Le praticien est fréquemment confronté à la question de la réduction des legs gratifiant le partenaire ou concubin survivant d’un usufruit qui le plus souvent porte sur le bien constituant la résidence principale du couple ou les droits détenus par le testateur dans ce logement. Il doit lui porter une attention toute particulière.
La méthode devant être suivie pour établir la liquidation civile a été confortée par un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. 1ʳᵉ civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215).
Elle impose de distinguer chaque étape de la liquidation, la conversion de l’usufruit en pleine propriété n’intervenant qu’au stade du calcul de l’indemnité de réduction si cette dernière s’opère en valeur.
Pour sa part, la liquidation fiscale nécessite de résoudre les contradictions résultant de l’existence d’un barème exigeant une évaluation forfaitaire de l’usufruit pour fixer l’assiette de l’impôt au sein de la liquidation fiscale, dont le résultat diffère généralement de la valorisation réelle ayant été retenue au sein de la liquidation civile.
Le praticien doit également intégrer les dispositions de l’article 917 du Code civil lorsqu’il conseille son client lors de l’établissement de ses dispositions de dernières volontés.
Question n°1 : Le praticien est-il fréquemment confronté à la question de la réduction des libéralités consenties en usufruit au conjoint ou partenaire survivant ?
Réponse : Oui.
Cette fréquence s’explique par la faiblesse voire l’inexistence des droits successoraux ou para successoraux du survivant dans ces formes de conjugalité. Cette faiblesse impose d’établir une libéralité à cause de mort pour assurer au décès sa stabilité et maintenir son cadre de vie. L’usufruit est souvent privilégié. Il porte le plus souvent sur le bien constituant la résidence principale du couple ou les droits détenus par le défunt dans ce logement.
Question n°2 : La situation des partenaires de PACS ou des concubins est-elle différente de celle des époux lorsqu’il s’agit d’exécuter ce type de libéralités ?
Réponse : Oui.
Il faut ici dissocier l’aspect civil et fiscal de la transmission. Au plan fiscal, l’assimilation totale du partenaire de PACS au conjoint survivant consacrée par la loi TEPA a levé l’obstacle financier qui entravait les libéralités adressées au partenaire survivant. Les libéralités en faveur du partenaire survivant sont sans limite exemptées de droits de succession.
La situation est bien différente sur le terrain civil. Les libéralités gratifiant le partenaire comme le concubin survivant ne bénéficient pas des mêmes faveurs que les libéralités conjugales. Elles se heurtent frontalement, sans aménagement particulier, aux contraintes résultant de la réserve héréditaire des descendants (C. civ. art. 913).
Question n°3 : Les difficultés auxquelles se heurte le praticien lorsqu’il conseille son client en vue d’assurer la protection du survivant du couple sont-elles homogènes ?
Réponse : Non.
Elles nécessitent comme souvent une approche globale, juridique, économique et fiscale de la situation patrimoniale du disposant. Elles imposent également de suivre rigoureusement une méthodologie précise.
Plusieurs facteurs rendent la détection de la réductibilité de la libéralité et la détermination de ses effets particulièrement sensibles et complexifient les liquidations civiles et fiscales.
– En premier lieu, le logement (ou les droits détenus dans celui-ci) objet de la libéralité constitue souvent l’actif prépondérant du patrimoine d’ensemble du testateur, exposant la libéralité à un risque accru de réductibilité. Dans ce contexte, le choix de la méthode précise retenue pour détecter la réductibilité du legs revêt une importance toute particulière. Si elle doit être approuvée, celle récemment confirmée par la Cour de cassation expose assurément la libéralité en usufruit à un risque accru de réductibilité.
– En second lieu, la méthode elle-même retenue pour établir la liquidation civile n’est pas homogène. Elle diffère suivant le stade de la liquidation, ce qui impose au praticien de respecter scrupuleusement chacune des étapes de la liquidation, sous peine d’aboutir à des conclusions erronées et chiffres inexacts.
– En troisième lieu, les liquidations gagnent encore en complexité en constatant d’une part que par principe le barème fiscal n’a pas vocation à être employé au sein des liquidations civiles et que d’autre part la liquidation fiscale ne fait pas davantage application uniformément de la valorisation fiscale des droits démembrés.
– Enfin, l’exécution de la libéralité est également susceptible d’être affectée par une disposition ancienne : l’article 917 du Code civil dont la rédaction pourrait induire le praticien en erreur. Son application lors du règlement de la succession peut en effet conduire à un résultat très éloigné de l’objectif initialement recherché par le testateur, changeant la nature même des droits du bénéficiaire de la libéralité et des héritiers réservataires et bouleversant les liquidations civiles et fiscales.
Question n°4 : Lorsqu’il s’agit au plan civil d’apprécier si la libéralité adressée en usufruit au partenaire ou concubin survivant porte atteinte à la réserve, les premières étapes de la liquidation présentent-elles des spécificités ?
Réponse : Non.
Les deux premières étapes de la liquidation civile (C. civ. art. 913 et 922) consistent à chiffrer la masse de calcul et évaluer la quotité disponible et la réserve. Elles ne suscitent aucune difficulté propre au contexte qui nous intéresse.
La masse de calcul définie à l’article 922 du Code civil vise à reconstituer fictivement le patrimoine du défunt en tenant compte des libéralités qu’il a pu consentir de son vivant en ayant recours au mécanisme de la dette de valeur. A ce stade, le praticien portera une attention particulière à la polysémie du terme « biens existants ». En l’espèce, les biens existants incluent ceux dont le défunt disposait à cause de mort, c’est à dire le ou les biens légué(s) en usufruit. Ce n’est pas le cas de ceux définis aux articles 757 et 758-5 du Code civil régissant l’assiette des droits successoraux légaux du conjoint survivant.
Les dettes grevant la succession doivent être retranchées de ces biens avant d’opérer la réunion fictive des biens donnés entre vifs.
Le calcul de la quotité disponible et de la réserve consiste simplement à appliquer la quotité abstraite qu’elle représente à la masse de calcul.
Question n°5 : l’étape suivante de la liquidation civile est-elle plus sensible ?
Réponse : Oui.
C’est à l’étape suivante de la liquidation, celle de l’imputation de la libéralité adressée en usufruit au partenaire ou concubin survivant que les erreurs liquidatives peuvent être commises. Les principes liquidatifs devant être suivis présentent à ce stade de grandes similitudes avec ceux énoncés par la Cour de cassation lorsqu’il s’agit de combiner la quotité disponible ordinaire et celle spéciale bornant les libéralités entre époux (Cass. 1ère civ., 26 avril 1984, Dreuil, Bull. I, n° 140).
Une première approche conduirait à raisonner en valeur : à évaluer la valeur vénale du droit d’usufruit légué et la comparer avec la valeur que représente la quotité disponible. La libéralité ne serait alors réductible que si la valeur du droit démembré transmis dépassait le montant du disponible.
C’est cette méthode qui avait été retenue par la Cour d’appel de Reims dans l’espèce ayant donné lieu à la décision rendue par la Cour de cassation le 22 juin dernier (Cass. 1ère civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215).
Dans cette affaire très banale, le défunt laissait à sa survivance sa fille née d’une précédente union et sa compagne gratifiée de l’usufruit de sa maison d’habitation. Pour débouter la fille de sa demande en réduction du legs, la Cour d’appel avait constaté que la « masse successorale » (il faut comprendre la masse de calcul au sens de l’article 922 du Code civil) s’élevait à la somme de 383.000 €, la quotité disponible était donc de 191.500 €. La valeur de l’usufruit légué qui s’établissait à 60 % de la valeur du bien (60 % x 240.000 €), soit la somme de 144.000 €, n’excédait pas, selon la Cour, le montant de la quotité disponible, ce qui selon elle écartait toute atteinte à la réserve. Il en allait ainsi, selon la Cour d’appel, quand bien même « l’usufruit objet du legs (…) portait sur un immeuble dont la valeur de 240.000 € était supérieure au montant de la quotité disponible (191.500 €) ».
Autrement dit, les juges du second degré avaient, évalué en le convertissant en pleine propriété la valeur du droit d’usufruit légué. Ayant comparé cette valeur à celle de la quotité disponible et constatant que la valeur du droit légué n’excédait pas celle de la quotité disponible, ils avaient conclu à l’absence de toute atteinte à la réserve.
Cette approche est clairement désavouée par la Haute juridiction dans un arrêt rendu au visa des articles 913 et 919-2 du Code civil. Après avoir rappelé qu’aux termes du premier, aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi, et qu’il s’évince du second qu’une libéralité hors part successorale s’impute sur la quotité disponible, l’excédent étant sujet à réduction, la Cour de cassation énonce qu’ « il s’en déduit que les libéralités faites en usufruit s’imputent en assiette ».
L’atteinte à la réserve ne devait donc pas s’apprécier en comparant la valeur de l’usufruit du bien immobilier légué à la compagne au montant de la quotité disponible mais en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible non après conversion en valeur de la pleine propriété, mais en assiette.
La quotité disponible et la réserve successorale doivent donc être appréhendées comme deux masses distinctes composant la succession, la seconde devant comme l’énonce l’article 913 du Code civil revenir à l’héritier réservataire libre de toute charge, y compris d’un usufruit qui ne peut empiéter sur la réserve. Adressée au concubin, partenaire de PACS survivant ou à toute autre personne que le conjoint survivant, la libéralité ne peut s’imputer qu’exclusivement sur la quotité disponible ordinaire. Si la valeur du bien dont l’usufruit a été légué excède la quotité disponible ou le reliquat de celle-ci après imputation des libéralités de rang préférable, elle est réductible ; et ce sans qu’il y ait lieu de convertir en pleine propriété l’usufruit légué ni de comparer la valeur de cet usufruit avec celle de la quotité disponible.
Question n°6 : Est-il possible de dégager de cette décision une méthodologie précise que doit suivre le praticien ou apprécier si la libéralité en usufruit adressée au partenaire ou concubin survivant porte ou non atteinte à la réserve ?
Réponse : Oui.
Ainsi, le praticien est-il invité à :
1° – Etablir la masse de calcul de la réserve successorale (C. civ., art. 922),
2° – Chiffrer le montant de la quotité disponible de la réserve globale et éventuellement de la réserve individuelle,
3° – En cas de pluralité de libéralités, les imputer en respectant les règles habituelles en ce qui concerne l’ordre et le secteur d’imputation des libéralités,
4°- A imputer en assiette, c’est-à-dire pour la valeur en pleine propriété du bien dont l’usufruit a été légué et exclusivement sur la quotité disponible le legs d’usufruit dont le concubin ou partenaire survivant a été gratifié ;
5°- A constater que tout débord de cette libéralité, tout empiètement sur la réserve implique que la libéralité en usufruit est réductible à due concurrence, quelle que soit la valeur de cet usufruit ; et sans qu’il y ait lieu de procéder à une quelconque conversion de l’usufruit en pleine propriété.
NB : le praticien notera que les conclusions résultant de l’imputation en assiette seront identiques quels que soient l’âge même avancé de l’usufruitier, la nature du bien légué en usufruit et les flux financiers qu’il engendre.
Question n°7 : L’autre méthode consistant à apprécier la réductibilité du legs en valeur que de nombreux praticiens semblent utiliser peut-elle être retenue ?
Réponse : Non.
L’imputation en valeur doit définitivement être abandonnée. Elle conduirait souvent comme c’était le cas dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2022 à des conclusions erronées quant à la réductibilité ou non du legs d’usufruit amenant à considérer que la libéralité ne porte pas atteinte à la réserve alors qu’elle est en réalité réductible.
Question n°8 : Le notaire chargé du règlement de la succession est-il tenu à cet égard à une obligation d’information spécifique, s’agissant de la réductibilité des libéralités consenties par le défunt ?
Réponse : Oui.
Depuis l’entrée en vigueur de l’article 24 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021confortant le respect des principes de la République, le notaire chargé du règlement de la succession est tenu à une obligation d’information et de conseil renforcée.
Il est tenu de vérifier si les droits réservataires d’un héritier ont pu être atteints par les libéralités effectuées par le défunt. Il doit donc détecter l’existence éventuelle de libéralités réductibles.
Dans l’affirmative, si une telle atteinte est avérée, il est tenu d’informer chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible (C. Civ. art. 921 al. 2).
Question n°9 : cette jurisprudence permet-elle de synthétiser les règles régissant l’usufruit successoral que peut exercer le survivant du couple, suivant le type d’union retenu et le contexte familial.
Réponse : Oui.
Cette synthèse dévoile, un régime simple et cohérent de l’usufruit successoral qui varie à la fois suivant le contexte familial et conjugal dans lequel il intervient.
– Si le survivant du couple est le conjoint et que les descendants laissés par le défunt sont communs, c’est à dire issus des deux époux, le survivant peut de plein droit, par l’effet de la loi, exercer son usufruit successoral sur les biens laissés par le défunt, y compris ceux destinés à fournir aux descendants leur réserve héréditaire. C’est ce qu’exprime l’article 757 du Code civil lorsqu’il prévoit que dans ce cas, l’usufruit du conjoint porte sur la totalité des biens existants.
– En présence de descendants n’étant pas tous communs, le survivant des époux pourra également exercer un usufruit successoral, même au préjudice de la réserve des descendants. Il sera toutefois nécessaire que le défunt ait à cette fin pris l’initiative de le gratifier d’une libéralité. C’est ce qu’énonce l’article 1094-1 du Code civil lorsqu’il permet au défunt de disposer au profit de son conjoint de l’usufruit de l’intégralité de sa succession.
– Enfin, en dehors de ce contexte, tout usufruit successoral provenant par hypothèse d’une libéralité qui empiète sur la réserve des descendants porte atteinte à celle-ci et est nécessairement réductible.
Question n°10 : L’imputation en assiette confirmée par la Cour de cassation qui conduit à constater la réductibilité du legs d’usufruit qui empiète sur la réserve des descendants signifie-t-elle que les descendants n’auront pas à supporter cet usufruit et recevront leur réserve en toute propriété ?
Réponse : Paradoxalement non.
L’imputation en assiette consacrée par la Cour de cassation ne signifie pas que l’évaluation du droit démembré légué et la conversion de l’usufruit en pleine propriété auxquelles la Cour d’appel s’était livrée ne doivent pas être effectuées.
Sauf exception, résultant d’une option peu probable dans le contexte qui nous intéresse du légataire pour une réduction en nature, elle sera réalisée. Mais la conversion de l’usufruit n’interviendra qu’à l’étape suivante de la liquidation, c’est-à-dire au stade de la réduction (et non de la réductibilité) de la libéralité.
Si l’héritier réservataire sollicite la réduction de la libéralité en usufruit, sauf si, les conditions étant réunies, le légataire optait pour une réduction en nature, ce qui créerait une indivision en jouissance, la réduction s’opérera en valeur, en application des règles de droit commun (C. civ., art. 924). Le legs recevra alors exécution. Le partenaire ou concubin exercera son droit d’usufruit sur l’intégralité du bien légué en usufruit qui apparaitra comme démembré dans l’attestation immobilière publiée auprès du service de la publicité foncière, charge à lui de verser à l’héritier réservataire une indemnité de réduction correspondant à la fraction réductible de son legs.
Question n°11 : Le barème fiscal auquel les praticiens ont souvent recours a-t-il vocation à s’appliquer lorsqu’il s’agit de chiffrer l’indemnité de réduction due par le légataire de l’usufruit ?
Réponse : Non.
C’est uniquement pour fixer le montant de l’indemnité de réduction rétablissant en valeur l’héritier dans ses droits réservataires que se pose la question de la valorisation du droit démembré légué. Le calcul de cette indemnité nécessite d’évaluer le droit d’usufruit et partant de fixer sa valeur en pleine propriété. Cette évaluation doit par principe être effectuée en retenant la valeur effective, vénale du droit démembré, ce qui exclut par principe l’application de barèmes forfaitaires.
Le barème fiscal énoncé à l’article 669 du CGI dont la fonction est de déterminer forfaitairement l’assiette de l’impôt n’a pas vocation à s’appliquer dans ce contexte. La Cour de cassation confirme de longue date que ce barème ne s’applique pas aux calculs civils (Cass. 1ère civ., 25 février 1997, Bull. civ. I, n° 76). La jurisprudence a même pu voir dans son utilisation pour répartir au plan civil un prix de vente d’un actif démembré un défaut de conseil engageant la responsabilité professionnelle du praticien (CA Metz 1ère ch., 5 novembre 2015, RG 14/0549, Juris-Data n° 2015-024999). Comme nous le verrons, la prise en compte de la valeur réelle et économique de l’usufruit pour chiffrer l’indemnité de réduction qui constitue le principe peut sans difficulté insurmontable s’accommoder de l’application impérative du barème fiscal au sein de la liquidation fiscale.
Cette jurisprudence confirmant que le barème fiscal n’a pas vocation à s’appliquer aux liquidations et calculs civils ne signifie pas que le recours à ce mode d’évaluation est interdit. Il est possible de s’y référer. Une telle transposition ne peut cependant qu’être volontaire. Permettant de mettre un terme à un différend né ou à naître afférent à la détermination de la valeur vénale de l’usufruit, elle doit donc être expressément acceptée par toutes les parties prenantes. Celles-ci doivent préalablement être éclairées par le praticien sur les effets induits par ce mode d’évaluation qui peut aboutir à des résultats parfois très éloignés de l’évaluation réelle et économique qui doit être retenue en l’absence d’un tel accord.
Question n°12 : La valorisation économique de l’usufruit retenue au sein de la liquidation civile ne risque-t-elle par d’engendrer une contradiction avec la liquidation fiscale dans le cadre de laquelle le recours au barème fiscal énoncé à l’article 669 du CGI est impératif pour fixer la valeur des droits démembrés ?
Réponse : Non.
La contradiction n’est qu’apparente. Elle peut être résolue en se référant à la fonction dédiée à chacun de ces modes d’évaluation des droits démembrés.
L’unique fonction du barème fiscal est d’évaluer forfaitairement la valeur d’un droit démembré pour déterminer l’assiette de l’impôt. Ce barème s’applique donc lorsque la liquidation a pour objet de valoriser au sein de la part taxable du successeur un droit démembré d’usufruit ou de nue-propriété qu’il recueille dans la succession.
Dans le contexte qui nous intéresse lorsque le legs d’usufruit est réduit en valeur, le concubin ou partenaire survivant reçoit l’usufruit du bien légué. L’usufruit du bien légué au concubin ou partenaire doit donc être valorisé au barème fiscal. Toutes les règles d’assiette imposées par le droit fiscal s’appliquent d’ailleurs à l’évaluation de ce droit démembré reçu en nature. En particulier, la décote de 20 % prévue par l’article 764 bis du CGI s’appliquera si, comme c’est fréquent en pratique, le bien dont l’usufruit a été légué constitue au jour du décès la résidence principale du défunt et du partenaire survivant légataire.
En revanche, le barème fiscal n’a pas vocation à jouer en dehors de ce contexte. En particulier, sous peine de fausser les calculs, la valorisation forfaitaire de l’usufruit n’est pas destinée à calculer l’indemnité de réduction (V. supra, question n°11).
S’agissant non de fixer pour déterminer l’assiette de l’impôt la valeur d’un droit démembré, mais de calculer une indemnité, la valorisation réelle, économique retrouve son empire, y compris au sein de la liquidation fiscale. C’est cette valeur qui servira à déterminer le montant de l’indemnité de réduction due par le donataire minorant la part taxable du légataire. Corrélativement, s’agissant des héritiers réservataires, la nue-propriété du bien légué en usufruit composant sa part taxable sera valorisée au barème fiscal (en appliquant également le cas échéant la décote de 20 % résultant de l’article 764 bis du CGI). L’indemnité de réduction sera comprise dans sa part taxable. Elle sera naturellement reprise pour le même montant, par référence à la valeur réelle de l’usufruit.
Question n°13 : Dans le contexte qui nous intéresse, le praticien doit-il être attentif à un texte ancien susceptible de s’appliquer et qui pourrait déjouer les prévisions du testateur ?
Réponse : Oui.
Il s’agit de l’article 917 du Code civil.
Ce texte précise que : « Si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible. »
La rédaction du texte visant une « disposition par acte entre vifs ou par testament (…) d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible » est trompeuse. Comme nous l’avons rappelé, le dépassement de la quotité disponible s’apprécie en assiette, sans qu’il y ait lieu de se référer à la « valeur » de l’usufruit.
Cette disposition joue uniquement lorsque le défunt a consenti une voire plusieurs libéralités en usufruit portant atteinte à la réserve. La présence d’une libéralité en pleine propriété exclut son application (Cass. 1ère civ., 3 mars 1992, n° 90-16.201).
Ce texte est destiné à éviter que l’héritier réservataire puisse à la fois bénéficier du produit de la réduction de la libéralité en usufruit pour la partie excédant l’usufruit de la quotité disponible et recevoir la nue-propriété du disponible dont le défunt n’aurait pas par ailleurs disposé et dont le de cujus aurait pu le priver (V. M. GRIMALDI, Réflexions sur la réduction des libéralités en usufruit et l’article 917 du Code civil, DEFRENOIS 1984, art. 33430, p. 1453). Il offre une option, divisible en présence d’une pluralité d’héritiers réservataires permettant à celui-ci soit « d’exécuter cette disposition », c’est-à-dire de ne pas solliciter la réduction nonobstant son empiètement sur l’usufruit et la réserve, soit « de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible », c’est-à-dire de ne recevoir que sa seule réserve en pleine propriété.
On comprend que la perspective d’être privé de tous droits dans la quotité disponible incite l’héritier réservataire à s’abstenir d’exercer l’action en réduction. Il préférera peut-être supporter une atteinte provisoire eu égard au droit viager détenu par le bénéficiaire de la libéralité à sa réserve plutôt que d’être intégralement frustré de la quotité disponible en propriété. Il reste qu’il peut paraître audacieux pour le testateur de laisser subsister cette option qui appartient exclusivement à l’héritier réservataire. Si l’héritier réservataire exerce l’action en réduction, le résultat final s’avérera très éloigné de l’objectif initial recherché par le disposant. En voulant transmettre à son partenaire ou concubin l’usufruit d’un actif isolé composant sa succession suivant l’option exercée par l’héritier réservataire lors du règlement successoral, le disposant aurait engendré une indivision en toute propriété entre le légataire et l’héritier réservataire portant sur l’intégralité de l’hérédité et à laquelle il faudra mettre un terme en procédant à un partage.
Le praticien qui assiste son client dans l’établissement de ses dispositions de dernières volontés doit donc informer le testateur de l’existence de cette disposition spécifique lorsqu’elle trouve à s’appliquer, en expliciter les effets afin que le disposant choisisse de la laisser subsister ou de l’écarter. La jurisprudence a en effet confirmé de longue date que l’article 917 du Code civil est supplétif et peut être écarté par le disposant dans ses dispositions de dernières volontés.