Deux personnes sur un banc Deux personnes sur un banc

Infraction : la communauté dans le viseur !

Eclairage du 27 novembre 2020 - N°364

Accueil + Publications & Agenda + Infraction : la communauté dans le viseur !

Un coupable ? Une innocente ? Mari et femme, ils sont unis par la communauté, pour le meilleur comme pour le pire. C’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a récemment tiré les conséquences d’un tel lien face à une mesure de confiscation (Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 18-84.619). Et dans un premier temps, il faut bien l’avouer, tout le monde trinque…

Déclaré coupable d’abus de confiance, un homme a vu ordonner contre lui la confiscation d’un appartement et d’une maison d’habitation, à titre de produit indirect de l’infraction (C. pén., art. L 131-21). Or les biens concernés appartenaient au condamné… et à sa femme, avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté légale.

Arguant du fait qu’elle n’était pas poursuivie pénalement, étant de bonne foi, l’épouse a demandé à ce que la confiscation ne concerne que la part indivise des immeubles communs appartenant à son mari.

Habile, la manœuvre d’évitement s’habille d’équité, mandant que seul le coupable paie. Elle n’en sera pas moins vaine : communauté n’est pas indivision.

Couper la poire en deux ?

Nonobstant, la cour d’appel de Rennes a dans un premier temps « limité les effets de la confiscation des immeubles saisis à la seule quote-part indivise [du mari] et a ordonné la restitution à [l’épouse] des droits indivis qu’elle détient sur lesdits immeubles », solution que la Cour de cassation va méthodiquement battre en brèche.

Très pédagogique, et soucieuse sans doute d’afficher d’emblée une position de principe, cette dernière rappelle la protection qu’elle sait offrir, lorsqu’« elle réserve cependant les droits des propriétaires de bonne foi, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l’infraction » (Cass. crim., 7 nov. 2018, n° 17-87.424).

L’indivision comme uchronie…

D’ailleurs, la Cour de cassation appuie sa démonstration sur la situation qui aurait justifié la position de la cour d’appel et où, disant le droit, elle n’a offert à l’Etat qu’une quote-part et non le tout :

« Lorsque le bien confisqué constitue un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers, ce bien est dévolu en situation d’indivision à l’Etat, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés » (Cass. crim., 3 nov. 2016, n° 15-85.751).

Oui, mais voilà, il ne s’agissait pas d’indivision, pas encore du moins. Et la communauté, en mode de croisière, allait affronter le gros temps avec moins de succès.

… mais la communauté poursuivie !

Avançant pas à pas, mais s’approchant inexorablement de sa cible, la Cour de cassation manie l’euphémisme pour ne pas brusquer sa proie : ainsi annonce-t-elle que « la situation présente une spécificité », avant de produire le redoutable article 1413 du code civil.

« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelques causes que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu » (C. civ., art. 1413).

L’assiette du droit de poursuite ainsi élargie est de nature à garantir autant que faire se peut le règlement à l’Etat mais également aux victimes, le cas échéant.

La mire est réglée, et la cible verrouillée. Il n’y aura pas de quartier.

Ni pendant ni pour partie !

La Cour de cassation rappelle alors qu’« il n’y a lieu à liquidation de la masse commune, laquelle a pour finalité la fixation des droits des époux dans celle-ci, qu’après dissolution de la communauté, et que le législateur, qui a limitativement énuméré les motifs de dissolution, n’a pas prévu de cause de dissolution partielle », en référence aux articles 1441 et 1467 du Code civil.

Évidemment, le couperet tombe : « la confiscation d’un bien commun prononcée en répression d’une infraction commise par l’un des époux ne peut qu’emporter sa dévolution pour le tout à l’Etat, sans qu’il demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi ».

Retour de manivelle bien tardif…

Et la Cour d’ajouter que « cette dévolution ne méconnaît pas les droits de l’époux non condamné pénalement, dès lors que la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci ».

En effet, « la communauté a droit à récompense (…) quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils » (C. civ., art. 1417, al. 2).

Le texte vise également, dans un contexte proche, la dette « contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage », telle celle relative à la location d’une garçonnière destinée à entretenir une relation adultère.

Alors bien sûr, comme l’ont noté les juges du fond, la femme « est de bonne foi, dès lors que son époux a toujours soutenu qu’elle n’était pas au courant des détournements d’argent par lui commis au préjudice de son employeur, qu’il n’a pu être établi que [l’épouse] avait profité en connaissance de cause de l’argent et des biens acquis frauduleusement avec les sommes détournées, au regard de la profession de comptable exercée par son époux et du peu d’immixtion de l’intéressée dans la gestion du budget du ménage et de la constitution des dossiers de prêt ». Ce dont il a été tiré conséquences, puisqu’elle « n’a d’ailleurs pas été mise en examen du chef de recel d’abus de confiance et qu’enfin, elle a bénéficié d’une décision de non-lieu », solution qui relève autant de la logique que de l’équité « en l’absence d’indices graves ou concordants existant à son encontre ».

Mais tout cela s’efface devant un simple constat : « les immeubles confisqués constituaient des biens communs ».

La solution s’impose aussitôt. Il y a lieu, en effet, à cassation sans renvoi, « la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ». Fin de partie. Avec un conjoint ni coupable ni responsable, mais qui paie aussi les pots cassés.

De la pomme de discorde…

On notera, pour un panorama plus complet, que l’époux fautif envers l’autre est

« tenu de réparer seul et sur ses biens propres le dommage ainsi causé » (Cass. 1e civ., 19 févr. 1980, n° 79-10.304, publié au bulletin, à propos de l’indemnisation pour dommage corporel et moral relatif à un accident de la route dont le mari avait été déclaré responsable).

Les règles diffèrent en face-à-face et vis-à-vis des tiers. A cela rien de très étonnant.

Mais il faut aller du côté des règles protectrices mises en place pour les emprunts et cautionnements pour terminer sur la clef de cette affaire…

… à la poire pour la soif !

En effet, en vertu de l’article 1415 du Code civil, « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de son conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». La digue est solide et ne cèdera pas.

Alors même que des inscriptions avaient porté sur la moitié indivise de biens immobiliers appartenant à un homme et constituant sa part dans la communauté, solution laissant libre de toute inscription l’autre moitié indivise appartenant à son épouse, la Cour de cassation a considéré que « le créancier ne pouvait être judiciairement autorisé à inscrire une hypothèque provisoire sur un immeuble commun en vertu d’un acte de cautionnement contracté par le mari sans le consentement exprès de son épouse », pour un rappel à l’ordre en bonne et due forme de la cour d’appel, « qui devait appliquer, non les règles de la contribution, mais celles de l’obligation à la dette des époux » (Cass. 1e civ., 11 mars 2003, n° 00-22.208, publié au bulletin).

L’obligation s’intéresse au temps présent et, avec lui, à la question contemporaine du risque encouru par chacun des patrimoines face aux créanciers. La communauté est très régulièrement exposée, et pour le tout, comme l’arrêt commenté (Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 18-84.619) l’a une fois encore démontré.

La contribution renvoie pour sa part à la dissolution du régime et donc à la charge définitive de la dette. Les récompenses feront ponts, le cas échéant, pour passer de l’une à l’autre.



Droit civil
Pascal PINEAU (AF2P)

Pascal PINEAU (AF2P)

Associé gérant chez SARL Atelier Formation Pascal Pineau