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Plus-values de cession de valeurs mobilières. Et revoilà le droit fiscal confondu par le droit civil

Eclairage du 25 juin 2021 - N°394

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Une précédente newsletter consacrée à l’imposition d’une plus-value immobilière a permis de mettre l’accent sur l’influence déterminante des principes civils sur l’application des régimes fiscaux lorsque la cession était assortie d’une promesse synallagmatique assortie d’une condition suspensive.

Le Conseil d’Etat a de nouveau été confronté à la problématique du transfert de propriété, mais cette fois dans l’hypothèse d’une cession de droits sociaux soumise au régime des plus-values de cession de titres de l’article 150-0 A du CGI (CE, 28 févr. 2020, n° 426065). Les faits de l’espèce permettent de bien cerner le moment précis où ce transfert intervient.

En l’occurrence, MC avait fait apport à une société civile Leader, au cours de l’année 2003, d’actions détenues dans une société ADSI, recevant en contrepartie les titres de cette dernière. Par un acte sous seing privé, il revendait ces mêmes titres en 2004 à son fils. Cet acte prévoyait que « le transfert de propriété, et de jouissance, serait différé au jour du paiement de la dernière échéance du crédit vendeur ». Il précisait par ailleurs que la cession des parts sociales serait enregistrée à la recette des impôts le jour du transfert de propriété effectif, accompagné d’un acte complémentaire constatant ce transfert de propriété et actant du complet paiement du prix.

Dans un acte établi en 2010, les parties à la cession constataient que, bien que le prix de vente n’ait pas été payé intégralement, le cédant acceptait que le transfert de propriété et de jouissance intervienne au jour de ce second acte.

L’administration avait imposé la plus-value au titre de l’année 2010.

Les requérants prétendaient, eux, que, sur le fondement de l’article 1583 du Code civil, le transfert de propriété devait remonter à l’année 2004. Pour eux, la condition décalant le transfert à la date du paiement complet du prix n’était qu’une condition suspensive. Du même coup, sur le fondement du principe civil, le transfert de propriété devait remonter à 2004 même si cette condition était réalisée en 2010. L’administration estimait le contraire pour faire valoir que le fait générateur de la plus-value en cause devait être considérée comme réalisé en 2010.

La question était alors évidemment celle de savoir à quelle date était intervenu le fait générateur de l’impôt ouvrant droit à l’imposition de la plus-value : 2004 ou 2010 ? Résoudre cette problématique nécessitait de répondre à deux questions fondamentales :

quelle était la nature de la condition prévue dans l’acte de 2004 décalant le transfert de propriété à la date l’encaissement complet du prix ?

le principe posé par l’article 1583 du Code civil est-il d’ordre public ou peut-il être aménagé en fonction des dispositions contractuelles insérées dans l’acte constatant l’accord sur la chose et sur le prix ?

Si les parties considéraient que la condition devait être assimilée à une condition suspensive, l’hésitation était permise. On pouvait en effet se demander s’il ne s’agissait pas en fait d’une clause de réserve de propriété. En effet, l’article 2367 du Code civil dispose que constitue une telle clause celle « qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie ». Et à cet égard, nul doute que la clause contenue dans les actes de cession du 29 juillet 2004 différant le transfert de propriété au jour du paiement de la dernière échéance du crédit-vendeur répondait à la définition d’une clause de réserve de propriété. Comme l’écrit fort bien Mme Bokdam-Tognetti, Rapporteur public dans cette affaire, dans le cadre d’un dispositif de crédit-vendeur, le paiement de la dernière échéance du crédit correspond à la date de paiement complet du prix.

Au demeurant, pour la Cour de cassation (Cass. com., 17 oct. 2018, n° 17-14.986), une telle clause ne peut être assimilée à une clause suspensive. Elle estime ainsi que la clause de réserve de propriété est une sûreté suspendant l’effet translatif de propriété jusqu’à complet paiement du prix et qu’une telle suspension ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et le prix. Une commentatrice de cet arrêt pouvait au demeurant écrire que le transfert de propriété ne constitue donc pas un élément de formation de la vente, mais n’est qu’un effet du contrat, lié à son exécution (F. Reille in Rev. Sociétés 2019, p. 220).

Au fond, cette approche amène à s’interroger quant au point de savoir si la règle posée par l’article 1583 du Code civil est, ou non, d’ordre public. Si c’est en effet le cas, on ne peut y déroger par des dispositions contractuelles.  La Cour de cassation a eu à se prononcer sur cette importante question pour estimer que cette règle n’était pas d’ordre public (Cass. 1re civ., 24 janv. 1984 : Bull. civ., I, n° 31).

Dans ces conditions, en se fondant une fois de plus sur les principes civils et leur interprétation par la jurisprudence civile, le Conseil d’Etat considéra que le fait générateur de l’impôt dans cette affaire s’était produit en 2010 et non en 2004.

De toutes manières, même si le juge avait fait droit à la prétention des parties selon laquelle la condition insérée dans l’acte de 2004 différant le transfert de propriété constituait une condition suspensive la solution au plan fiscal n’aurait guère été différente. En effet, comme on l’a vu dans la newsletter consacrée aux plus-values immobilières, en présence d’une condition suspensive, le fait générateur de l’impôt est toujours reporté à la date de réalisation de la condition (CE, 4 juillet 1979, n° 1712.- Dans le même sens : CE, 19 mai 1999, n° 152269).

Cette règle est au demeurant reprise aujourd’hui par l’article 74 SA de l’annexe II au CGI en la forme suivante lorsqu’une promesse synallagmatique de vente est assortie d’une condition suspensive :

« Toutefois, en cas de promesse synallagmatique sous condition suspensive, le transfert de propriété n’est effectif qu’à la date de l’acte constatant la réalisation de la condition« .

Au regard de ces dispositions, même en considérant donc que la condition aurait été suspensive, l’imposition ne pouvait être valablement établie qu’au titre de l’année 2010 et non en 2004 comme le veut le principe civil. En conclure à une autonomie du droit fiscal, la fameuse tarte à la crème dénoncée à l’époque par le Professeur Cozian serait toutefois une erreur grossière. En réalité, le texte fiscal ne fait que traduire le principe posé par les dispositions de l’article 12 du CGI. Celles-ci disposent en effet que l’impôt sur revenu est établi à raison des revenus dont le contribuable dispose au cours de l’année d’imposition. Et, en l’occurrence, le revenu n’est disponible que lorsque la condition suspensive se réalise, soit dans cette affaire en 2010. Considérer que la plus-value aurait été imposable au titre de l’année 2004 aurait constitué une entorse à ce principe que n’aurait pas manqué de relever le juge de l’impôt pour donner tort à l’administration.

En vérité, on n’est pas certain que l’agent auteur de la rectification fiscale soit entré dans ces subtilités. S’il n’a pas songé à une imposition au titre de l’année 2004, c’est tout simplement parce qu’à l’heure un contrôle fiscal, cette année 2004 était prescrite. Heureusement que les services contentieux de Bercy sont venus à son secours pour défendre la cause devant le Conseil d’Etat.

Pour se prononcer, le Conseil d’Etat revient d’abord au droit civil pour poser une nouvelle fois le principe selon lequel la cession intervient lorsqu’il y accord des parties sur la chose et sur le prix. Sans toutefois le citer expressément, nul doute que le juge fait appel en l’occurrence aux dispositions de l’article 1583 du Code civil.

Mais justement, à quelle date pouvait-on considérer que ce principe était respecté ? Les dispositions contractuelles laissaient en effet transparaître une certaine difficulté. En effet, la cession elle-même remontait sans aucun doute à la date de l’acte sous seing privé de 2004. Mais cela suffisait-il pour conclure à un accord sur la chose et sur le prix ? Les clauses contractuelles permettaient d’en douter. En effet, dans un acte sous seing privé en date du 13 janvier 2010, les parties à la cession avaient constaté que, bien que le prix de vente n’ait pas été payé intégralement, le cédant acceptait que le transfert de propriété et de jouissance intervienne au jour de ce second acte.

Dans ces conditions, les parties prétendaient que la cession et donc l’accord sur la chose et sur le prix remontaient à 2004. Du même coup, selon elles, aucune revente n’était intervenue dans le délai de cinq ans suivant l’année de la cession initiale.

Se fondant sur les stipulations contractuelles contenues dans l’acte du 13 janvier 2010, l’administration soutenait, elle, que la date de la cession et donc l’accord sur la chose et sur le prix datait de 2010. Par conséquent, elle prétendait au rejet de l’exonération de la plus-value. Et c’est bien cette position que valida le Conseil d’Etat considérant, qu’effectivement, le délai de cinq ans autorisant l’exonération de la plus-value n’était pas expiré à la date du rachat par la société de ses propres titres.  Aux yeux du Conseil d’Etat, ces stipulations devaient amener à considérer que le transfert effectif de propriété s’était produit en 2010, même si la cession elle-même remontait à l’année 2004.

En conclusion, dans le principe, les dispositions de l’article 1583 du Code civil signifient que le fait générateur de l’imposition d’une plus-value remonte en principe à la date de la cession elle-même. Néanmoins, des dispositions contractuelles contenues dans un acte signé par les parties peuvent provoquer un décalage dans le temps s’agissant de déterminer la date du transfert de propriété. Et ce n’est évidemment pas sans conséquences au plan de l’imposition de la plus-value.

Si la vente est ferme et définitive dès l’accord des parties sur la chose et le prix, l’effet translatif de propriété se trouve suspendu et différé à une date ultérieure. Et cet effet translatif est le seul à prendre en compte pour la détermination du fait générateur d’une plus-value.

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal