Nouvel épisode dans une série dont, malheureusement, le succès ne se dément pas : la résidence principale et les charges du mariage dans un couple en séparation de biens. Avec cette fois-ci un cas aussi intéressant que l’enjeu financier était mineur ! La Cour de cassation consolide sa position en la précisant encore… et en invitant derechef les membres du couple à la convention. Penchons-nous sur ce dernier avatar, plus original qu’il n’y paraît.
Le cadre général de l’affaire est identique à de nombreux autres, puisqu’il s’agit d’un contentieux relatif au divorce d’époux dont l’un fait valoir une créance que l’autre refuse de reconnaître, arguant d’une simple contribution aux charges du mariage. Rappelons qu’il appartient à celui qui affirme que l’autre n’a pas assumé sa part en la matière de le démontrer (Cass. 1e civ., 3 mars 2010, n° 09-11.005).
Quelques ingrédients évoluent néanmoins. Le thème, s’il est d’une grande banalité quant à sa nature, dès lors qu’il concerne l’habitation du couple, s’éloigne de la tendance récente en ce qu’au cas particulier le bien est propriété de l’épouse – là où habituellement l’indivision constitue le gros du bataillon.
Or le mari « avait réglé une facture de construction de la maison d’un montant de 36 240,83 € à l’aide de capitaux provenant de son épargne personnelle » et en demandait remboursement.
Une conclusion à creuser
Foin de faux suspense, rapportons aussitôt une réponse de principe à une question de principe : « sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, réalisé par un époux séparé de biens pour financer l’amélioration, par voie de construction, d’un bien personnel appartenant à l’autre et affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1e civ., 5 avr. 2023, n° 21-22.296).
La solution rejoint en tous points un précédent arrêt (Cass. 1e civ., 9 juin 2022, n° 20-21.277), si ce n’est peut-être qu’il apporte, pour qui en aurait douté, une précision de taille – terme parfaitement approprié ici.
Sous la ligne de flottaison ?
En effet, il est précisé qu’au cas particulier « le montant de la facture demeure relativement modeste et constitue une dépense ponctuelle ».
Petite et isolée, ne concernant que « partie des travaux d’édification d’une maison », la dépense apparaît famélique. Pour la cour d’appel de Chambéry (29 juin 2021, n° 18/01394), cela suffit : « le paiement de la facture relève de sa contribution aux charges du mariage ».
Retour, en sous-marin, à l’article 214. Financement en rase-motte, trop bas pour atteindre le firmament, puisqu’ainsi « il n’est pas établi de sur-contribution aux charges du mariage ».
La tentative, qui reposait sur l’espoir vain d’un trou de souris, a sans surprise échoué devant la Cour de cassation : le débiteur est fait comme un rat. Peu significatif, le règlement en capital n’en est pas moins décisif ! Il fait mouche, d’une décharge à bout portant.
Pas d’emprunt, pas d’étalement, la qualification en charge ne tient pas. La victoire du bloc, qui appelle créance, sur l’échelon, qui fait pertes et profits.
Petit capital, mais capital fort !
D’aucuns entendrons derrière le positionnement de la Cour de cassation la célèbre réplique de Maître Yoda dans L’Empire contre-attaque : « Est-ce par la taille que tu peux me juger ? Eh bien tu ne le dois pas ! »
Ils n’auront pas tort, les chiffres importent moins que les principes. La modicité ne fait rien à l’affaire. Chacun est libre ensuite de choisir ses combats au regard de l’utilité qu’il leur trouve. On notera à ce propos que l’arrêt fait l’objet d’une publication au bulletin de la Cour de cassation, cette dernière souhaitant en conséquence donner, de nouveau, écho à sa position.
Le cap est donc donné clairement. Et il n’est pas question ici de dévier, quand bien même une dernière tentative y inviterait.
J’habite chez une copine…
En effet, la cour d’appel n’a pas été insensible à un autre argument, non contesté au demeurant, et qui a connu quelques succès sous d’autres cieux : le mari « a bénéficié avec les enfants du couple d’un hébergement dans le bien immobilier considéré ».
Le coup de la contrepartie, implicite mais incontournable, que devrait fournir celui qui jouit d’un bien sans en être propriétaire. Avec l’enrichissement injustifié qui aussitôt apparaît en ombre chinoise.
Sans cadre, la pirouette a pu séduire. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle admis, à propos d’un concubin voulant récupérer sa participation à l’amélioration du bien immobilier de sa ex-compagne, la position de la cour d’appel qui « a souverainement estimé que ces travaux qui excédaient sa nécessaire participation aux charges de la vie commune, ne pouvaient être considérés comme une contrepartie de l’amélioration du cadre de vie et de l’hébergement gratuit dont [l’homme] avait profité pendant la période du concubinage », concluant – à l’époque – à l’enrichissement sans cause (Cass. 1e civ., 23 janv. 2014, n° 12-27.180).
Teintée – de recherche – d’équité, la position peine à convaincre. Déjà à propos de la notion de « charges du couple », extrapolée des charges du mariage pour les besoins de la cause. Une fois la frontière artificiellement tracée, ne resterait plus qu’à décider si la dépense est en-deçà ou au-delà, balance en main et pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond sous le bras.
A dire vrai, on a peine à imaginer ce schéma prospérer. Surtout pour des personnes mariées ou pacsées, en présence de textes de loi cette fois. L’arrêt qui nous intéresse aujourd’hui ne confirme rien de moins.
Reste peut-être une question en suspens. Si le coût des travaux ne compte pas, leur nature importe-t-elle ?
L’amélioration seulement ?
S’agissant de dépenses d’acquisition, la cause est entendue (Cass. 1e civ., 14 mars 2006, n° 05-15.980). Remboursées via l’emprunt, au fil de l’eau, elles passent, au tamis des charges du mariage, par pertes et profits.
Notre arrêt vedette évoque la construction et prend la peine de qualifier celle-ci de dépense d’amélioration. Il n’est guère douteux que la précision, si elle vise à rattacher – sans surprise aucune – l’opération à sa famille, est surtout destinée à généraliser le propos des magistrats – et ici comme ailleurs la chose est toujours mieux comprise quand elle est spécifiée plutôt que sous-entendue. Voilà donc nos dépenses d’amélioration dans le même panier que les dépenses d’acquisition.
En référence aux règles de calcul des récompenses, citant ensemble les dépenses destinées « à acquérir, à conserver ou à améliorer » (C. civ., art. 1469, al. 3), tiendrions-nous, avec les charges liées à la conservation, notre podium ? Rien n’est moins évident pourtant.
Et l’entretien ?
Ainsi, le régime primaire, définissant les dettes ménagères, évoque les « contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage », que chacun des époux a pouvoir pour passer seul et qui obligent l’autre solidairement (C. civ., art. 220). Les dés sont-ils pour autant jetés ?
Peut-être faut-il chercher un début de réponse du côté de l’indivision. Les règles prévues quand « un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis » trouvent à s’appliquer alors que les circonstances sont pourtant différentes : « il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés » (C. civ., art. 815-13). Nécessité fait loi ? La piste mérite attention. Notons par ailleurs que la notion de dépense nécessaire figure également au chapitre des récompenses (C. civ., art. 1469, al. 2).
La Cour de cassation dessine en creux un classique : l’homme entretenu aux frais de la princesse – notez que l’inverse fonctionne tout aussi bien. Seule une impérieuse nécessité pourrait faire ressortir une créance pour des dépenses plus naturellement modiques – et c’est un frein puissant au contentieux – mais souvent payées comptant.
Une nouvelle fois, l’anticipation doit être mise encouragée, afin de clarifier les règles en amont de la partie, autant que faire se peut.
Sortir du maquis
Si « l’engagement librement pris par un époux et accepté par l’autre, en dehors du contrat de mariage, pour déterminer la contribution aux charges du ménage, est valable » (Cass. 1e civ., 3 févr. 1987, n° 84-14.612), il semble largement préférable de poser les règles dans le contrat de mariage, comme y invitent, en amont de la Cour de cassation, les textes relatifs au mariage (C. civ., art. 214), ou dans la convention réglant les modalités du pacte civil de solidarité (C. civ., art. 515-4).
Points essentiels :
En séparation de biens, une dépense d’amélioration financée partiellement par un époux sur la propriété de l’autre, bien que modique et occasionnelle, ne relève pas des charges du mariage si elle a été réglée par prélèvement sur l’épargne personnelle de cet époux ; elle peut en conséquence être à l’origine d’une créance.