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Déclinaison pratique des charges du ménage au tour des partenaires et concubins

Eclairage du 04 mars 2021 - N°468

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Série à succès, le financement de la résidence principale est décliné désormais dans différentes configurations. Après les époux, voici venir partenaires de pacte civil de solidarité et concubins. Si la priorité est d’alerter les personnes concernées afin qu’elles agissent en connaissance de cause – et de risque –, il est aussi intéressant de s’atteler à une tâche plus structurante : tenter d’esquisser une grille d’analyse, pour plus de lisibilité.

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Jamais deux sans trois[1] ? Il semblerait que la chose se vérifie une nouvelle fois. A peine une décision commentée, et voilà qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier ! Pour renouveler le genre, il s’agira d’évoquer à cette occasion la situation de partenaires de PACS (Cass. 1e civ., 27 janv. 2021, n° 19-26.140). Et pour faire bonne mesure, nous en profiterons pour aborder le cas des concubins (Cass. 1e civ., 2 sept. 2020, n° 19-10477).

Si l’accumulation des affaires concernant des époux commence à dessiner un panorama intéressant, permettant de distinguer des tendances lourdes, les brumes se dissipent plus lentement pour les autres types d’unions. Ceci dit, les charges du mariage offrent un arrière-plan plus qu’intéressant, une référence à laquelle il est naturel de se confronter. Gabarit de la vieille école, le mariage voit ainsi ses règles régulièrement exposées au cœur du grand jeu des ressemblances. Si elles restent exclusives, leur influence est indéniable.

Tout tourne donc autour des charges du mariage, et de leur transposabilité. Là où, face aux celles-ci, les époux « contribuent à proportion de leurs facultés respectives » (C. civ., art. 214, al. 1er), qu’en est-il des autres ? S’agissant des concubins, le principe a été plusieurs fois rappelé.

Régime sec !

Sans faire une recension complète des œuvres de la Cour de cassation en la matière, appuyons-nous tout d’abord sur un arrêt qui a le mérite, à lui seul, de résumer très correctement la question.

Il est d’emblée précisé qu’« aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées » (Cass. 1e civ., 19 déc. 2018, n° 18-12.311, publié au bulletin). D’où la nécessité de rechercher « l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune » pour aller à l’encontre du principe.

Tout semble dit, bel et bien de surcroît. Permettons-nous néanmoins d’évoquer un cas récent qui a le mérite de concerner un financement relatif à la résidence principale, notre sujet du jour.

Riposte au droit commun

Dans cette affaire, deux concubins ont souscrit des emprunts pour financer de nombreux travaux sur l’immeuble ayant constitué le domicile de la famille et qui était propriété de la seule concubine pour avoir été édifié sur un terrain lui appartenant. S’ensuit, avec la séparation, une demande de remboursement par le concubin sur le fondement de l’article 555 du Code civil – théorie de l’accession.

Le procédé est classique : s’appuyer sur des règles de droit commun pour s’en sortir. Tentant. Et parfois payant (car « sauf convention particulière en vue de la construction, les concubins demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux » ; Cass. 1e civ., 15 juin 2017, n° 16-14.039) ! Mais pas cette fois. La demande aurait-elle été rejetée, à tort selon le concubin, « par la considération que les versements en cause auraient constitué une participation normale aux charges de la vie commune » ? Pas exactement.

L’arrêt d’appel, « faisant ressortir la volonté commune des parties », constate :

  • – que « l’immeuble litigieux a constitué le logement de la famille »,
  • – que les concubins, « dont les revenus représentaient respectivement 45 et 55 pour cent des revenus du couple, ont chacun participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents »
  • – et que l’homme, « qui n’a pas eu à dépenser d’autres sommes pour se loger ou loger sa famille, y a ainsi investi une somme de l’ordre de 62 000 euros entre 1997 et 2002, soit environ 1 000 euros par mois ».

Dans ces conditions, la Cour de cassation suit la cour d’appel : le concubin « avait participé au financement des travaux et de l’immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du Code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge » (Cass. 1e civ., 2 sept. 2020, n° 19-10477).

Prendre note en chemin

« Circulez, il n’y a rien à voir ! », me direz-vous. Un autre chemin peut-être, mais pour sûr la même ligne d’arrivée. Certes, à ceci près que la réalité qui s’y dessine, dans sa prise en compte par les juges et dans les conséquences que ces derniers en tirent, est le reflet de la force sociale de l’union.

Le concubin n’est définitivement pas un tiers comme les autres. Le droit n’est pas indifférent aux sentiments, même en l’absence d’un contrat donnant son cadre au couple. Le droit commun, s’il demeure référence, peut être tenu à distance. Il fait preuve pour ainsi dire d’une certaine malléabilité. Et l’obligation naturelle, qui a horreur du vide juridique, n’y est pas pour rien.

Obligation civile : du trot au galop !

De l’obligation naturelle à l’obligation civile, « laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle » (Cass. 1e civ., 10 oct. 1995, n° 93-20.300), il n’y a qu’un pas. Le franchir, c’est s’exposer. A une demande d’exécution forcée, par exemple. S’obliger, tout court et sans retour. Engagez-vous, qu’ils disaient !

Rappelons brièvement que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui » (C. civ., art. 1100, al. 2) et que « la restitution n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées » (C. civ., art. 1302, al. 2).

Bien sûr, le concubin n’est pas le seul visé. Néanmoins, le concernant, la chose est assez… naturelle. Il faut bien pallier les lacunes d’une loi qui se contente d’énoncer que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple » (C. civ., art. 515-8). Si court, si lourd de sous-entendus.

Voyons quelques cas, autour du logement toujours, qui illustrent ce devoir que le concubin s’impose.

Rien d’une donation !

Ainsi un homme a acquis une maison d’habitation en ruines puis, 7 ans plus tard, a rédigé un document manuscrit certifiant que cette maison appartenait à celle avec laquelle il vivait en concubinage depuis 2 ans au moment de l’achat.

Il a ensuite élégamment demandé l’expulsion de celle dont il s’était entre temps séparé, « en faisant valoir que l’écrit qu’il lui avait remis était dépourvu de valeur juridique, au regard des dispositions de l’article 931 du Code civil » imposant la forme notariée à l’acte de donation.

La concubine ayant assuré le remboursement de l’emprunt et participé personnellement à la restauration de la maison, la cour d’appel de Caen a considéré que « l’acte litigieux avait pour cause tant la rétribution de ces services, d’une valeur sensiblement égale à celle du bien donné, que l’exécution par [le concubin] d’une obligation naturelle tendant à réparer le préjudice résultant de son abandon de la donataire après une dizaine d’années de vie commune ». D’où le constat d’une absence d’intention libérale et d’application du formalisme de l’article 931 du Code civil (Cass. 1e civ., 19 févr. 2002, n° 99-18.928).

Dans la même veine, par acte sous signature privée, un homme « a promis de verser à [son ex-concubine] une somme de 400 000 francs pour la réalisation d’un petit pavillon sur un terrain appartenant à cette dernière »… avant de lui demander de rembourser.

La cour d’appel a constaté que « l’objet de la somme promise était clairement exprimé dans l’acte » ; étudiant la situation à la lumière de cet aveu, elle a pu en déduire que « le montant de cette somme était parfaitement cohérent avec son affectation et proportionné tant aux facultés contributives du promettant qui reprenait sa liberté qu’au bouleversement matériel et moral que la rupture causait aux conditions d’existence de son ex-concubine et de sa fille à laquelle il assurait également un toit de sorte que cet engagement, qui ne constituait pas un acte à titre gratuit, était valable et devait être exécuté ». A nouveau, pas d’intention libérale, donc ni donation ni formalisme à respecter (Cass. 1e civ. 20 févr. 2008, n° 07-15.978).

Mais venons-en à notre héros du jour. Pris en tenaille, entre concubinage et mariage, restait le pacte civil de solidarité. Et le partenaire attendant sagement son image. Bon élève, il n’a pas manqué à ses devoirs.

Partenaires pour l’exemple

Des concubins ont acquis en indivision leur résidence principale, souscrivant deux prêts immobiliers pour ce faire, avant de conclure dans la foulée un pacte civil de solidarité, qui a été dissout 10 ans après. L’homme a réclamé une créance pour avoir remboursé les deux prêts sur la période couverte par le pacte civil de solidarité.

A l’appui d’une analyse des comptes courants et des comptes d’épargne peu flatteuse pour les finances de la partenaire, la cour d’appel a plus largement mis en lumière le contraste entre les deux, lui « ayant perçu des revenus quatre à cinq fois supérieurs ». Elle a considéré que « les revenus de [la partenaire] étaient notoirement insuffisants pour faire face à la moitié du règlement des échéances des emprunts immobiliers », écartant d’autant plus volontiers les allégations du partenaire affirmant « avoir payé l’intégralité des charges du ménage » que l’autre camp n’en avait manifestement pas profité.

Après avoir rappelé l’engagement à « une aide matérielle et une assistance réciproques », l’aide étant « proportionnelle à leurs facultés respectives » aux termes de l’article 515-4 du Code civil, la Cour de cassation approuve l’arrêt rendu par la cour d’appel, « qui a souverainement estimé que les paiements effectués par [le partenaire] l’avaient été en proportion de ses facultés contributives, a pu décider que les règlements relatifs à l’acquisition du bien immobilier opérés par celui-ci participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’il ne pouvait prétendre bénéficier d’une créance à ce titre » (Cass. 1e civ., 27 janv. 2021, n° 19-26.140).

Alors oui, il s’agit d’une « aide matérielle » et pas des « charges du mariage ». Et sinon ? La transposition à vue n’a rien ici de délicat. Les paris étaient ouverts. La grosse cote restera chimère. Le résultat est tombé, attendu. Voilà, c’est fait ! Le train est passé par ici, il repassera par là. A l’heure. Faut-il donc que rien ne change pour que tout change ?

Moment Bacri…

D’aucuns diront, désabusés, que tout cela n’est qu’habillage. Vous n’avez rien remarqué, vous ? Qu’au fond, derrière la moustache, il y a une approche plus prosaïque, consciente peut-être des limites de l’œil humain.

Ne pas brusquer la propriété, d’abord, laisser plus largement les choses en l’état, ensuite. Pas un geste ! Voilà peut-être la sommation qu’il faut entendre derrière ces décisions.

Sinon ? Disons, en peu de mots, que voilà une nouvelle et forte invitation à réfléchir avant d’agir, tant payer revient à franchir le Rubicond. Que faire derrière, sinon tirer pudiquement les rideaux sur cuisine et dépendances ?

Plus petit multiple commun

Tel le naturaliste consciencieux, essayons néanmoins de classer, pour sortir du simple pêle-mêle. A défaut d’offrir une grille de lecture au regard des différentes décisions, tentons au moins d’inventorier les facteurs qui nous paraissent décisifs dans ces affaires. Ces derniers s’offrent à mon sens sous la forme d’une trilogie.

Tout d’abord, la notion d’engagement au sein du couple. Même lorsque la loi ne la prévoit pas expressément, elle n’attend qu’un signe pour participer à la fête, ponctuellement parfois, dans la vie quotidienne le plus souvent, avec pour traduction une participation financière significative – assez du moins pour occasionner de sérieuses passes d’armes lors de la séparation.

Ensuite, le temps qui passe. La participation financière comme l’union concernée elle-même s’inscrivent dans la durée.

Enfin, et surtout, le toit ! La résidence principale, bien sûr, l’immobilier de jouissance plus largement – incluant la résidence secondaire – pour les mieux dotés.

Variations entre nous autour d’un toit

Le logement de la famille est donc un piquet solidement ancré dans le sol. Alors que la séparation des patrimoines semble mettre de la distance entre les membres du couple, l’élastique des charges agit comme un rappel, parfois violent. Suffirait-il alors de « vivre maritalement », avec ou sans contrat, pour être sous l’empire des « charges du couple » ? Les décisions évoquées peuvent le laisser penser. La tendance est là, pour le moins.

Il ne faudrait pas en conclure trop vite que tout est bonnet blanc et blanc bonnet. En effet, alors qu’un époux peut être judiciairement contraint à remplir ses obligations en la matière (C. civ., art. 214, al. 2), lesquelles sont d’ordre public (Cass. 1e civ., 13 mai 2020, n° 19-11.444, publié au bulletin), rien de tel pour les concubins et partenaires. Dans la même veine, la solidarité face aux dettes contractées pour l’entretien du ménage et l’éducation des enfants posée entre époux (C. civ., art. 220) devrait s’exprimer entre partenaires (C. civ., art. 515-4, al. 2), mais sans doute à un degré moindre si les mots ont un sens (puisqu’il est question du « train de vie du ménage » quand il existe une référence unique aux « besoins de la vie courante » pour les partenaires), et elle n’a pas trouvé écho chez les concubins (Cass. 1e civ., 2 mai 2001, n° 98-22.836, publié au bulletin). Sans doute les juges ont-ils considéré qu’à l’égard des tiers, ils devaient appliquer les textes, rien que les textes.

Néanmoins, concubins, partenaires et époux forment un baroque ménage à trois paires, unis par les liens de la séparation des biens. Un air de famille. L’attelage est dépareillé ? Qu’à cela ne tienne, les efforts respectifs ne comptent guère sous le joug. Le couple creuse son sillon. Avec au bout du compte, un toit à mettre au-dessus de nos têtes : nous, vous, ils, sans distinction. Cela quoi qu’il en coûte ! Avec, au bout des comptes, une quille sans solde. Et la tuile pour celui qui a payé l’ardoise…

[1] Les charges du couple, un cheval de Troie moderne, Pineau P., Newsletter AUREP n° 229, 8 juin 2016 et, tout récemment, La contribution des époux au pas de charge !, Pineau P., Chronique AUREP n° 372, 5 février 2021.

Points essentiels :

Au titre de l’« aide matérielle et une assistance réciproques » que prévoit la loi (C. civ., art. 515-4, al. 2), un partenaire de pacte civil de solidarité peut devoir supporter, de manière définitive, les règlements qu’il a opéré « en proportion de ses facultés contributives » pour l’acquisition d’un bien immobilier, règlements qui « participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires » (Cass. 1e civ., 27 janv. 2021, n° 19-26.140).

Si le droit commun s’applique en principe aux concubins, il peut être écarté également pour ces derniers s’agissant du financement d’opérations ayant trait à la résidence principale ; ainsi, le plus aisé, qui a acquitté de telles charges, a été regardé comme ayant agi « au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux » (Cass. 1e civ., 2 sept. 2020, n° 19-10477, refusant d’appliquer les règles de l’accession).


Dans tous les cas, celui des concubins ou partenaires qui a assumé le règlement de ces charges ne peut prétendre à aucune créance à ce titre.

Droit civil
Pascal PINEAU (AF2P)

Pascal PINEAU (AF2P)

Associé gérant chez SARL Atelier Formation Pascal Pineau