Bien qu’ayant occupé leur logement de mi-octobre ou début novembre 2013 au 1er février 2014, M. et Mme B sont parvenus à établir qu’ils « avaient effectivement, quoique brièvement, fixé leur résidence principale » dans l’immeuble et « étaient fondés à se prévaloir de l’exonération de la plus-value de cession de cette résidence principale ».
Par sa décision n° 19LY01666, du 19 août 2021, la Cour administrative d’appel de LYON nous invite à ouvrir le deuxième volet de l’article consacré à l’exonération « Résidence principale », publié dans la Newsletter de l’Aurep du 4 juin dernier. Deuxième des quatre questions annoncées : peut-on revendiquer l’exonération de plus-value immobilière au titre de la résidence principale lorsqu’on n’a occupé l’immeuble que quelques mois ?
La question surgit, en pratique, dans deux situations sensiblement différentes.
La première hypothèse met en scène un vendeur qui est propriétaire de longue date de deux immeubles qu’il occupe alternativement. Il vit, par exemple, une partie de l’année dans son appartement parisien et l’autre dans sa villa bordelaise. À la vente de l’appartement parisien, ce vendeur peut-il faire valoir qu’il s’agit de sa résidence principale pour échapper à l’impôt de plus-value immobilière ? (1)
Dans la seconde hypothèse, plus fréquente que la première, le vendeur a emménagé dans son logement depuis quelques mois seulement avant de le vendre. Quatorze mois, par exemple, pour la Cour administrative d’appel de BORDEAUX, dans un arrêt n° 15BX01833, du 9 mars 2017. Dix-huit mois pour la Cour administrative d’appel de PARIS, dans un arrêt n° 18PA01317, du 29 mai 2019. Peut-il valablement considérer que cet immeuble était sa résidence principale au sens de l’article 150 U, II, 1° du CGI et revendiquer l’exonération de sa plus-value ? (2).
La réponse de la jurisprudence est un « Oui mais ».
1./ L’immeuble occupé de façon discontinue.
OUI, le vendeur qui occupe alternativement deux résidences a droit à l’exonération « résidence principale ». MAIS celle-ci est réservée à celui des deux immeubles qui a été effectivement occupé par le vendeur en tant que résidence principale.
L’expression « effectivement occupé » révèle que l’exonération est accordée en considération des faits et non sur la base des déclarations du vendeur. Le vendeur peut bien avoir déclaré dans ses dernières déclarations de revenu et dans l’acte de vente, que sa résidence principale est située à l’adresse du bien vendu, ces déclarations ne s’imposent ni à l’administration, ni au juge (V. CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 28/09/2021, 19VE02484, n°33). Si l’administration contrôle et constate que dans les faits, le vendeur n’occupait pas effectivement cet immeuble en tant que résidence principale, l’exonération de plus-value sera refusée.
Cela étant, les déclarations du contribuable ne sont pas totalement négligeables. On peut d’abord imaginer qu’en présence d’un vendeur qui occupe alternativement deux résidences, l’attention de l’administration est moins attirée et donc le risque de contrôle réduit, lorsque la vente porte sur l’immeuble que le vendeur a déclaré comme résidence principale depuis plusieurs années. Ensuite et surtout, à l’inverse, réclamer l’exonération pour l’immeuble A alors que la résidence principale déclarée est située à l’adresse de l’immeuble B, est une contradiction que l’administration et le juge ne manquent pas de relever. Dans de nombreuses décisions, cette incohérence est l’un des motifs de refus de l’exonération (V. par exemple : CE 8e et 3e s.-s., 23 octobre 2013 n° 361233, RJF 1/14 n° 41 ; CE (na), 25 février 2015, n°376019 ; CAA NANTES, 10 mars 2016, n° 14NT01750 ; CAA PARIS, 19 mai 2017, n° 15PA00766).
Pour déterminer celui des deux immeubles qui a été effectivement occupé par le vendeur en tant que résidence principale, l’élément factuel déterminant est simple : il s’agit du temps d’occupation. Selon l’administration, l’immeuble occupé en tant que résidence principale est celui que le vendeur a occupé pendant la majeure partie de l’année (BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n° 30 et 40). L’analyse est confirmée par un arrêt n° 15PA00766 du 19 mai 2017. La Cour administrative d’appel de PARIS était amenée à se prononcer sur le cas d’un contribuable qui occupait alternativement un appartement à Paris et une maison à Bordeaux. Pour considérer que la vente de l’appartement parisien, réalisée le 29 août de l’année N, ne pouvait pas bénéficier de l’article 150 U, II, 1° du CGI, la Cour s’est fondée sur le fait qu’entre le 1er janvier de l’année N et le jour de la vente, le total des jours d’occupation de l’appartement par le vendeur avait représenté moins de la moitié de la période considérée, ici l’année de la vente.
Les temps d’occupation de chacune des résidences sont eux même établis sur la base d’une série d’éléments factuels. Pour définir ces durées d’occupation, l’administration et le juge examinent et comparent les consommations d’électricité, d’eau, de gaz dans les deux logements. Examinent les déplacements du vendeur, ses temps de travail et de congés, etc. Dans l’arrêt cité, il ressortait « des éléments recueillis par l’administration fiscale en particulier auprès de la SNCF dans le cadre de l’exercice de son droit de communication, que [le vendeur], au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 29 août 2008, n’a pas passé à Paris plus de 96 jours sur une période totale de 241 jours ».
L’administration a envisagé le cas, sans doute rare, du contribuable qui occupe ses deux résidences pour une durée strictement égale (le contribuable réside six mois de l’année dans un endroit et six mois dans un autre). Dans ce cas, « la résidence principale est celle pour laquelle l’intéressé bénéficie des abattements en matière de taxe d’habitation » (BOI-RFPI-PVI-10-40-10, 19 déc. 2018, n° 30).
2./ L’immeuble occupé de façon brève.
OUI, car la brève occupation de l’immeuble ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’exonération « résidence principale » MAIS le vendeur doit parvenir à établir, premièrement, qu’il a effectivement occupé l’immeuble et, secondement, qu’il l’a occupé en tant que résidence principale.
Plusieurs décisions illustrent ce propos.
Pour commencer, l’arrêt n° 15BX01833 du 9 mars 2017 rendu par la Cour administrative d’appel de BORDEAUX. En l’espèce, la venderesse était propriétaire de deux immeubles : un appartement dans la ville de X et un immeuble dans la ville de Y. Ce dernier immeuble n’était qu’une résidence secondaire jusqu’à ce que la venderesse y emménage « à titre de résidence principale », quatorze mois avant la vente.
La Cour conclut « qu’en dépit de la courte période » pendant laquelle la venderesse a affecté sa maison à sa résidence principale, « la requérante produit suffisamment d’éléments corroborés par des attestations de voisins justifiant, en fonction des changements ayant affecté sa vie personnelle, la réalité de l’occupation effective de la maison comme sa résidence principale à la date de la cession litigieuse ».
L’occupation « effective » de la maison fut établie au moyen des factures de bois, de fioul, d’eau et d’électricité qui révélaient une consommation régulière à compter de la date d’occupation indiquée et supérieure à ce qui résulterait d’une occupation des lieux en résidence secondaire.
L’occupation « en tant que résidence principale » fut établie au moyen de deux séries d’éléments.
Tout d’abord, la Cour a relevé les démarches cohérentes réalisées dès l’emménagement : la déclaration de revenus précédant la vente qui indiquait l’adresse de la maison vendue à la suite d’un déménagement comme étant le domicile, les avis de taxe foncière et taxe d’habitation de l’année de la vente qui avaient été adressés à la maison vendue au titre de la résidence principale, la preuve que la venderesse avait fait domicilier son courrier à la maison vendue et le contrat d’assurance habitation principale souscrit par la venderesse pour la maison.
Ensuite, la Cour a relevé les changements ayant affecté la vie personnelle de la venderesse : séparation de son compagnon, lequel occupait l’autre immeuble dont elle était propriétaire dans la ville de X, projet professionnel qui se trouvait à une quinzaine de kilomètres de l’immeuble vendu tandis que l’autre immeuble se trouvait à une distante d’environ 100 km.
On comprend qu’en cas de brève occupation de la résidence, le juge demande à être convaincu de la sincérité de la démarche du vendeur. L’occupation « en tant que résidence principale » n’est admise qu’à la condition que le vendeur prouve qu’il avait sincèrement l’intention de fixer sa résidence principale dans l’immeuble vendu, la brièveté de l’occupation étant expliquée par des événements personnels.
Ce raisonnement se retrouve dans l’arrêt n° 18DA00503 du 4 décembre 2019, rendu par la Cour administrative d’appel de DOUAI. Après avoir relevé les éléments prouvant l’occupation effective du logement (l’acte notarié d’acquisition, les factures d’électricité, une attestation d’assurance, les relevés des dépenses de copropriété, les avis d’imposition à la taxe d’habitation et à la redevance audiovisuelle, une attestation des locataires du logement mitoyen selon laquelle le vendeur avait fait aménager son appartement), la Cour s’est attachée à une série de faits, notamment un projet professionnel, « qui établissent que l’intéressé, quelles qu’aient été alors ses intentions quant au maintien de ce logement dans son patrimoine, y avait, à tout le moins au 1er janvier 2008, soit à une date antérieure à la cession du bien, fixé sa résidence habituelle ».
A l’inverse, dans un arrêt n° 12MA02332 du 21 octobre 2014, la Cour administrative d’appel de MARSEILLE a refusé l’exonération résidence principale au motif que le vendeur ne justifiait d’aucun élément expliquant la brièveté de l’occupation. En l’espèce, le vendeur était propriétaire de deux villas qu’il avait successivement occupées : la villa A pendant plusieurs années, puis la villa B occupée six mois avant d’être vendue, puis à nouveau la villa A. Selon la Cour, l’occupation temporaire de six mois avant de repartir dans l’ancienne résidence principale « n’a pu suffire à conférer, dans les circonstances de l’espèce, à cette villa le caractère d’une résidence principale ». Il existait ici un doute sérieux sur la réelle volonté du contribuable d’établir dans la villa B sa résidence principale.
Au travers de ces quelques arrêts, se dessine l’exercice d’équilibriste auquel s’astreint le juge. D’un côté, il n’y a pas de lieu de refuser l’exonération à un vendeur victime d’évènements extérieurs qui le contraignent à quitter rapidement sa résidence principale. De l’autre, il est nécessaire de la refuser au vendeur qui manipule les faits pour échapper à l’imposition de sa plus-value de cession. Cet exercice d’équilibriste explique le contrôle opéré par le juge, un contrôle in concreto et rigoureux.