Lorsque des époux sont mariés en régime de communauté légale, il n’est pas toujours évident d’identifier la portée des engagements pris par les époux, ensemble ou séparément, souvent à la demande des professionnels qui contractent avec l’un d’entre eux ou avec les deux. Le principe de gestion concurrente (C. civ., art. 1421) s’applique à la gestion des biens communs… et s’étend bien au-delà. Alors lorsqu’il entre en mêlée avec un droit d’exception comme celui des procédures collectives, il amplifie le sentiment de flottement – que certains ressentent déjà sans cela.
Comment en effet ne pas se retrouver sens dessus-dessous ? Essayons de poser quelques repères à l’occasion d’un arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 2 févr. 2022, n° 20-18.791) rendu à propos d’une situation qui, malheureusement, n’a rien d’exceptionnel.
Alors qu’un homme connaît les affres d’une liquidation judiciaire (3 août 2011), un souci connexe vient encore compliquer la situation.
En l’occurrence, les époux s’étaient engagés solidairement en contractant auprès de la Caisse régionale de crédit agricole de la Réunion un prêt de 285 000 € destiné au financement de l’acquisition d’un bien immobilier.
Remboursement partiel via la vente du bien
La créance déclarée par la banque est, naturellement, admise à titre privilégié. S’ensuivent la vente de l’immeuble par le liquidateur et le remboursement partiel de l’établissement prêteur.
Qu’en est-il du sort du conjoint commun en biens, codébiteur de l’emprunt immobilier, alors que la procédure collective a été clôturée pour insuffisance d’actif (22 janvier 2014) ?
D’aucuns ne souhaitent pas qu’il s’en tire à si bon compte. Aussi le représentant d’un fonds commun de titrisation, cessionnaire de la créance de la banque, fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte bancaire de l’épouse (10 août 2018), qui aussitôt la conteste.
Après avoir posé le décor de notre affaire, donnons-lui un peu de profondeur en évoquant brièvement quelques aspects de la procédure de sauvegarde – non sans glisser au passage quelques mots à propos du conjoint dans ce contexte.
Quand le ciel s’assombrit…
Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, un principe d’interdiction de paiement des créances (C. com., art. L 622-7, al. 1er), alors qu’est dressé un inventaire et réalisé une prisée du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent (C. com., art. L 622-6, al. 1er).
Dans cet exercice, il est rassurant de constater que « le conjoint du débiteur soumis à une procédure de sauvegarde établit la consistance de ses biens personnels conformément aux règles des régimes matrimoniaux » (C. com., art. L 624-5). Rassurant au plan du droit. Parce qu’évidemment la situation peut s’avérer plus contrastée en communauté.
Discipline commune !
La Cour de cassation (Ass. plén., 23 déc. 1994, n° 90-15.305) a précisé, en vertu encore du principe de gestion concurrente des biens de la communauté, que les créanciers du conjoint de l’époux concerné par la procédure collective sont soumis à la même discipline que les créanciers de cet époux, notamment à la suspension des poursuites individuelles (Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-11.366) et à l’arrêt des inscriptions (Cass. com., 14 oct. 1997, n° 96-12.853).
Déclarés, ces créanciers sont payés à leur rang dans la procédure par le liquidateur ; non déclarés, ils sont payés après les créanciers déclarés.
« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu » (C. civ., art. 1413). Tout est dit : danger immédiat pour la communauté, l’épée de Damoclès en matière d’obligation à la dette.
Certes, « toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme, soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux, (…) il en doit la récompense » (C. civ., art. 1437). Certes. Mais la contribution semble parfois renvoyer aux calendes.
Les créanciers professionnels du mari trépignent. Les autres se doivent aussi de faire valoir leurs droits. A quoi cela peut-il bien aboutir ?
Il arrive malheureusement souvent que l’histoire se termine par une liquidation judiciaire, et que cette dernière intervienne pour insuffisance d’actif. Un mal pour un bien ?
Le bout du tunnel ?
Sauf exception, « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur » (C. com., art. L 643-11).
Pour l’époux concerné, bien sûr. Et pour l’autre, me direz-vous ? Le viatique, chèrement payé, reste personnel.
Ainsi, « l’époux commun en biens, codébiteur solidaire d’un emprunteur objet d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, ne peut invoquer l’interdiction de reprendre les poursuites contre son conjoint prévue par l’article L. 643-11 du code de commerce, qui ne lui profite pas en raison de sa qualité de débiteur tenu d’une obligation distincte » (Cass. com., 2 févr. 2022, n° 20-18.791).
L’adage populaire veut que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Peut-être. Toujours est-il qu’elle peut frapper tout à côté. A un autre titre, puisqu’il s’agit ici du financement d’un immobilier privé, mais avec force également.
L’occasion de rappeler, une nouvelle fois, les règles particulières qui existent en matière d’obligation à la dette pour les époux communs en biens.
Trilogie de l’emprunt pour l’époux commun en biens
Trois situations différentes peuvent apparaître en pratique en matière d’emprunt (en dehors de toute garantie), seules les deux premières étant décrites dans le Code civil (C. civ., art. 1415) :
- – un époux emprunte seul et il engage ses biens propres et ses revenus ;
- – un époux emprunte avec le consentement exprès de l’autre et il engage ses biens propres et les biens communs ;
- – les deux époux empruntent conjointement, auquel cas tous les biens, communs et propres de l’un et de l’autre, sont engagés.
Rappelons au passage, comme l’a fait la Cour de cassation, qu’en matière de contribution à la dette, « ces dispositions, qui concernent l’obligation à la dette, étaient inapplicables » (en ce sens, Cass. 1e civ., 31 mars 2021, n° 19-17.439).
Pour les emprunts concernant les dettes ménagères, il existe aussi un système d’exception.
Solidarité encadrée !
Si déjà la solidarité concernant les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ne concerne pas « des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage » (C. civ., art. 220, al. 2), elle est également écartée, « s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, (…) pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage » (C. civ., art. 220, al. 3, le dernier point ayant été ajouté par la Loi relative à la consommation du 17 mars 2014).
À tous niveaux existent donc des garde-fous dont l’efficacité est bien réelle. Si ce n’est qu’ils ont eux-mêmes leurs limites.
La loi face au rapport de force
La loi se veut protectrice dans tous les domaines que nous avons abordés, et du conjoint en particulier. Si, répétons-le, elle atteint globalement ses objectifs, elle ne peut pas tout. Il faut naturellement qu’un équilibre soit préservé.
La raison du plus fort peut prévaloir si c’est la meilleure. Et il sait souvent comment se positionner pour qu’elle le soit. L’engagement personnel du conjoint joue un rôle déterminant en la matière…