La récente réforme du divorce contentieux et quelques décisions intéressantes dans les derniers mois nous invitent à porter un intérêt renouvelé à l’accompagnement des futurs ex-époux dans ces moments délicats. Mais pas n’importe comment. En effet, il s’agit de comprendre en quoi de telles évolutions concernent une pratique patrimoniale qui aurait plus qu’intérêt à ne pas passer son tour. Si la pérennité d’une relation professionnelle est parfois en jeu, plus largement, clients et conseillers ont beaucoup à gagner.
Il apparaît nécessaire d’illustrer ce propos, que d’aucuns pourraient soupçonner d’être pur argument publicitaire, par l’examen des mesures législatives qui invitent – voire poussent – au changement (Loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 23 mars 2019). L’entrée en vigueur tardive de la loi (1er janvier 2021 pour les dispositions qui nous intéressent) ne nous offre qu’un faible recul mais il n’est jamais trop tôt pour adopter de bonnes habitudes.
Une fois les principes posés, nous verrons quelles opportunités elles offrent. Comme de coutume, il devra s’agir d’une approche objective qui n’oublie pas notamment qu’en face d’une opportunité il existe toujours un risque et qui s’appuie de surcroît sur l’analyse de la jurisprudence récente – en ce du moins qu’elle est transposable à la nouvelle législation.
Au pas de course
Rappelons d’abord, en nous appuyant sur l’exposé des motifs du projet de loi, l’un des principaux axes de travail retenu : il s’agit de modifier le régime procédural du divorce « afin de répondre au double objectif de simplification du parcours processuel des époux en instance de divorce et de réduction des délais de traitement notamment dans les situations simples où il n’y a pas d’enfants mineurs ou d’enjeux financiers majeurs » – vous noterez que ce dernier point invite naturellement, pour une clientèle patrimoniale, à ne pas confondre vitesse et précipitation.
Pour ce faire, a été adopté un « nouveau schéma procédural dans lequel est supprimée la phase de tentative de conciliation », laquelle débouchait généralement sur la fameuse « ONC », ordonnance de non conciliation. La solution adoptée, qui peut apparaître comme une évidence au profane, ne va pas sans l’inconvénient majeur de pouvoir rendre le divorce brusque voire brutal, au-delà du vœu pieux formulé dans l’exposé des motifs selon lequel, grâce à l’équilibre savant que seul notre législateur sait trouver, ce choix « ne doit toutefois pas conduire à attiser les conflits ».
S’offre alors un exercice délicat qui mérite la plus grande attention, à savoir le rendez-vous baptisé « audience d’orientation et sur mesures provisoires »
De l’importance du provisoire !
Ainsi « le juge tient, dès le début de la procédure, (…) une audience à l’issue de laquelle il prend les mesures nécessaires pour assurer l’existence des époux et des enfants de l’introduction de la demande en divorce à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée… » (C. civ., art. 254).
Deux points sont encore évoqués par le texte : le premier propose une tentation à laquelle il faut savoir résister alors que le second doit au contraire attirer notre attention.
Tout d’abord, l’audience se tient « sauf si les parties ou la partie seule constituée y renoncent ». Voilà qui serait une malheureuse idée, l’ampleur de la tâche rendant à notre sens l’audience nécessaire presqu’à tout coup. Ensuite, le juge doit trancher « en considération des accords éventuels des époux ». Une piste à très sérieusement creuser…
Deux aspects méritent d’être brièvement rappelés avant d’entrer dans les détails : provisoire n’est pas synonyme de dérisoire… et le provisoire peut parfois durer !
Des éléments matériels…
L’article 255 du Code civil décrit les principales dispositions que le juge doit être invité à prendre. Et elles sont d’importance !
Il y a tout d’abord la question des domiciles, les fameuses « modalités de la résidence séparée des époux ». Le magistrat peut ainsi « attribuer à l’un d’eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l’accord des époux sur le montant d’une indemnité d’occupation » (C. civ., art. 255, 3° et 4°). Plus généralement, il peut « statuer sur l’attribution de la jouissance ou de la gestion des biens communs ou indivis » (C. civ., art. 255, 8°).
Il peut aussi « fixer la pension alimentaire et la provision pour frais d’instance que l’un des époux devra verser à son conjoint, désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes » (C. civ., art. 255, 6°).
Il peut encore « ordonner la remise des vêtements et objets personnels » (C. civ., art. 255, 5°) – point beaucoup moins anecdotique qu’il n’y paraît – et « accorder à l’un des époux des provisions à valoir sur ses droits dans la liquidation du régime matrimonial si la situation le rend nécessaire » (C. civ., art. 255, 7°).
L’approche patrimoniale, par sa transversalité, éclairera utilement les parties sur les conséquences des choix à opérer (aspects économiques et fiscaux). Rappelons au passage que la demande introductive d’instance comporte, comme par le passé et « à peine d’irrecevabilité, une proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux » (C. civ., art. 252, al. 4), laquelle contient un descriptif sommaire des patrimoines et précise les intentions du demandeur quant à la liquidation de la communauté ou de l’indivision et, le cas échéant, quant à la répartition des biens (CPC, art. 1115). Vous avez dit « démarche patrimoniale » ? Plus qu’utile, elle est ici nécessaire.
Et c’est ainsi que nous passons des choses aux hommes !
… aux accompagnants.
Le juge peut donc « proposer aux époux une mesure de médiation (…) et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder », voire « enjoindre aux époux(…) de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation » (C. civ., art. 255, 1° et 2°).
Plus intéressant encore, de notre point de vue, il peut également « désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux », ainsi qu’« un notaire en vue d’élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager » (C. civ., art. 255, 9° et 10°).
Notons d’emblée que le notaire peut offrir ses services non seulement dans le rôle pour lequel il est désigné ès qualité, en vertu du 10° de l’article 255, mais encore comme le « professionnel qualifié » visé au 9° du même article. Il sera d’autant plus légitime dans ce second emploi que les difficultés civiles apparaîtront prégnantes, et pourra ainsi dès l’amont poser des bases saines quant aux questions pécuniaires en général (liquidation du régime et prestation compensatoire). Dans ce cadre, comme technicien (CPC, art. 238), il « doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis » mais « ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique » – exigence dont on ne voit guère comment elle peut être respectée sinon, pour la galerie, en prenant parti, puisqu’il le faut bien, mais sans commentaires.
Un acte de procédure établi conjointement par les avocats des parties permet de « recourir à un technicien » (CPC, art. 1546-3, 4°). Choisi d’un commun accord pour une mission déterminée, ce technicien est rémunéré par les parties et remet un rapport écrit qui peut être produit en justice. (CPC, art. 1547 et s.).
La collaboration entre professionnels vigilants est de mise, les actions en responsabilité menaçant ; ainsi l’avocat doit-il veiller à l’équilibre des intérêts des parties et notamment à la justesse des prix déclarés (en ce sens, CA Paris, 12 mai 2009, RG n° 07/17097, à propos de l’absence de revalorisation d’un immeuble commun au regard de son prix d’acquisition dans une période de forte hausse de l’immobilier). Il peut – doit ? – recourir au talent d’autres acteurs. L’interprofessionnalité devrait ici bientôt relever de la norme et non plus de l’exception.
Les dispositions que nous venons de décrire succinctement s’inscrivent en réalité dans le prolongement d’une évolution amorcée depuis un certain temps déjà.
Dans la continuité
Notons ainsi que de telles démarches ne sont pas nouvelles puisqu’au début des années 2000 déjà le législateur s’orientait vers ces solutions : « le recours à la médiation familiale est développé et les époux pourront soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant les conséquences de leur divorce » (Communiqué de presse du Conseil des ministres du 9 juillet 2003, en préambule de ce qui deviendra ensuite la Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce).
Déjà à l’époque il est prévu que « les époux peuvent, pendant l’instance, soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce » (C. civ., art. 268, al. 1er). La mission du magistrat : il ne doit homologuer les conventions, en prononçant le divorce, qu’« après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés » (C. civ., art. 268, al. 2).
Il apparaît important qu’arrivés à cette étape nous faisions état d’un tout récent arrêt qui précise utilement la notion d’accord entre époux.
D’accord jusqu’au bout…
Dans le cadre d’une procédure de divorce, le mari reproche à la cour d’appel de Versailles d’avoir refusé l’homologation d’une convention liquidative du régime matrimonial « sans expliquer précisément en quoi la convention telle que rédigée avec l’assistance des avocats des parties, signée par devant notaire, et homologuée par le juge de première instance qui l’avait jugée égalitaire, ne serait pas équilibrée et porterait atteinte aux intérêts des parties ». L’homme goûtait manifestement peu la volte-face tardive de son épouse, et encore moins la décision de justice en faveur de cette dernière, alors que « l’affaire semblait conclue ». L’accord de l’épouse avait bel et bien était obtenu, mais encore eut-il fallu qu’il perdure jusqu’au terme de la procédure.
La Cour de cassation, au visa de l’article 268 du Code civil, précise en effet que « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (Cass. 1e civ., 9 juin 2021, n° 19-10.550, publié au bulletin).
Dès lors que l’épouse estime que l’acte notarié portant liquidation et partage des intérêts patrimoniaux du couple « ne préserve pas suffisamment ses intérêts, ledit acte ne reflète plus la commune intention des intéressés ». Et c’est bien « par ces seuls motifs » que l’arrêt d’appel est justifié.
Pour sacrifier à la mode, nous évoquerons ici un « accord durable », et inviterons donc chacun à apporter son concours. Est-il besoin de préciser, dans ce contexte, qu’un accord patrimonial pertinent pour l’ensemble des parties est un gage des plus solides ? Il ne s’agit pas de se prendre pour d’autres… mais d’assumer un rôle utile !
Sur fond d’actualité toujours, nous évoquons donc le divorce et la fin à lui offrir. Impossible alors de ne pas citer un arrêt récent dont l’évocation viendra utilement réunir l’avant au pendant et à l’après.
Signalement : ne pas oublier les créances d’avant !
La Cour de cassation rappelle que, « lorsque la liquidation des intérêts pécuniaires d’époux a été ordonnée par une décision de divorce passée en force de chose jugée, la liquidation à laquelle il est procédé englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties, y compris les créances nées avant le mariage ». Elle en tire fort logiquement la seule conclusion qui vaille, sifflant à l’occasion le hors-jeu dans l’affaire concernée : « il appartient dès lors à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance contre son conjoint lors de l’établissement des comptes s’y rapportant » (Cass. 1e civ., 26 mai 2021, n° 19-23.723, publié au bulletin).
La solution n’est pas nouvelle (en ce sens déjà, Cass. 1e civ., 30 janv. 2019, n° 18-14.150, qui censure l’arrêt d’appel lorsque ce dernier énonce que « le juge aux affaires familiales n’est pas compétent pour statuer sur l’indivision ayant existé entre les parties avant leur union matrimoniale (…) puis retient que les créances nées avant le mariage n’ont pas vocation à être intégrées dans les comptes de liquidation du régime matrimonial »). Il n’est pas moins nécessaire d’en rappeler l’existence, et peut-être davantage encore la logique générale : si l’union a connu plusieurs phases, le mariage constituant la dernière étape, elle ne doit connaître qu’une seule fin, toutes époques confondues.
Avec, notons-le, une inspiration ancienne s’agissant, déjà, de l’un des objectifs affichés – et partiellement atteint – de la Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce : « favoriser le règlement complet de toutes les conséquences du divorce au moment de son prononcé ».
Que faire dans cette galère ?
Il serait dommage de refuser un obstacle, certes de taille, mais qu’une appréhension naturelle due au contexte pourrait surtout conduire à surestimer. Il ne s’agit pas de porter, seul, le monde sur ses épaules, mais plutôt d’apporter sa pierre à l’édifice, et donc d’être utile à ses clients en mettant les compétences transversales et l’inventivité de la gestion de patrimoine au service d’un point de passage aussi difficile que nécessaire, pour que chacun puisse plus sereinement envisager la suite.
Alors rame, rameurs, ramez ! Le naufrage n’est pas une fatalité. Car dans cette vilaine affaire, pour qui souque ferme, il y a beaucoup à sauver !