendre une forme singulière. C’est le cas de l’installation d’une mezzanine dans des locaux nouvellement créés (CE, 29 mai 2019, n°421237). On doute cependant qu’une telle réalisation puisse être considérée comme un agrandissement si elle concerne des locaux déjà existants. Méfiance tout de même : en termes de mètres carrés habitables, la mezzanine agrandit la surface utilisable et l’administration pourrait bien s’en inquiéter si, bien entendu, les travaux concernaient des locaux donnés en location.
Maintenant attention, on parme bien ici de dépenses de travaux. Et, bien souvent, le propriétaire considère que les équipements acquis et installés dans le logement correspondent à des travaux d’amélioration et c’est là que toute l’erreur trouve son siège. Ainsi dans l’arrêt objet de ce commentaire, les dépenses d’amélioration consistaient en l’achat et la pose d’équipements électroménagers d’une cuisine, de petits meubles de salle de bain et l’installation d’une antenne. Confortant sa jurisprudence antérieure (CE 28 novembre 2007, req. n° 290510, le juge considère alors qu’il s’agit simplement de dépenses d’équipements non liés à des travaux d’amélioration pour rejeter la déduction des dépenses correspondantes.
Dans une analyse a contrario, cela signifie que les dépenses portant sur des équipements intégrés aux travaux d’amélioration peuvent être pris en compte pour la détermination du revenu foncier imposable. Ainsi en est-il par exemple de l’achat d’une baignoire, d’un système de douche liés à l’installation d’une salle de bains.
Ces éléments pris en compte, si les faits ont été juridiquement correctement qualifiés au regard de la loi fiscale, encore faut-il qu’ils ne soient pas dénaturés. Les faits peuvent être correctement qualifiés, mais, même analysés matériellement de façon exacte, ils peuvent donner lieu à une interprétation fausse et tendancieuse comme on le constate toujours dans cette affaire jugée le 3 mars 2022
La question de savoir si des travaux sont, ou non, dissociables de travaux de construction, reconstruction ou agrandissement doit être cernée dans chaque espèce avec une extrême précision.
Dans cette affaire, des travaux d’agrandissement réalisés dans l’immeuble consistaient en la transformation d’un grenier en surface habitable. L’administration rejeta la déductibilité de ceux-ci et fut confirmée dans son analyse par le Conseil d’Etat. La qualification juridique des travaux ainsi réalisés au regard des dispositions de l’article 31-I précité ne prêtait pas à discussion. Pour autant, la même administration ne s’en tint pas là dans ce dossier. Le propriétaire avait en effet par ailleurs, entrepris des travaux de ravalement de la façade, de remplacement des huisseries extérieures, de modification partielle de la toiture et d’isolation des cloisons existantes ainsi que les travaux d’installation électrique, d’alimentation en eau et de plomberie. Mais attention, ceux-ci avaient notamment concerné le rez-de-chaussée du bâtiment.
Dans le principe, ce type de dépenses doit être qualifié juridiquement de dépenses d’entretien et de réparation. Leur déduction n’est dans ces conditions pas discutable au regard des dispositions de l’article 31-I-1°-a du CGI.
Pourtant, se livrant à une analyse globale, brute de décoffrage si l’on ose dire, de l’ensemble des travaux, l’administration fit au propriétaire un paquet cadeau bien enveloppé en rejetant la déductibilité de l’ensemble des dépenses de travaux sans distinguer ceux intéressant la transformation du grenier et ceux réalisés en façade, sur la toiture et au rez-de-chaussée. Cette approche globale des travaux, admise par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, fut, en cassation, invalidée par le Conseil d’Etat pour dénaturation des faits. Celui-ci fit observer que tous ces travaux étaient parfaitement indépendants de l’agrandissement réalisé au dernier étage. En admettant cette globalisation des travaux la Cour administrative d’appel avait de la sorte dénaturé les faits, ce qui justifiait la sanction du juge suprême. Juridiquement, ces travaux devaient être juridiquement qualifiés de travaux de réparation, d’entretien et d’amélioration, ce qui autorisait leur déduction des revenus fonciers déclarés. Ainsi, si le propriétaire fut débouté de sa requête pour les travaux d’agrandissement, il fut cependant rétabli dans son bon droit pour les travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration.
Premier conseil
le conseiller doit veiller à ce que des faits soient, juridiquement, correctement qualifiés. Au-delà de l’affaire que l’on vient d’analyser, on peut donner un autre exemple : des frais étrangers à une activité ne peuvent être qualifiés juridiquement de frais professionnels. Encore un exemple ? Le voici : l’amortissement d’un usufruit viager, calculé en fonction de l’âge et de l’espérance de vie de l’usufruitier loueur en meublé correspond effectivement à la durée prévisible durant laquelle l’usufruit viager doit produire des effets bénéfiques sur l’activité, critère juridique autorisant la pratique de l’amortissement.
Second conseil :
il convient de vérifier l’approche des faits réalisée par l’administration. Un rapprochement de faits peut conduire à stigmatiser une situation qui devient fiscalement répréhensible alors que les faits pris individuellement montrent que tel n’est pas le cas. C’est l’erreur commise par l’administration dans cette affaire en regroupant des travaux de nature différente accomplis dans différentes parties de l’immeuble. Il y a là une dénaturation des faits qu’il faut opposer à l’administration et soulever devant le juge de l’impôt comme cela fut fait en l’occurrence. Un autre exemple ? L’administration dénature les faits si elle déduit de la simple anormalité du prix d’un bien cédé par le dirigeant à son entreprise pour un prix excessif l’existence d’une donation indirecte de sa société à son profit. La démonstration d’une donation indirecte implique de rapporter la preuve de l’intention libérale, du dessaisissement immédiat et irrévocable et de l’acceptation du bénéficiaire, démonstration non opérée par la seule constatation de la surévaluation du prix. Il est par exemple possible que cet avantage vise à compenser des services rendus gracieusement par le chef d’entreprise à sa société.